La béatification, dimanche 13 octobre, en Espagne de plus de cinq cents religieux, pour beaucoup morts pendant la guerre civile aux mains de miliciens républicains, a provoqué l’indignation de victimes du franquisme. Alors que le pays peine à faire la lumière sur les exactions commises entre 1936 et 1939, les associations de victimes de la dictature de Francisco Franco ont dénoncé cette béatification comme un « acte politique d’affirmation franquiste ».
« Je m’unis de tout cœur à tous les participants à la célébration », a pour sa part déclaré le pape François dans une vidéo enregistrée, qui a été saluée par des applaudissements nourris à Tarragone, sur la côte orientale de l’Espagne, où les organisateurs attendaient notamment deux mille sept cent vingt religieux et près de quatre mille proches des béatifiés. Le gouvernement conservateur était représenté par ses ministres de la justice, Alberto Ruiz Gallardon, et de l’intérieur, Jorge Fernandez Diaz. Le président de la région de la Catalogne, Artur Mas, était aussi présent.
LA PLUS GRANDE BÉATIFICATION DE L’HISTOIRE DE L’ÉGLISE
Dédiée aux « martyrs du XXe siècle en Espagne », la cérémonie de béatification de cinq cent vingt-deux religieux, morts pour la grande majorité pendant la guerre civile qui a déchiré l’Espagne entre 1936 et 1939, était présentée par les médias espagnols comme « la plus grande béatification de l’histoire de l’Eglise ».
Parmi les béatifiés figurent cinq cent quinze Espagnols et sept étrangers, dont trois Français. Pendant la cérémonie, leurs noms ont été énumérés et une immense affiche avec leurs portraits avait été déployée. Le plus jeune des béatifiés, José Sanchez Rodriguez, membre de l’ordre du Carmel, « a été assassiné à 18 ans contre le mur du cimetière » d’un quartier de Madrid, à l’aube du 18 août 1936, avec sept autres religieux, par « un groupe de miliciens », relatait l’archevêché de Madrid.
La plus âgée, sœur Aurora Lopez Gonzalez, avait fui en juillet 1936 son couvent des alentours de Madrid lorsqu’elle « fut prise par les révolutionnaires ». Elle fut « exécutée, probablement dans la nuit du 6 au 7 décembre 1936 » à l’âge de 86 ans.
La conférence épiscopale espagnole avait apparemment voulu éviter la controverse politique en ne faisant pas allusion à la guerre civile dans l’annonce de la cérémonie, usant du terme plus large de « martyrs du XXe siècle ». Juste avant la prière de l’Angélus, au Vatican, le pape a été plus explicite, déclarant que ce dimanche « sont proclamés bienheureux à Tarragone environ cinq cents martyrs tués pour leur foi pendant la guerre civile espagnole des années trente du siècle dernier ».
« UN ACTE POLITITIQUE D’AFFIRMATION FRANQUISTE »
Pour les associations de victimes de la dictature de Francisco Franco (1939-1975), la béatification était bien un « acte politique d’affirmation franquiste ».
« Vous devez savoir que l’Eglise catholique a soutenu le soulèvement militaire de Franco contre la République espagnole en 1936, a considéré la guerre civile comme ’une croisade’ en soutenant les généraux qui s’étaient soulevés, a légitimé la dictature fasciste et la féroce répression que celle-ci a exercée sur les Espagnols », a écrit la Plate-forme pour une commission de la vérité sur les crimes du franquisme, qui affirme rassembler plus d’une centaine d’associations, dans une lettre adressée au pape François et diffusée vendredi.
« Après la mort du dictateur, rien n’a changé. (...) D’un côté, la hiérarchie catholique espagnole (...) honore certaines victimes avec des béatifications et canonisations en masse et de l’autre, elle oublie celles de la répression franquiste », poursuivait-elle en réclamant l’annulation de la cérémonie.
Parmi les milieux les plus progressistes de l’Eglise, minoritaires en Espagne, des voix s’étaient aussi élevées avant la béatification. « Soixante-quinze ans après ces faits, la hiérarchie de l’Eglise catholique semble vouloir maintenir ouvertes les blessures, en honorant massivement les victimes d’un seul camp », écrivait à la fin de septembre dans un éditorial Redes Cristianas, une plate-forme qui dit réunir « plus de deux cents (...) mouvements catholiques de base » en Espagne.
Malgré la pression internationale accrue ces dernières semaines, avec une demande des Nations unies d’enquêter sur le sort de dizaines de milliers de disparus victimes du franquisme et une enquête ouverte par la justice argentine, l’Espagne invoque une loi d’amnistie pour refuser d’ouvrir ce douloureux dossier.