Kshama Sawant, enseignante en économie dans un collège, membre du syndicat des enseignants et militante du mouvement Occupy Seattle s’est présentée comme candidate ouvertement socialiste [1] au Conseil de Ville de Seattle contre le démocrate Richard Conlin qui en était membre de longue date. La campagne de Sawant a reçu le soutien de quatre syndicats majeurs, d’organisations de défense de l’environnement et de nombre de personnalités de gauche. De même, Ty Moore, un ancien chauffeur de bus et organisateur de quartier, s’est présenté au Conseil de Ville de Minneapolis avec l’appui d’un grand syndicat, d’une organisation LGBT, du parti Vert et d’une organisation locale se battant contre les expulsions d’habitant·e·s. Les deux campagnes furent organisée par Socialist Alternative, organisation de tradition trotskiste affiliée au « Comité pour une internationale ouvrière ».
Une exception politique
Ces campagnes sont d’autant plus remarquables qu’elles sont une exception politique aux USA. Il y a plus de 100 ans qu’Eugene Debs, dirigeant du syndicat des chemins de fer s’est présenté comme candidat socialiste à la présidence des USA en 1912, engrangeant 900 000 voix, soit 6 % du total. Les partis socialiste et communiste ont présenté des candidats au cours années 1920 et 1930, mais en ne recueillant qu’un nombre infime de voix. Au milieu des années 1930, tant les socialistes que les communistes en étaient arrivés à soutenir tacitement le Parti démocrate et, à l’exception des candidatures à répétition de Gus Hall pour le PC, il y a eu peu de candidatures socialistes durant les années 1950 et 1960.
Au cours des années 1970, le Socialist Workers Party trotskiste mena de nombreuses campagnes électorales, locales, à l’échelle des Etats ou nationales, comprenant la candidature à la présidence de Peter Camejo en 1976. Des groupes maoïstes aux USA, marchant dans les traces des PC de la période des Fronts populaires, ont soutenu certains candidats democrates et ont travaillé avec enthousiasme à la campagne de Jesse Jackson, leader afro-américain du mouvement des droits civiques, qui a brigué la présidence en 1984 et 1988. Seul le petit et très sectaire Party of Socialism and Liberation a eu une présence significative à l’occasion d’élections locales.
Depuis, la gauche étasunienne a soutenu les campagnes du parti vert, principalement la campagne de Ralph Nader en 2000 qui a obtenu 2,7 % des votes. Durant les années 2000, la plupart des militant·e·s de la gauche étasunienne ont travaillé dans des syndicats et des mouvements sociaux, sans tenter de créer une alternative politique socialiste. Ma propre campagne (newpol.org/content/socialist-campaign-ohio) dans l’Ohio pour un siège au Sénat des USA a été l’une des rares exceptions. Les campagnes de Sawant et Moore sont donc un développement bienvenu.
Comment expliquer ces bons résultats ?
Les bons résultats de Sawant et Moore dans ces élections sont significatifs du fait de la taille et de l’importance des villes en question. Seattle a 650’000 habitant·e·s avec une zone urbaine qui en comprend 3,7 millions, alors que Minneapolis a 400 000 habitant·e·s avec une zone urbaine de 3,3 millions. Seattle est une ville importante du pourtour du Pacifique avec des liens économiques avec la côte ouest des USA, le Canada et l’Asie, alors que Minneapolis est un nœud économique du Midwest qui n’est dépassé que par Chicago. Ainsi, les résultats forts de socialistes dans ces villes ont une signification nationale.
Pourquoi Sawant et Moore ont-ils si bien réussi ? Les deux ont des personnalités engageantes et sont des activistes respectés dans leurs communautés qui ont construit de fortes organisations de campagne. Les deux ont fait campagne sur des thèmes d’importance non seulement locale, mais nationale. Sawant par exemple a appelé à une augmentation du salaire minimum de 7,25 à 15 dollars, pour une imposition accrue des millionnaires et des grandes entreprises afin de financer des emplois, l’éducation et les services publics locaux, pour l’organisation syndicale des travailleurs·euses aux plus bas salaires, pour des logements à prix abordable, pour en finir avec le profilage racial et la brutalité de la police, pour un moratoire sur les déportations et des droits civiques pour les sans-papiers et pour un financement adéquat pour des écoles publiques avec des effectifs de classes plus petits.
La perspective socialiste
Sawant et Moore n’ont pas parlé que de problèmes locaux immédiats, mais aussi de la nécessité de remplacer le capitalisme par le socialisme. Le site Internet de Sawant proclamait : « La seule solution c’est de se battre pour changer le système et remplacer le capitalisme, système d’exploitation dont le moteur est le profit, par une société socialiste et démocratique. Rejoignez-nous dans la lutte pour une alternative socialiste afin de libérer la planète de la pauvreté, de l’exploitation et de la guerre ! »
On pourrait imaginer que la crise économique et sociale persistante aux USA depuis le crash de 2008, accompagnée par les programmes d’austérité gouvernementaux, a enfin suscité une réaction politique. Et il y a en effet des quartiers dans ces deux villes à haut taux de chômage et dont des centaines d’habitant·e·s ont été expulsés de leurs logements, mais Seattle et Minneapolis ne sont pas des villes aussi dévastée que Detroit par exemple. Tant Seattle que Minneapolis ont des économies fortes et diversifiées, avec des taux de chômage et de pauvreté bien en dessous des moyennes nationales. Le taux de chômage à Seattle ainsi qu’à Minneapolis est de 4,7 % seulement, alors que le taux national est de 7,2 % et qu’il est de 18,8 % à Detroit. Seattle et Minneapolis ont bien sûr leurs problèmes, mais elles sont parmi les villes des USA qui se portent le mieux.
Qu’est ce qui explique alors le bon accueil des candidatures socialistes ? Il y a des facteurs démographiques et culturels. Les deux villes sont considérées comme progressistes ayant une culture politique tolérante. Elles ont des économies diversifiées et des secteurs industriels de haute technologie qui attirent de jeunes travailleurs·euses avec de bons niveaux d’éducation (beaucoup de geeks et de nerds). Les deux villes ont été classées par la CNBC parmi les villes les plus accueillantes pour les jeunes grâce à leurs espaces verts, leur diversité, leur lieux de fête et de loisirs, une culture artistique indépendante et encourageant la création indépendante.
Conscience de classe et contre-culture
Les succès des campagnes de Sawant et Moore s’expliquent peut-être moins par la crise économique et sociale, que par les attitudes qui se transforment de jeunes étasuniens·nes devenus bien plus critiques envers le gouvernement et les corporations, plus ouverts à la diversité raciale, ethnique et de genre et plus préoccupés par les thèmes environnementaux et par la qualité de la vie. Ce que nous voyons peut-être c’est un développement d’une conscience de classe ouvrière en même temps que le développement d’une contre-culture anticapitaliste. On a vu quelque chose de similaires dans les années 70 quand un mouvement social radical et un mouvement contre-culturel se sont développés simultanément.
Espérons que ces tendances en développement s’incarneront dans des mouvements sociaux plus militants et des nouvelles campagnes politiques socialistes plus nombreuses.
Dan La Botz