Le Sultanat d’Oman célèbre aujourd’hui à la fois l’anniversaire de son dirigeant, le Sultan Qabous, et celui de la prise du pouvoir de ce dernier il y a quarante-trois ans : les traditionnelles manifestations d’allégeance des sujets ne peuvent pourtant cacher le profond malaise que vient de connaître le Sultanat : la plus longue grève de son histoire, celle des enseignants, tout au long du mois d’octobre.
Celle-ci n’est pas survenue comme une tempête dans un ciel serein. En 2011 et pendant six mois d’affilée le Sultanat a été le théâtre de manifestations « pour la réforme du régime » accompagnées de mouvements sociaux inédits. Ces derniers se sont poursuivis en 2012 et 2013, à l’initiative des travailleurs du pétrole (compagnie nationale et sous traitants), des travailleurs de l’aéroport international (immigrés et omanais), des enseignants, et des populations victimes de nuisances écologiques (gouvernorat de Liwa). Toutes ces luttes sont dispersées et reposent sur l’auto organisation des populations, le syndicat récemment créé n’organisant aucune de ces catégories.
Les enseignants d’Oman ont commencé la grève le 1er octobre 2013. Le mouvement initialement prévu pour trois jours, a été reconduit pendant plus de trois semaines, y compris après la semaine de congés de l’Aïd. La reconduction s’explique par l’absence de réponse aux revendications du côté du ministère de l’éducation. Toutefois, il a du passer outre les réactions parfois peu amènes des parents ou de la société, le black out médiatique et l’absence de solidarité internationale.
Il y a 1047 écoles publiques à Oman pour 518 000 élèves officiellement, réparties sur l’ensemble du territoire. Le premier jour de grève a vu 743 écoles en grève. Les enseignants n’ont pas de syndicat, à l’instar d’autres catégories de fonctionnaires comme les médecins.
Les enseignants à Oman sont considérés comme des travailleurs du « service civil »en vertu de l’article 12 de la loi fondamentale et leur statut diffère de d’autres fonctionnaires en ce qui concerne l’avancement, mais aussi leur fonction qui n’est pas clairement définie et peut englober les temps de récréation, d’étude, et autres activités extra et para scolaires.
Cette grève exceptionnellement longue et massive n’est pas le premier mouvement des enseignants. Le 10 octobre 2011, à l’occasion d’une journée de grève portant sur des revendications similaires, des enseignants s’étaient rassemblés pacifiquement devant la direction générale de l’éducation de Rostoq dans le gouvernorat de la Batina sud. Les forces anti émeutes avaient encerclé le groupe et chargé. Coups de gourdins et de matraques, arrestations avaient choqué, justement parce que la profession est chargée d’un poids moral. Or c’est cet aspect « mission » qui va se retourner contre eux en 2013. (On comprendra mieux cet aspect si on se rappelle qu’en 1972, il y avait trois écoles, trente enseignants, neuf cent écoliers et pas une écolière).
Les revendications présentées par les enseignants et enseignantes d’Oman sont de deux ordres ; les revendications portant sur les statuts et l’organisation de la profession, telles une loi sur l’enseignement et un syndicat des enseignants, une assurance santé et une académie des enseignants, soixante jours de congés payés, des classes plus petites, et un maximum de 20 classes par semaine (elles peuvent atteindre 40 actuellement), l’avancement des enseignants entrés en fonction en 1990 à 1993, en d’autres termes des avancements basés sur l’ancienneté, une revalorisation salariale. Une autre série de revendications portent sur l’institution, les méthodes, la non mixité . La logique qui préside à ce cahier de revendications est que la profession fasse l’objet d’une loi qui la fasse sortir du service civil.
Les revendications ont été présentées par des communiqués diffusés dans les réseaux sociaux dans le mois précédant la grève, notamment à l’occasion de la tenue d’un congrès intitulé « L’enseignement et les compétences du vingt et unième siècle » sous l’égide du ministère de l’Education et de l’enseignement d’Oman qui avait vu la participation d’experts arabes et locaux et avait clos ses travaux le 24 septembre dernier. Plusieurs pages consacrées au mouvement et ont été ouvertes sur ces réseaux notamment Twitter et Hash tag.
Le 9 octobre, un millier d’écoles étaient en grève, soit 70% des 50 000 enseignants, ces derniers se rendant dans les écoles mais renvoyant les élèves chez eux, provoquant des réactions dispersées chez les parents, ce que le pouvoir a voulu exploiter. Le directeur de l’école Jaber Ben Zaïd, à Al Wattaya, non gréviste, a notamment relaté qu’une équipe de télévision accompagnée du présentateur Khalfan Al Asmi, s’était précipitée le 6 octobre dans son école sachant qu’elle n’était pas en grève pour y faire un reportage afin de montrer à l’opinion que tout était calme comme à l’ordinaire. Mais le directeur avait renvoyé l’équipe, car, il était solidaire des grévistes et refusait que la télévision vienne semer la discorde entre enseignants . Cette anecdote illustre, d’une part que des non grévistes ont pu soutenir le mouvement, mais aussi que les médias se sont empêtrés dans deux attitudes contradictoires voulant prouver à la fois que « tout est calme » mais aussi surfer sur les sentiments mitigés des parents dont les enfants sont restés à la maison pendant de longues semaines.
Au début de la grève, Madiha Alchaibani, la ministre de l’Education, a cherché à temporiser et a appelé à la patience à la télévision, parlant d’une future loi sur l’enseignement devant répondre aux revendications, mais rappelant aussi que l’enseignement devait continuer dans l’attente de ce qui ne pourrait advenir du jour au lendemain. Tandis que des portes paroles officieux faisaient savoir sur les réseaux sociaux que la grève n’était pas « légale » eu égard au « service civil » qu’était l’enseignement à Oman, une menace à peine voilée.
La commission de l’éducation du conseil de la Choura (assemblée consultative) s’est déclarée sensible à certaines revendications des enseignants tout en leur suggérant de reprendre immédiatement leur mission. Une rencontre avec le directeur général de l’Education au ministère, a débouché sur la promesse d’un calendrier portant sur l’étude des hausses de salaires, la rédaction d’un protocole de l’enseignement. Le ministère s’est aussi engagé à promouvoir les enseignants tous les quatre ans et à revoir l’avancement des enseignants depuis 1992 et 1993. Le ministère a aussi promis des salles de sports dans les gouvernorats de Sib, Amirat et Quriyat avec enseignants pour les deux premiers.
En revanche, le ministère n’a pas accédé à la revendication de la non-mixité (les écoles sont mixtes jusqu’à l’âge de dix ans), celle-ci relevant du conseil des ministres, et a mégoté sur la revendication des vingt classes par semaine, estimant que les standards internationaux étaient de vingt huit classes de quarante cinq minutes. Cinquante écoles de Mascate devraient être desservies par des navettes et dotées de fournitures et les budgets devraient être revus à la hausse.
Les enseignants objecteront que la concentration des dotations sur la capitale revient à priver les autres régions.
Les enseignants ont reçu le soutien moral du grand mufti du Sultanat, ainsi que celui des académiciens.
Au bout de trois semaines de grève, le ministère de l’Education et de l’enseignement a déclaré qu’il allait prendre les mesures administratives et légales contre les grévistes s’appuyant sur l’article 106 de la loi du service civil relative aux devoirs des fonctionnaires, et allait recourir aux sanctions prévues à l’article 116 (avertissement, retenue sur salaire pour une période ne pouvant dépasser trois mois par an, suppression de l’avancement automatique, réintroduction au plus bas échelon, suppression de la retraite, et licenciement) et 103 de la loi sur le service civil. Le ministère a déclaré travailler en coordination avec le Parquet pour des faits de grève et d’incitation à la grève (demander aux chauffeurs de bus scolaires de ne pas procéder au ramassage des élèves). Dans la pratique, ce fut la constitution d’équipes par gouvernorats pour faire le point école par école.
Si dans certains cas parents et l’opinion publique ont parfois estimé que les enseignants faillaient à leur « mission », il est pour autant certain que « soutiens » ou « détracteurs », tous s’accordent à dire que « le message est passé » ce qui est la première victoire remportée par la profession. D’autant plus qu’il semble y avoir eu un black out médiatique sur ce mouvement.
Le ministère a menacé de procéder à des retenues sur salaires, puis s’est rétracté. Ce qui n’a pas empêché la répression de se poursuivre, cette fois-ci sur le plan sécuritaire : les ministères de l’Education, du service civil et de la Sureté ont d’ores et déjà procédé à l’interpellation de directeurs et directeurs adjoints d’école.
Sans piper mot de la grève des enseignants, trois dirigeants du pays et non des moindres ont réagi simultanément au début du mois de novembre :
Lors de la 37e session de la conférence de l’UNESCO à Paris, la ministre de l’Enseignement et de l’éducation annonçait le 7 novembre la refonte des structures éducatives à Oman.
Un décret royal donnait aux enseignants le sentiment d’avoir joué un rôle non négligeable : il prévoit l’unification des échelons et des salaires pour les fonctionnaires qui devrait prendre effet dès 2014. Le régime des retraites devrait également être unifié et revalorisé . En somme : des augmentations salariales, qui n’étaient pas prévues au budget de 2014 et qui sonnent comme une réponse au mouvement. Cet engagement est toutefois tempéré par une conditionnalité liée aux revenus du pétrole dans le futur.
La joie des enseignants sera d’autant plus mitigée qu’était émis quasi simultanément un décret du ministère de la Main d’œuvre : « Il est interdit de faire grève ou d’y appeler dans des institutions qui fournissent des services publics ou essentiels pour le public ou dans les institutions pétrolières et les raffineries, les ports et les aéroports » et plus loin : « En cas de revendications de la main d’œuvre dans les établissements couverts par l’interdiction de faire grève, une commission est constituée par décret ministériel présidée par un représentant du ministère avec la participation d’un représentant de la chambre de commerce et de l’industrie d’Oman, et de l’Union générale des travailleurs et des représentants des parties au conflit ». Ces parties devront parvenir à un accord dans les trois semaines et en cas d’échec, soumettre le problème à la juridiction compétente. En tout état de cause un autre article prévoit qu’en cas de grève, les jours non travaillés seront non payés et considérés comme une absence non justifiée. Les employeurs pourront également déférer les grévistes en justice. Les secteurs visés par ce décret sont ceux-là mêmes qui ont défié le pouvoir par leurs grèves depuis deux ans.
Luiza Toscane, 18 novembre 2013