Deux jours après le passage de Haiyan, les Philippines commencent à mesurer l’étendue des dégâts provoqués par le typhon géant. Alors que le gouvernement dit craindre au moins 10 000 morts, les coupures des communications empêchent encore d’établir le contact avec des îles entières, faisant redouter un nombre de victimes toujours plus élevé. Les premières photos, prises notamment d’un hélicoptère, montrent des scènes de désolation rappelant les destructions causées par le tsunami en Asie à la fin de 2004.
Malgré les coupures d’électricité, des témoignages commencent à rendre compte de la violence du typhon, l’un des plus forts à jamais avoir atteint les terres depuis des décennies. Parmi eux, le correspondant permanent de France 2 en Asie, Alain de Chalvron, raconte à francetvinfo la situation dans la capitale philippine. « D’habitude le dimanche, la ville de Manille grouille de monde. Mais là, tout est calme, les gens sont littéralement hébétés. De mémoire d’homme, ils n’ont jamais vu ça », raconte le journaliste. « C’est un tsunami qui a ravagé ce territoire », rapporte-t-il encore, ajoutant que les secours sont débordés et que « tout le monde attend ici l’arrivée des secours américains et australiens. »
Le journaliste d’Al-Jazira, Wayne Hay, a été l’un des premiers à se rendre à Tacloban, ville de 200 000 habitants très touchée par Haiyan. Sur place, il explique que « les gens cherchent inlassablement leurs proches disparus et se mettent en quête de nourriture et d’eau, difficiles à trouver ». L’arrivée des renforts militaires pour organiser les secours est « totalement insuffisant », explique le journaliste.
« NOUS AVONS BESOIN DE RENFORTS »
Deux jours après le passage de Haiyan, les Philippines commencent à mesurer l’étendue des dégâts provoqués par le typhon géant.
Une autre correspondante de la chaîne arabe avait été dépêchée à Tacloban avant l’arrivée du typhon. Sur Twitter, elle racontait dès jeudi qu’il était « impossible de dormir à cause du bruit des vagues qui se déchaînaient sur la côte ». Elle a ensuite raconté la nuit passée dans l’hôtel où elle logeait :
"Vers 4 h 45, nous avons commencé à ressentir pleinement toute la force du typhon, et nous sommes montés au deuxième étage. De là, on pouvait voir les toits emportés par le vent. En dix minutes, l’eau a commencé à monter très rapidement, et nous étions pris au piège, [...] alors nous nous sommes réfugiés dans la petite pièce où avaient été stockées les provisions.
Mon collègue et moi sommes montés tout en haut du bâtiment, sous le toit, et nous avons trouvé des barrils vides pour s’accrocher au cas où nous devrions nous jeter à l’eau. Nous nous accrochions au plafond, quand soudain le toit a été arraché par le vent. [...] Le bruit était incroyable, difficile à expliquer, c’était comme une bête furieuse, on ne pouvait rien voir mais on pouvait seulement sentir tous les débris qui volaient partout autour de nous, pendant deux heures. Tout ce que nous avions autour de nous s’était envolés, à l’exception des vêtements qu’on portait.
Ensuite seulement, nous avons commencé à voir de nombreux cadavres autour de nous. Tout avait été aplani, détruit, c’était devenu une ville fantôme en seulement deux heures. [...] Nous voyons maintenant des hélicoptères qui survolent la zone. Il y a des pillages, nous avons besoin de renforts pour assurer la sécurité.
Le gouvernement estime qu’il y a 20 000 ou peut-être 30 000 morts, mais je pense que ceux qui sont coincés dans l’eau vont mourir aussi car aucun secours ne pourra les sauver à temps."
Interrogée sur la situation au lendemain du passage du typhon, la journaliste a expliqué qu’il n’y avait « ni nourriture ni eau, et les médecins à l’hôpital s’occupent des blessés sans électricité ni bougie. La situation est vraiment désespérée ».
« LES CADAVRES SE DÉCOMPOSENT »
Un « chasseur de cyclones » nommé Josh Morgerman était également présent à Tacloban. Evacué par hélicoptère avec deux de ses amis vers Cebu, il a posté une vidéo prise de l’hôtel où il séjournait.
Sur Facebook, il a également raconté « les bâtiments défoncés et les arbres déracinés, le pillage généralisé et les cadavres qui se décomposent ».
"Le passage du typhon n’a duré que quelques heures, mais a frappé la ville avec une férocité terrifiante. Au pire de la tempête, le vent était comme un cri, et les fenêtres explosaient tandis que notre solide hôtel de béton tremblaient sous les impacts des débris volants.
Au premier étage de l’hôtel, les gens ont dû briser les fenêtres de leur chambre pour éviter de se noyer, et criaient à l’aide. Nous avons dû laisser nos caméras pour leur venir en aide et porter les plus âgés et les handicapés vers le deuxième étage. La jambe de Mark [un autre « chasseur de cyclones »] a été entaillé par un débris et il a besoin d’être opéré. [...] Il n’y a aucune communication possible avec le monde extérieur. Les hôpitaux sont submergés de blessés graves."
Une seconde vidéo montre l’état de dévastation de la ville de Tacloban. « C’est comme si une tornade venait de passer sur nous, et que la tornade avait duré pendant quatre heures », explique un témoin.
« RIEN N’AURAIT PU NOUS PRÉPARER »
Les correspondants de la chaîne chinoise CCTV étaient également présents sur l’île Leyte, très touchée par le passage du typhon. Dans leur reportage, ils expliquent avoir « essayé de fuir le bord de mer et de gagner la ville, mais la tempête était déjà trop forte et [ils ont] dû faire demi-tour ».
Les vidéos tournés par les journalistes chinois montrent la montée subite des eaux, qui « rappellent les images d’un tsunami ». Transférés dans un autre hôtel alors que le premier venait de s’effondrer, les journalistes expliquent face caméra « espérer s’en sortir ». « Rien n’aurait pu nous préparer à cette apocalypse », racontent les correspondants.
Un journaliste de Reuters a pu également recueillir des témoignages à Tacloban. « Les gens marchent comme des zombies à la recherche de nourriture », explique notamment Jenny Chu, un étudiant en médecine, « c’est comme dans un film ». Un chauffeur de taxi de 44 ans raconte également comment il a dû se réfugier dans une voiture avec sa femme et sa fille de 8 ans après que l’eau est montée « à la hauteur des cocotiers ». « Nous avons ensuite été emportés par l’eau, beaucoup de gens flottaient et agitaient leurs bras et criaient à l’aide, mais que pouvions-nous faire ? Nous avions besoin d’aide aussi », explique-t-il.
La journaliste de CNN Paula Hancocks a pu survoler la région de Tacloban pour constater l’étendue des dégâts. « On peut voir qu’il reste beaucoup d’eau stagnante, et qu’il n’y a quasiment plus aucun arbre debout, ce qui montre la force de la montée des eaux et du vent. [...] En s’enfonçant dans les terres, on trouvera plus de morts et de blessés », explique la correspondante.
L’équipe de la BBC a, pour sa part, expliqué que « des centaines de gens se pressaient à l’aéroport, pourtant ravagé par la tempête, pour essayer d’être évacué. »
Le Monde.fr
* * Le Monde.fr | 10.11.2013 à 11h49 • Mis à jour le 10.11.2013 à 21h08.
Les autorités craignent plus de 10 000 morts aux Philippines après le typhon
Le bilan des pertes humaines après le passage du typhon géant Haiyan aux Philippines ne cesse de s’alourdir. Faute de moyens de communication opérationnels dans le pays, les secours ont cependant beaucoup de mal à s’organiser, deux jours après le passage du plus puissant typhon mesuré à ce jour parmi les cyclones ayant touché terre. Deux îles du centre de l’archipel, Leyte et Samar, qui se trouvaient exactement dans la trajectoire de Haiyan quand il a frappé vendredi à l’aube, sont particulièrement affectées.
Selon les dernières estimations, près de 10 000 personnes pourraient avoir péri dans la seule ville de Tacloban, la principale cité sur l’ïle de Leyte, a annoncé samedi 9 novembre un haut responsable de la police régionale. La ville compte 220 000 habitants et l’île 1,7 millions au total. Environ « 70 à 80 % des constructions et des structures situées sur la trajectoire du typhon ont été détruites », a-t-il ajouté. Des vents atteignant 315 km/h ont été enregistrés et les eaux ont englouti des villes côtières, qui ont été rayées de la carte.
Le précédent bilan, donné samedi soir par la Croix-Rouge, faisait état de 1 200 morts, dont 1 000 dans la seule province de Leyte. Les autorités ont également confirmé la mort de 300 personnes et la disparition de 2 000 autres sur l’île de Samar, dans le centre de l’archipel. Des dizaines de morts ont également été annoncées dans d’autres villes et provinces ravagées par le super typhon, qui s’avançait sur un front de 600 kilomètres.
Plus de 480 000 personnes ont été déplacées et 4,5 millions « touchées » d’une manière ou d’une autre par le typhon dans 36 provinces, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (BCAH). De nombreux touristes se retrouvent coincés.
DES SOUVENIRS DU TSUNAMI DE 2004
Maisons rasées, pylônes électriques au sol, voitures retournées et rues parcourues par des survivants hébétés : le paysage évoquait pour certains les destructions causées par le tsunami en Asie à la fin de 2004. Dans ce décor de fin du monde, des files d’hommes, de femmes et d’enfants avancent le long des routes, le nez recouvert d’un tissu pour masquer l’odeur pestilentielle des cadavres.
« Ce sont des destructions massives. (...) La dernière fois que j’ai vu quelque chose de cette ampleur, c’était à la suite du tsunami dans l’océan Indien », qui avait fait 220 000 morts en 2004, avait affirmé samedi soir Sebastian Rhodes Stampa, le chef de l’équipe de l’ONU chargée de la gestion des désastres. « Les destructions sont énormes », a renchéri le secrétaire aux affaires intérieures philippin, Manuel Roxas. « Imaginez une bande d’un kilomètre le long de la côte : toutes les maisons, tout est détruit. Elles ont été balayées comme des allumettes. »
D’autres provinces ont, elles aussi, été traversées par Haiyan, doté d’un front de quelque 600 kilomètres, et de nombreuses communautés restaient toujours injoignables dimanche. Baco, ville de 35 000 habitants dans la province du Mindoro Oriental, est à 80 % sous l’eau, signalent les Nations unies. L’inquiétude est vive concernant le sort des 40 000 habitants de la cité portuaire de Guiuan, point d’entrée du typhon dans ce pays vendredi à l’aube. Aucun contact n’a pu être établi.
L’aide tarde à arriver. A Tacloban, Emma Bermejo, propriétaire d’une petite pâtisserie, évoque des scènes d’« anarchie ». « Il n’y a aucun membre des forces de l’ordre, l’aide met trop de temps à arriver. Les gens sont sales, affamés et assoiffés. Encore quelques jours et ils vont commencer à s’entretuer », assure-t-elle. Haiyan devrait toucher le Vietnam dimanche soir après s’être affaibli en mer de Chine du Sud.
* Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 10.11.2013 à 02h50 • Mis à jour le 10.11.2013 à 17h38