Le 10 août 2012, les mineurs de la mine de Marikana commençaient une grève qui va échapper au contrôle du syndicat officiel – National Union of Mineworkers (NUM) – lié au gouvernement de l’ANC. Le 16 août, 34 grévistes sont assassinés. Le 18 septembre, après six semaines de lutte, les 38’000 mineurs de platine du complexe Lonmin de Marikana obtiennent une augmentation de salaire se situant entre 11% et 22%. D’autres revendications restent à régler.
Malgré l’opposition des appareils bureaucratiques, les mineurs ont organisé, dès le 18 août, des cortèges qui se rendaient de mine en mine, où des débrayages de solidarité avaient eu lieu. La grève a pris alors une ampleur qui a contraint le numéro un du platine à l’échelle mondiale, Anglo Platinum, d’arrêter sa production dans les mines du bassin de Rustenburg.
Les compagnies minières voulaient ainsi mettre fin à l’extension de la grève dans tous les secteurs miniers. Elles utilisaient le chantage aux licenciements. Les forces de répression du régime – donc du gouvernement de l’ANC – furent appelées. Le 15 septembre, les blindés, appuyés par des hélicoptères, envahirent le plus grand bidonville habité par les grévistes de Marikana : Nkageng. Le 19 septembre : un soulèvement eut lieu dans ce bidonville suite à la mort d’une conseillère municipale, blessée le 15 septembre. L’armée, au même moment, quadrillait la région de Rustenburg. La permanence de l’apartheid se manifestait ainsi dans plus d’un aspect.
D’ailleurs, l’envoyé du Financial Times (29 août 2012), Andrew England, se devait de reconnaître non seulement les terribles conditions de travail, le nombre élevé d’accidents, mais aussi la misère des logements « offerts » par les compagnies minières, ou encore le fait que pour disposer d’un salaire un peu plus élevé, les mineurs vivaient dans des bidonvilles sans eau et sans installation sanitaire. Une autre ressemblance avec la période de l’apartheid, dans ce pays où 40% de la population vit en dessous de ladite « ligne de pauvreté ».
Toutes ces menaces n’ont pas abouti à faire reculer les mineurs de Marikana. Ceux d’autres mines – Anglo Platinum (26’000), d’Aquarius et Xstrata – entrèrent aussi en grève. Elle s’étendit aux mines d’or. Le 29 août, 46’000 mineurs du complexe KDC Goldfields, près de Johannesburg, arrêtaient le travail ; il en alla de même chez Anglo Gold Ashanti.
Il faut avoir à l’esprit que l’industrie minière reste un élément clé du capitalisme sud-africain. Le déclin relatif des mines d’or (150’000 travailleurs) a placé les mines de platine en tête du secteur : 180’000 travailleurs et 58,7% de la production mondiale. L’ensemble des autres mines (charbon, minerai de fer, chrome, diamant, etc.) exploitent environ 170’000 travailleurs. Les principales compagnies sont Lonmin, Anglo American Platinum, Gold Fields, AngloGold Ashanti et Impala Platinum.
La réaction du président Jacob Zuma est à la hauteur de l’intrication entre l’élite de l’ANC et le grand capital. Au même titre que la presse financière sud-africaine, qui insistait sur le danger que l’Afrique du Sud « perde son attractivité » auprès des investisseurs internationaux, étant donné la « fin de la stabilité sociale », Jacob Zuma ajouta à l’utilisation des blindés celle des discours du secrétaire (Zwelinzima Vavi) de la centrale syndicale, la COSATU, dont le NUM est une fédération. Il ne cessa de déclarer que ces grèves étaient illégales, justifiant la répression. La position de Zuma est bien résumée par le Financial Times du 19 septembre 2012 qui le cite affirmant : « Nous devons trouver le moyen de restaurer la stabilité sur les lieux de travail et la paix du travail. La violence [des grévistes] ne peut devenir une culture des relations de travail. »
Son discours ne semble pas avoir été trop écouté par les travailleurs d’Afrique du Sud. Ainsi, le 24 septembre 2012, 28’000 travailleurs du secteur des transports ont débrayé dans le pays, au cri de « Marikana ! Marikana ! ». Un hommage rendu aux 34 mineurs tués. Le 25 septembre, les autorités devaient reconnaître que 100’000 travailleurs des transports et des mines étaient en grève. Le vendredi 28 septembre, les mineurs d’une mine de chrome organisaient une grève (sit-in) au fond de la mine, revendiquant une hausse de salaire identique à celle initialement avancée à Marikana.
Les mineurs de Marikana ont lancé un appel pour la création d’un « Comité de grève unifié », réunissant aussi bien les travailleurs des transports, ceux des mines que des représentant·e·s des populations vivant dans les bidonvilles. Et cela sans distinction d’affiliation syndicale ou partisane. Un double mouvement semble s’opérer : d’une part, une volonté de reconquête et de contrôle des instruments de lutte (syndicats, entre autres) et, d’autre part, l’ouverture d’un débat sur la question clé : « A qui appartient cette terre ? » Dans ce sens, Marikana marque une rupture.
Rédaction de A l’Encontre