Le Bangladesh est le théâtre depuis samedi 21 septembre de troubles sociaux dans le secteur du textile et de l’habillement. Les syndicats ouvriers demandent le relèvement du salaire minimal quatre mois et demi après le drame du Rana Plaza, un immeuble de la capitale, Dacca, abritant cinq usines, dont l’effondrement a coûté la vie à 1 129 personnes – pour l’essentiel des ouvrières.
Plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers sont descendus dans la rue samedi, dimanche et lundi, dans différentes localités de la ceinture industrielle autour de Dacca, bloquant la circulation et s’affrontant avec la police, laquelle a dû faire usage de gaz lacrymogènes et même de balles en caoutchouc.
A Gazipur, au nord de Dacca, une gendarmerie a même été vandalisée. Plusieurs dizaines de personnes ont été blessées dans les heurts. De nombreuses usines ont dû fermer leurs portes, certaines ont été incendiées.
Les syndicats, notamment le Garments Workers Employees League, réclament l’augmentation du salaire mensuel minimal à 8 114 takas (77 euros), contre 3 000 takas aujourd’hui (28 euros). Des négociations sont en cours depuis le 6 juin entre patronat et syndicats sous les auspices du gouvernement.
DEUXIÈME EXPORTATEUR MONDIAL DE PRÊT-À-PORTER
Dans sa réponse aux revendications syndicales, la Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association (BGMEA), l’organisation patronale du secteur, n’a accepté de relever le salaire minimal qu’à hauteur de 3 600 takas (33 euros), prétextant les difficultés conjoncturelles mondiales. Un accord avait été annoncé pour l’automne, mais le mouvement social actuel pourrait perturber le calendrier.
Le textile s’est imposé ces dernières années comme un secteur dynamique de l’économie du Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres au monde : il représente 80 % des exportations bangladaises, 15 % de son produit intérieur brut (PIB), 45 % de l’emploi industriel – 4 millions de salariés (dont 80 % de femmes).
Le Bangladesh est désormais le deuxième exportateur mondial de prêt-à-porter derrière la Chine. L’essor de son industrie textile est lié à son insertion grandissante dans la chaîne de sous-traitance internationale, en partie en raison de la montée des coûts dans l’« atelier chinois ». Les plus grandes marques occidentales s’approvisionnent désormais au Bangladesh. Des entreprises chinoises elles-mêmes viennent s’y délocaliser pour servir leur marché domestique.
Mais le coût social de cette « nouvelle frontière » du Bangladesh est élevé. L’effondrement du Rana Plaza, fin avril, a jeté une lumière crue sur l’extrême précarité des conditions de travail des travailleurs du textile, souvent entassés dans des étages d’immeubles bafouant ouvertement les normes de sécurité. L’avantage comparatif du Bangladesh dans les nouvelles filières internationales tient surtout à ses rémunérations dérisoires. Le salaire horaire y est de 11 centimes d’euro, soit 30 % seulement de celui pratiqué en Chine.
PRISE DE CONSCIENCE APRÈS LE DRAME DU RANA PLAZA
Le drame du Rana Plaza a entaché l’image internationale du Bangladesh, passée du cliché de nouvel eldorado à celui d’usines à esclaves. Désireuses de protéger elles-mêmes leur réputation, les marques occidentales ont dès lors affiché plus ostensiblement leur volonté de contrôler la réalité des conditions de travail chez leurs sous-traitants bangladais.
Un accord sur la sécurité des bâtiments a été signé le 23 mai entre 40 détaillants européens et des syndicats bangladais. Il ouvre la voie à des inspections de terrain. Une initiative similaire est en cours du côté de groupes d’Amérique du Nord.
Cette prise de conscience survient alors que Washington a décidé, le 6 juillet, de suspendre l’octroi au Bangladesh du bénéfice du système des préférences généralisé (Generalized System of Preferences, GSP), qui accorde une exemption douanière aux importations des pays en voie de développement. La mesure n’aura toutefois guère d’impact sur le Bangladesh, puisque les importations textiles n’étaient pas concernées par le GSP.
Pour Dacca, le principal défi est désormais de convaincre les Européens, qui achètent 60 % des exportations bangladaises de prêt-à-porter en vertu de certaines concessions douanières, de ne pas prendre une sanction équivalente.
Frédéric Bobin, New Delhi Correspondant régional du Monde