La population japonaise reste majoritairement en faveur d’une sortie du nucléaire, mais les élections se jouent avant tout sur d’autres terrains : économie, tensions régionales ou, à Tokyo en particulier, préparation des Jeux olympiques de 2020. Ainsi, les Tokyoïtes ont élu le 9 février à 42.86% un nouveau gouverneur, Yoichi Masuzoe, 65 ans, soutenu par la coalition au pouvoir, le Parti libéral-démocrate (PLD) et le Nouveau Komeito. Bien que se déclarant « en principe » contre le nucléaire et s’engageant à faire passer à 20% la part des énergies renouvelables dans la capitale, Masuzoe s’oppose à une sortie immédiate de l’atome affirmant que les alternatives ne sont pas prêtes. De fait, il a été le candidat préféré de la droite pro-atome.
Yoichi Masuzoe a ciblé sa campagne sur les JO de 2020 et sur son expérience d’ancien ministre de la santé, ce qui lui a permis de donner un visage « humain » à sa candidature : politique de prévention des risques, développement de crèches et d’aide sociale, éducation, réponse au vieillissement de la population tokyoïte... Il a aussi pu se targuer du soutien de la principale confédération syndicale, Rengo. Un autre candidat de droite, ancien chef des forces aériennes, nationaliste agressif et négationniste, était en lice, Toshio Tamogami, 65 ans. Il avait le soutien personnel d’Ishihara, codirigeant du Parti de la Restauration du Japon.
Le choc provoqué par la catastrophe de Fukushima il y a trois ans a été tel que de hauts responsables politiques se sont engagés à renoncer à cette source d’énergie. C’est le cas de plusieurs anciens Premiers ministres dont Morihiro Hosokawa, 76 ans, lui aussi candidat à l’élection de Tokyo. Il était soutenu par un autre ex-Premier ministre devenu antinucléaire, Junichiro Koizumi, et a centré sa campagne presque exclusivement sur la question de l’énergie atomique.
Un second candidat antinucléaire était en lice, Kenji Utsunomiya, 67 ans, ancien président de la Fédération des barreaux du Japon, un avocat progressiste connu notamment pour l’aide qu’il a apportée aux personnes lourdement endettées vis-à-vis de prêteurs liés aux mafias, ou aux victimes de la secte AUM du culte Shinrikyo. Il a intégré dans sa campagne la question de l’atome et d’une alternative au néolibéralisme.
Le mouvement antinucléaire s’est divisé à l’occasion de l’élection au gouvernorat de Tokyo. Disons en simplifiant que l’aile « citoyenne », moins « politisée », a soutenu par « réalisme » Hosokawa, espérant qu’il avait plus de chance d’engranger un bon résultat électoral. L’aile « gauche », a appelé à voter pour Utsunomiya, jugeant qu’il n’était pas possible d’appuyer un candidat incarnant par ailleurs une politique néolibérale de droite. En ce qui concerne les partis, Utsunomiya a ainsi reçu le soutien du PC, du Parti social-démocrate ou de courants d’extrême gauche comme la Ligue communiste révolutionnaire.
Le « réalisme » n’a pas payé, puisque l’avocat Kenji Utsunomiya est arrivé en seconde position avec 19.93% des voix, un poil devant Morihiro Hosokawa, en troisième position avec 19.39%. L’ultranationaliste Toshio Tamogami occupe la quatrième place avec 12.39% (il y avait 16 candidats, tous des hommes.)
La participation a été très faible, 46.14 %, en chute libre par rapport aux 62.60 % du précédent scrutin de décembre 2012. Certes, la veille, une tempête de neige sans précédent avait frappé Tokyo, mais cela ne suffit pas à expliquer l’ampleur de l’abstention.
La victoire haut la main de Yoichi Masuzoe ne constitue pas un désaveu de l’opposition à l’énergie atomique, vu le profil de la campagne qu’il a menée et le score combiné des deux candidats antinucléaires (près de 40%). Mais elle montre que des élections ne se jouent pas aujourd’hui sur la seule question énergétique – et qu’au Japon comme ailleurs, malgré Fukushima, une alternative plus globale sur le plan électoral reste largement à bâtir. Quant au mouvement antinucléaire, il va lui falloir maintenant reconstruire son unité.
Pierre Rousset