« Toute notre vie, chaque jour, nous sommes à un point de départ. » C’est l’expérience que vivent plus intensément que d’autres les sinistrés du séisme et du tsunami du 11 mars 2011, selon Genyu Sokyu, moine de la secte zen Rinzai et chef du temple de Fukuju-ji, à Miharu, petite ville située à une quarantaine de kilomètres de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima.
Pendant des semaines, après l’accident, il a vu arriver les réfugiés du nucléaire, « dispersés à travers la région et le reste du pays ». Ecrivain et essayiste, distingué en 2001 par le prix Akutagawa (l’équivalent du prix Goncourt en termes de notoriété) pour son roman Au-delà des terres infinies (Ed. Philippe Picquier, 2008), Genyu Sokyu s’efforce de leur venir en aide et de réfléchir sur ce désastre. Il vient de publier au Japon un recueil de nouvelles, La Montagne de lumière (à paraître en français chez le même éditeur), inspirées par « la confusion psychologique qui est la mienne depuis la catastrophe », dit-il.
UNE RÉFLEXION NOURRIE DU MESSAGE BOUDDHIQUE
Avant d’être moine, Genyu Sokyu, né en 1956, fils d’un bonze, a fait des études de chinois classique puis mené une vie vagabonde, qui a enrichi sa réflexion nourrie du message bouddhique.
« Quand tout a disparu, biens matériels et êtres chers, comme c’est le cas pour les victimes, on ne repart pas de zéro : on est en deçà, affirme-t-il. Il faut lentement remonter à la surface pour rejoindre un point de départ. Certains ne le peuvent pas : ils sont prisonniers de ce provisoire dans lequel on les a laissés se noyer. La phase de tension est passée, mais ils sont perdus. Pour endurer, il faut savoir qu’il y a une limite. Mais pour eux, le transitoire est devenu un état perpétuel. Alors, ils s’isolent, se renferment sur eux-mêmes. C’est le sort de beaucoup dans les logements provisoires. Ils savent qu’ils sont condamnés à vivre un désastre illimité dans le temps. »
« LA FORCE DE LA NATURE, L’IMPRÉVOYANCE DE L’HOMME »
Dans ses nouvelles, Genyu Sokyu s’efforce de montrer que, pour vivre avec la radioactivité, on ne peut que s’attacher aux plus infimes expressions de la force de vie, comme le jeune orphelin d’un de ses textes, qui observe un grillon, dans les herbes, au milieu des ruines, qui se mettra à chanter à l’unisson avec d’autres, plus loin, dans les arbres.
« Le tsunami, c’est la force de la nature. Il faut se résigner et reconstruire. L’accident nucléaire est un effet secondaire, dû à l’imprévoyance de l’homme. Nous devons en accepter les conséquences : le sacrifice à jamais des régions qui recevront les déchets nucléaires. Le gouvernement prétend que ce seront des sites provisoires. C’est faux. Ils resteront là et ces régions seront condamnées. »
Dans l’une des nouvelles de son nouveau recueil, un vieux paysan offre son champ pour entreposer les déchets nucléaires, dont il fera un feu purificateur – une « montagne de lumière ».
Philippe Pons (Niharu, Japon, envoyé spécial)
Journaliste au Monde