Il y a actuellement une importante vague de grève au Kenya avec les enseignants du secondaire qui ont commencé leur mouvement mi-juin ont été rejoints, le week-end dernier par le syndicat national des enseignants fort de ses 20 000 membres. Les enseignants demandent à bénéficier des allocations prévues dans l’accord de 1997 au même titre que les autres services publics.
Par ailleurs, les territoriaux sont aussi en grève contre les retards dans le versement de leur paie. A cela s’ajoutent les KK Guards, qui assurent les services de sécurité des ambassades occidentales y compris celle des États-Unis, qui ont débrayé mi-juin. La police elle-même a reçu le feu vert pour former un syndicat.
Albert N.Obed, secrétaire général du syndicat des personnels de maison, des hôtels, de l’éducation des hôpitaux et structures de santé du Kenya (KUDHEIHAW), restitue le contexte dans lequel la grève soudaine et victorieuse des infirmières s’est déroulée.
Drew Povey. Les infirmières de l’hôpital national ont-elles obtenu une victoire significative ?
Albert N. Obed : Oui, il a été convenu que le mois prochain, leur paie seraient augmentée de 46 % (et les indemnités de logement revalorisées de 23 %) avec un effet rétroactif à partir de juillet 2011.
C’est une très grande victoire et toutes les infirmières recevront cette paie majorée.
Après la grève de la semaine dernière, près de 4 000 infirmières de l’hôpital national ont touché 1,3 milliard de shillings kenyans (soit environ 15 millions de dollars) correspondant à l’augmentation des salaires et des indemnités.
D. P. Quelle est l’origine de cette grève des infirmières ?
A. N. O. KUDHEIHAW avait commencé à négocier une nouvelle convention collective en 2009, mais rien ne nous a été proposé. Aussi, en décembre 2010, le syndicat a demandé une augmentation de salaire de 40c% et a déposé un litige au ministère. L’arbitrage n’a rien donné et nous sommes allés au tribunal du travail.
En 2011, nous avons fait une grève à l’hôpital national pour demander la parité entre les salaires des fonctionnaires et les nôtres. Un accord a été trouvé pour augmenter les indemnités, mais le gouvernement a refusé de payer. Alors en février 2013, nous sommes allés de nouveau au tribunal et avons eu gain de cause. Enfin nous avons de nouveau fait grève la semaine dernière et, finalement, le gouvernement a cédé et accepté que la totalité des indemnités et des arriérés de salaires soient payés le mois prochain.
D. P. Le syndicat a-t-il utilisé tactiquement l’appel à la grève ?
A. N. O. Oui, le directeur général de l’hôpital national a été nommé secrétaire permanent du ministère de l’Environnement. Donc deux trois jours avant son entretien pour ce poste devant l’Assemblée, nous avons appelé à une grève sauvage. Le président plutôt que d’avoir à faire face ,à l’Assemblée, à des questions embarrassantes concernant son candidat, a finalement accepté nos revendications dans les deux jours.
D. P. Est-ce que cette victoire va aider les infirmières de l’hôpital référent, Moi, et de l’hôpital Universitaire ?
A. N. O. Oui, il y a deux hôpitaux spécialistes ou référents au Kenya, l’hôpital national Kenyatta à Nairobi et l’hôpital référent Moi à Eldoret dans l’Ouest du pays. La convention collective actuelle pour Moi se termine à la fin du mois. En se basant sur notre victoire à l’hôpital national, le syndicat pourra négocier les mêmes salaires. (Les infirmières de Moi ont émis le lendemain un préavis de grève de deux semaines).
D.P. Est-ce qu’il y a d’autres conflits dans les services de santé ?
A. N. O. Oui, il y a toute une série de revendications. Les hôpitaux provinciaux se mobilisent pour devenir des hôpitaux référents et nous avons des plaintes sur la mauvaise gestion du fond d’assurance de l’hôpital national. Aussi beaucoup de travailleurs de la santé sont inquiets concernant le transfert des responsabilités de leur hôpital, du ministère vers les départements dans le cadre du plan de dévolution.
D. P. Il y a aussi de nombreuses grèves en ce moment ?
A. N. O. Il y a beaucoup de grèves et de conflits, du fait que la plupart des employeurs n’acceptent pas le dialogue social. Cependant avec le nouveau gouvernement qui a promis des créations d’emploi et une politique de tolérance zéro vis à vis de la corruption, les syndicats ont l’impression qu’ils peuvent obtenir un maximum maintenant. C’est notamment le cas, quand les députés et les sénateurs ont demandé plus d’argent pour eux- mêmes plutôt que de se préoccuper de la qualité des services.
Les problèmes économiques aggravés par le printemps arabe sont du ressort du gouvernement et de la Banque Mondiale. Leur politique de privatisation a aggravé la situation des travailleurs. Par exemple, Kenya Bus avait un très bon réseau, mais depuis que cette entreprise a été privatisée, elle n’opère plus aussi bien et beaucoup de travailleurs sont pénalisés par l’augmentation des prix et l’allongement du temps de transport.
Les organisations non gouvernementales sont très efficaces pour organiser des séminaires, des conférences ou écrire des rapports, mais elles ne sont pas d’une réelle aide pour les travailleurs ou nos syndiqués. Ainsi nous ne devons compter que sur nous-mêmes et nous espérons que notre victoire à l’hôpital national encouragera les autres travailleurs à se lancer dans la lutte. Peu importe que le gouvernement puisse se le permettre ou pas, beaucoup de travailleurs considèrent qu’il est maintenant temps de s’engager dans la lutte.
Propos recueillis par Drew Povey le 23 juin 2013