Il paraît que nous vivons désormais dans un monde multiculturel. Il y a des gens parmi nous qui répandent l’odeur de l’ail et du merguez et des voisins qui répandent le subtil arôme de la choucroute et des saucisses de porc. Les temps où chaque région avait sa propre odeur une et indivisible sont révolus. C’est le mélange. On ne sait plus où s’en tenir. On n’est plus chez soi. On invoque l’identitaire et on développe des réactions qui mènent parfois à des actions criminelles.
Puis il y a ceux qui disent que c’est bien comme ça et que chaque groupe a raison de conserver les caractéristiques de son ethnicité : il ne faut pas mélanger les goûts tout comme on ne mélange pas les genres, ni les sexes. On aime les quartiers où vous pouvez acheter des mezzés chez le Libanais et des sushis chez le Japonais et cela jusqu’à une heure tardive. C’est vrai, mais parfois cette attitude aide à freiner toute forme (totale ou partielle) d’assimilation à la culture générale, ou, ce qui est beaucoup plus grave, à développer une conception communautariste : pour le musulman la charia, pour le juif le tribunal rabbinique et pour l’agnostique le code civil de Napoléon. Les catholiques se référeront à la Rota.
Mais le multiculturel a toujours existé, même dans les communautés les plus « pures » et cela depuis l’existence de la société de classes, et même avant dans les rôles différents assignés aux hommes et aux femmes. Selon la classe ou le genre auquel tu appartiens et cela hors de ta volonté, tu manges différemment, tu consommes différemment, tu te maries différemment, tu chantes différemment et tu parles différemment, surtout au Japon. Tu n’as qu’à lire, si tu en as le temps et l’envie, le pavé sociologique de Pierre Bourdieu, La distinction (1979) pour t’en convaincre, où simplement de regarder autour de toi sans œillères idéologiques. La sauce qui accompagne le repas prolétarien est différente de la sauce sur la table bourgeoise.
Au lieu de nous plaindre et de nous révolter contre l’existence mêlée de gens d’origines culturelles différentes, nous ferions mieux de nous révolter contre l’existence d’une société de classes. C’est la division de classe qui produit les distinctions fondamentales comme exploiter ou être exploité, opprimer ou être opprimé. C’est là que la peste brune puise ses arguments démagogiques contre ce qu’elle appelle le multiculturalisme. Le vrai problème c’est l’absence d’une solidarité globalisée dans un monde globalisé.
Pips Patroons