L’anticapitaliste : Giorgio, des années et des années de syndicalisme et de mouvement et d’un coup, le projet « ross@ »…
Giorgio Cremaschi : C’est le résultat d’une longue maturation. Les mouvements sociaux, ça me connaît. C’est le trait dominant de ma vie, une vie dans les mouvements. Et pourtant, qu’ils soient aussi forts que celui de Gênes ou celui contre la guerre en 2003 ou fragmentés comme ils le sont aujourd’hui, les mouvements ne se suffisent pas. Leur propre c’est les flux et les reflux.
Les gens ne passent pas toute leur vie sur les barricades, nous, si. Des fois, ils en descendent. C’est avec eux qu’il faut tirer des bilans, synthétiser et consolider les acquis, construire la politique pour qu’ils et elles y reviennent plus forts.
Besoin donc de « subjectivité politique » ?
Au début des années 2000, il existait une expérience intéressante, celle du Parti de la refondation communiste. Mais le rêve d’un PRC capable d’exprimer cette subjectivité s’est évanoui avec la participation au gouvernement Prodi. Or, depuis, la fragmentation de la gauche radicale n’est pas appropriée pour répondre aux besoins des mouvements, pour les consolider et établir une continuité et des cohérences entre eux. En fait, on se retrouve en Italie dans une situation analogue à celles des Etats-Unis.
C’est-à-dire ?
Là-bas, tu fais Occupy Wall Street et, après, tu fais quoi ? Tu votes Obama, c’est-à-dire, le système. En Italie, on en est là. La mobilisation tu la fais, le conflit social aussi. Mais après, politiquement qu’est-ce qui te reste ? Le Parti démocrate, le PD.
Or, si le Popolo delle Libertà, le parti de Berlusconi est celui d’un seul patron, on peut dire avec une boutade que le PD est, lui, celui de tous les autres patrons. C’est ça le vrai désastre italien, le bilan de vingt ans d’anti-berlusconisme.
Il n’y a pas eu, avec Berlusconi un changement fondamental chez les électeurs de droite. Berlusconi n’a fait que rendre un peu plus barbare ce qui existait déjà, une culture conservatrice, catholique et réactionnaire de masse existante sous le fascisme et après dans le vote pour la Démocratie chrétienne.
Donc, le problème est dans l’antiberlusconisme ?
Au début des années ’70, Pier Paolo Pasolini accusait la Démocratie chrétienne d’avoir pollué l’esprit populaire par l’importation de l’idéologie de la consommation. Aujourd’hui, on peut faire le même reproche au PD : c’est l’idéologie du « gagner coûte que coûte » qu’il a introduit dans le peuple de gauche. C’est l’idée que pour battre Berlusconi, il faut être plus libéral que lui.
Le résultat ? Regarde ce qui s’est passé à Rome. Alemanno, le maire sortant [ancien militant néo-fasciste ; ndr] a été battu par Marini, le candidat de centre-gauche. Sauf que ce ne sont pas les quartiers populaires qui ont voté Marini, mais les quartiers les plus bourgeois du centre-ville. Il a été élu avec moins de voix que Rutelli qui, lui, avait perdu contre Alemanno aux élections précédentes. C’est que les couches populaires n’ont pas voté. Ainsi, la gauche s’embourgeoise tandis que le peuple désorienté est livré aux populismes.
Et alors, que faire ?
Il faut d’abord éviter certains manichéismes du genre « le bon peuple trompé par de mauvais dirigeants ».
Le mécontentement social est là, et pour cause. Sauf que s’il ne se traduit pas en compréhension plus large, en cohérence, il risque d’être récupéré par le populisme. Cela me fait penser à ce qui s’est passé à Naples en 1799 : c’est sous la direction d’un cardinal des plus réactionnaires que le peuple affamé s’était soulevé contre la république dirigée par ces Jacobins qu’on accusait de « magna’ pane e bbere vino », soit de manger bien plus qu’à leur faim…
C’est en ce sens qu’il faut une nouvelle subjectivité politique. « ross@ » se propose d’être cet instrument : un instrument fédérateur de la gauche éclatée, en rupture avec la galaxie PD, une galaxie qui attire vers elle les petites forces politiques.
C’est le sens de notre projet : non pas une coordination des forces existantes, mais une nouvelle force politique faite de militant.e.s -qui pourront toutefois rester affilié.e.s à leurs organisations respectives pour autant qu’ils ou elles le soient déjà- capable de construire un projet alternatif, cette gauche de gauche dont on a tant besoin. C’est le 14 décembre qu’elle est appelée à naître.
Interview : Paolo Gilardi