La candidature de Bayenet a le mérite de pointer du doigt les pratiques de shérif qui ont cours à Genève (cf L’Anticapitaliste, 106e) sous la houlette de l’ancien militant d’extrême droite et actuel colonel d’Etat major Olivier Jornot.
Tant de mérite ne doit pourtant pas occulter la fonction du PG, au-delà des positionnements de celle ou celui qui en assume la charge. Ses prérogatives sont peu définies dans la Constitution genevoise, si ce n’est qu’elle en fait le chef du ministère public. C’est la Loi sur l’organisation judiciaire qui est plus précise : elle affirme qu’il lui incombe la définition « de la politique présidant à la poursuite des infractions » (art. 79).
Flic en chef
En d’autres termes, et sans surprise, la loi fait du procureur général le flic en chef de la République. C’est lui qui décide de la poursuite des infractions. Certes, comme le dit Pierre Bayenet, la tâche laisse une marge à l’interprétation. Sauf que cette marge reste fortement encadrée par la Constitution fédérale et par l’ensemble des lois. Or, loin d’émaner d’une sorte de « justice immanente », celles-ci sont l’instrument de l’ordre imposé à la société à travers de l’organisation de l’Etat, cette machine « destinée à maintenir dans la sujétion la classe opprimée, exploitée » [1].
C’est cet ensemble de lois que le PG se doit de faire respecter. C’est l’ordre juridique existant, celui qui sacralise la libre entreprise et la propriété privée, que le PG doit défendre, quelles que soient ses opinions et convictions.
A ce titre, il convient de rappeler la réplique du juge qui condamna jadis André Froidevaux, leader de l’occupation du chantier de la centrale de Kaiseraugst. « Monsieur Froidevaux, avait-il asséné, nous ne sommes pas ici pour juger le nucléaire, mais pour constater que vous êtes rendu coupable de violation de domicile ». Un constat qui lui avait valu une condamnation pour atteinte à la propriété privée. Une anecdote qui donne la mesure des limites de l’exercice du droit.
Certes, la marge d’interprétation existe. L’ancien PG socialiste Bertossa avait en son temps relativisé la poursuite des atteintes à la propriété représentée par les squats. Faisant valoir « l’intérêt public prépondérant », Bertossa refusait d’ordonner l’évacuation des squatters dans la mesure où les logements occupés ne faisaient l’objet d’aucun projet de remise sur le marché. Mais il s’empressait de les faire expulser dès lors que le « légitime propriétaire » pouvait se prévaloir de projets de rénovation et de relocation. Il en allait de même pour les conflits sociaux, Bertossa refusant l’intervention de la force publique dans ceux-ci dans la mesure où … la Loi était respectée.
Mainmise libéral radicale
Successeur de Bertossa, le libéral-radical Zappelli s’était empressé de mettre un terme à ces largesses interprétatives. Evacuations musclées de squatters, poursuites et procès pour « manifestations illégales et diffusions non autorisées de tracts » étaient venues s’ajouter à l’inculpation de cinq militants syndicaux -dont l’auteur de ces lignes- pendant plus de dix-huit mois pour avoir organisé des piquets de grève devant les dépôts des transports publics genevois.
Mis en cause pour conflit d’intérêt -il était notamment administrateur de sociétés off-shore-, Zappelli avait été poussé vers la sortie en 2011. Et, tandis que le seul PG de la république obligé de démissionner depuis … 1534, se recyclait comme avocat d’affaires auprès de compagnies du Golfe, le Grand Conseil lui nommait un successeur en la personne d’Olivier Jornot. Elu par une voix de majorité, la sienne -il siégeait alors au parlement-, Olivier Jornot a tout de suite montré de la poigne.
Shérif à l’œuvre
Si, d’un côté, il a réorganisé le ministère public en faisant de son ancien concurrent socialiste, le fils Bertossa, son bras droit, cet ancien avocat d’affaires spécialisé dans « l’accompagnement des entreprises étrangères dans leur implantation en Suisse » et dans la « négociation des aspects fiscaux y relatifs » a donné, de l’autre, la pleine mesure en matière de persécution de la petite délinquance. Fervent défenseur du « recours accru à la détention administrative », à savoir de la privation de liberté sans jugement, (TSR, 8.5.2009), c’est lui qui a rempli ces deux dernières années la prison de Champ Dollon. Ainsi, par exemple, les arrestations et mises à disposition « pour motif unique LEtr », c’est-à-dire pour séjour illégal en Suisse, ont été multipliées par huit entre le premier trimestre de 2011 et le premier de 2013 d’après les chiffres fournis par la police.
Partisan de la tolérance zéro, Jornot a tout de même essuyé deux revers majeurs que lui a infligés le Tribunal fédéral. En juin 2013, c’est la « loi sur les manifestations » dont il portait la paternité qui a été vidée de sa substance par les juges de Mon Repos. Plus récemment, c’est la violation des droits humains -les moins de 3m2 dans lesquels sont obligés de vivre les détenus- dans une prison de Champ Dollon que la politique du tout répressif impulsée par Jornot a rempli bien au-delà de toute norme, qu’ils ont condamnée.
C’est la dénonciation de cette politique là que la candidature de Pierre Bayenet permet. En refusant de le soutenir, les directions des Verts et des socialistes s’en font par contre les complices.
Paolo Gilardi