C’était prévu et prévisible. Si la défaite est aussi sévère qu’elle s’annonce, je crois que le PQ va entrer aux soins palliatifs, excusez-moi l’expression. Les soins palliatifs, on s’entend, durent parfois sur une période prolongée, ce qui veut dire que le PQ peut continuer encore longtemps. Mais les soins palliatifs, cela signifie surtout qu’il y a un point de non-retour. Il est trop tard pour renverser la tendance. Le corps est touché aux organes vitaux. C’est une question de temps.
En gros, le PQ est sa propre victime. Pauline ne peut pas blâmer Harper, Trudeau, Couillard et Legault et tous les autres, et encore moins Québec Solidaire. Depuis déjà plusieurs années, ce parti est érodé par ses propres « glissements » et « dérives ». Ses traditions social-démocrates se sont peu à peu évanouies. Il y a eu des hauts et surtout des bas (avec Lucien Bouchard notamment). Après l’élection de septembre 2012, les « spins » du PQ ont parié qu’un virage à droite s’imposait, pour être « crédible » aux yeux des élites et d’une partie de l’opinion publique (les électeurs de la CAQ) manipulée et disloquée par les mensonges grossiers véhiculés par les médias (qui appartiennent aux mêmes élites). Comme leurs comparses « social-démocrates » en France, en Angleterre, en Allemagne et ailleurs, ce virage à droite a brisé une formation politique dont l’élan avait été porté à l’origine par la nécessité de « civiliser » le capitalisme sauvage qui nous tire vers le bas. Mais aujourd’hui, les élites ferment la porte à toute « réforme » même minime. Il n’y a presque plus d’« accommodement » possible, du moins si on décide de respecter les « règles du jeu » déterminées par ces élites : « déficit zéro », austérité, coupures, compétivité, etc. Le PQ a intériorisé ce langage mensonger et vulgaire, même si tout le monde sait (les chefs ne sont pas stupides) que le problème, ce n’est pas le nombre de fonctionnaires ou la gestion des coupures, mais l’énorme détournement de ressources vers le 1 % et l’atroce « modèle » pétro-gaspilleur. Quand on entend les voyous de la droite dire cela, on se dit, « c’est normal, ils sont là pour le 1 % ». Quand on entend des partis qui se disaient en faveur du peuple dire à peu près la même chose, on se dit, « oups, ce n’est pas normal ».
Alors, peut-on être surpris que les gens désertent ce parti ?
La deuxième dérive péquiste est sur la question nationale. Les petits malins comme Drainville et Lisée devraient s’en mordre les doigts, s’ils sont capables d’un minimum d’autocritique (j’en doute). Naviguer de l’indépendance à l’« identité » a non seulement semé la zizanie, mais surtout, elle a mis un terme au projet historique d’un « nationalisme civique » qui avait été celui des architectes de la révolution tranquille. Encore là, le PQ n’est pas seul dans cette galère puisque dans de nombreux pays capitalistes, on voit des « « progressistes » d’antan blâmer les immigrants et les réfugiés, comme si ce n’était pas le capitalisme « sauvage » qui créait le chômage, la précarité, l’exclusion. La droite et l’extrême-droite joue sur son terrain, c’est le leur et cela restera ainsi. Ou bien l’idée d’émancipation nationale sera inclusive, démocratique, ou bien, tout simplement, elle n’existera pas. Tous les dénis venant des quelques intellectuels de droite qui disent que l’« indépendance n’est ni de droite ni de gauche » mènent à de nouvelles impasses. Il reste à cette droite plus ou moins gênée de s’enfoncer davantage dans les marais du racisme, de l’islamophobie et des théories de la conspiration (lire à ce sujet les « édifiantes » chroniques de Mario Pelletier sur le site nationaliste de droite vigile.com et où il décrit le « complot islamiste-communiste » de Québec Solidaire).
Je ne sais pas quand, par qui et comment va se déclencher la prochaine crise au PQ. Cela me fait de la peine pour les milliers de personnes qui ont continué d’y croire, y compris des élu-es qui voulaient faire quelque chose. Mais aujourd’hui, il faut reconnaître la réalité. À part des monstruosités comme le PLQ (mené par une bande de voyous qui jouent à fond de caisse la carte ethnique et le discours de la peur), la plupart des partis ne sont pas éternels. Ils naissent, se développent, puis meurent, une fois que les conditions qui avaient prévalu à leur essor ont changé. Cette évolution est inévitable et la plupart du temps douloureuse. Chez nous en tout cas, l’effacement du PQ signifie concrètement, via le retour prévisible du PLQ au pouvoir, l’hégémonie d’une droite « traditionnelle » qui va nécessairement se durcir, faute d’opposition menaçante. Le problème ne sera pas seulement à Québec, mais aussi à Ottawa, où la « menace » souverainiste (aussi relative qu’elle l’était) ralentissait (sans l’arrêter) le bulldozer de l’État canadien. « Libéré » du Québec, cet État fédéral (le seul « vrai » État en ce pays) va tenter d’accélérer la déconstruction/reconstruction du Canada autour de l’« axe » Toronto-Calgary (hautes finances + ressources), ce qui pourrait mener à une « nouveau-Brunswick-isation » du Québec. Certes, on laissera un peu de français pour le folklore et quelques éléments de péréquation pour créer encore des illusions tout en disant au peuple québécois, « tassez-vous, soyez les nègres blancs de l’Amérique comme on vous l’a dit pendant des décennies ».
Vous direz qu’il ne faut pas trop exagérer. Oui c’est vrai, parce qu’entre dans l’équation un autre facteur. L’entrée du PQ aux soins palliatifs va ouvrir un autre espace politique. Au Québec, l’accumulation des forces sociales et politiques exprime une masse critique capable de résister et aussi de construire. Un scénario optimiste serait que les forces vives du PQ en sortent et regardent ailleurs. Cet « ailleurs » d’autre part existe déjà, même si c’est sous une forme embryonnaire, avec Québec Solidaire. Devant un gouvernement PLQ bêlant, abrutissant et reniflant, il y aura beaucoup de résistance. Et de cette résistance, quelque chose pourra naître, comme cela a été le cas au tournant des années 1960.
En attendant, il faut donner un coup d’épaule pour le dernier tournant. Je ne sais pas si d’autres vivent la même chose que moi, mais presque à chaque fois que je parle de QS, l’écho est plutôt sympathique. Je ne parle pas des profs et étudiant-es que je côtoie tous les jours et qui sont majoritairement de cet avis, mais les voisins, parents, personnes rencontrées en attendant de passer au guichet de la Caisse pop et un peu tout le monde. Certes, il y a des hésitations, dont la fausse idée du « vote stratégique », même si on a raison de se sentir coincés dans cet affreux système anti-démocratique (que le PLQ, s’il arrive au pouvoir, va préserver à coup sûr). Mais en gros, le message de QS passe bien… On s’entend que ce parti a bien des croutes à manger encore. On s’entend aussi que QS, sans un mouvement populaire fort et vigoureux, ne peut pas avancer. Et on peut dire aussi l’inverse, que, sans un QS fort et vigoureux, le mouvement populaire sera plus facilement vulnérable.
On continue …
Pierre Beaudet, 4 avril 2014
* http://www.pressegauche.org/spip.php?article17225
LA PANIQUE
Ça va vraiment mal pour le PQ. Dommage pour Pauline Marois, la première femme à diriger un gouvernement. Dommage pour les députés et membres qui croient encore au projet de René Lévesque. En tout cas, les astres sont dangereusement alignés. De temps en temps, des « tsunamis » politiques balaient le paysage, comme cela était arrivé en 2011 aux élections fédérales. Il faut dire qu’avec le système politique pourri et antidémocratique qui sévit au Québec et au Canada, 3-4-5 % de différences peut faire toute la différence.
N’empêche. Pour moi, le PQ a couru après. Et ce n’est pas seulement depuis 2012 où il a réussi à ne rien réussir. Depuis des décennies, ce parti est en déperdition. Il cherche des petites « formules », des « spins ». Des « personnalités » sont appelées au renfort, à défaut d’avoir des idées. C’est une histoire qui n’en finit pas et qui rebondit jusqu’à PKP …
En réalité, la souveraineté ne peut pas être désincarnée d’un « grand projet ». Il faut être sérieux et considérer la nature de l’ « adversaire ». Cet adversaire, ce ne sont pas principalement les petits roquets dans le genre du PLQ qui depuis 40 ans au moins, est un repère de voyous, de menteurs et de réactionnaires compulsifs. Parmi les élites économiques et politiques canadiennes, il y a un puissant consensus sur la nécessité de détruire ce mouvement social-national québécois. Ce n’est pas une conspiration, mais une nécessité objective, mesurée, organisée et prête à tout, y compris à l’utilisation de la violence symbolique et de la violence tout court.
Le PQ « historique » (celui de Lévesque) de même que les PQ successifs pensaient, à tort, qu’on pourrait s’entendre entre « civilisés », créer l’État et continuer comme avant sous le soleil du capitalisme nord-américain. Le seul qui avait eu l’intuition qu’une vaste bataille était nécessaire était Jacques Parizeau. Ce n’est pas un hasard si l’épisode de 1995 a été celui où le projet est venu proche de l’emporter.
Tout cela, c’est de l’histoire passée, dira-t-on. Mais en vérité, c’est une illusion de penser cela.
Pour revenir au drame qui menace le PQ, il y a plusieurs dérives qui sont apparentes. L’intrusion de PKP ne pouvait pas être autre chose qu’un pétard mouillé. Marois et même Lisée savent qu’il n’y a aucune chance à court terme d’avancer sur la question dite nationale.
La diversion, on la connaît, c’est de faire passer le débat sur le terrain glissant de d’identité. C’est dangereux, ils le savent aussi. Ce nationalisme rétréci polarise l’opinion. Ce qui est peut-être une bonne idée dans certaines régions du Québec (c’était l’intention originale avec la Charte, qui pouvait, pensait-t-on faire gagner 5-8-12 comptés en régions). Mais ce n’est pas une stratégie vraiment gagnante à l’échelle québécoise. On ne pourra pas oublier que sous le couvert de la laïcité et du « droit des femmes », on a voulu rameuter tout ce que le Québec compte de racistes, d’anti-immigrants et d’islamophobes. Le débat public « réellement existant », ce n’était pas la « neutralité de l’État », mais, comme cela a été répété par les pitoyables « Janettes » et les médias-poubelles (dont ceux de PKP), celui de la nécessité de mettre les « barbares » (arabo-musulmans surtout) à « leur » place. On a essayé de nous faire croire que la « menace » venait de quelques femmes voilées, et non des bandits en cravate, souvent catholiques-canadiens-français, qui nous pillent, nous mentent et nous humilient. Ce faisant, le PQ a semé le poison qui va éloigner les couches populaires du projet d’émancipation pour plusieurs années.
Deuxième trou noir, le PQ n’a pas grand-chose à proposer de « fondamental ». Comme ses compères social-libéraux dans le monde, il souffle le chaud et le froid. Il participe au discours dominant pour qui le capitalisme est vraiment le « plus meilleur » système au monde. Il est alors normal que le bien public soit dilapidé, à commencer par la nature qui devient une marchandise comme les autres, un « plan d’affaires ».
Quant à l’« économie », malgré qu’on semble en parler beaucoup, rien n’est avancé sinon les fanfaronnades habituelles. Les « créateurs d’emplois » sont les entreprises, pour ne pas dire les entrepreneurs. On oublie le « détail » que ce sont ces entrepreneurs qui ont creusé le trou noir dans lequel on est présentement enfoncés, pas seulement au Québec, mais presque partout dans les pays capitalistes. Est-ce normal que le PQ ne puisse pas dire que le véritable malheur économique, c’est d’être coincé dans un pétro-État fédéral manipulé par les financiers et aligné sur la « guerre sans fin » des États-Unis contre le reste du monde ? Est-ce normal que le PQ soit un partisan enthousiaste du « libre-échange » qui vise à accélérer la montée du 1 % et la dégringolade du 99 % ? Qui nous a mis dans le gouffre du déficit à part ceux qui ont diminué les impôts du 1 % et permis aux banques d’empocher de gigantesques profits ?
Le silence assourdissant qui sévit dans la campagne électorale actuelle, PQ comme PLQ (sans compter les comiques de la CAQ) reflète une terrible perte de sens.
Probablement que les « spins » diront que cela n’intéresse personne.
L’évacuation des enjeux fondamentaux concernant l’éducation et la culture est un autre symptôme de cet autisme grandissant. Pour les voyous et les bandits, c’est normal, c’est dans leur code génétique. Pour le PQ, c’est une voie qui mène, à terme, vers le désastre. Jamais le PQ ne pourra sérieusement compétitionner contre le discours du rabaissement, de l’humiliation, du populisme de droite.
Entre-temps, les « spins » du PQ s’inquiètent. Dernière « trouvaille », l’élection risque d’être volée par les étudiants de McGill. Quelques centaines de votes, nous dit-on, vont avoir un effet bœuf contre les millions d’électeurs et d’électrices. C’est encore le chemin dangereux et dérivé de l’ethnisme, du « eux » et du « nous ». Le « eux » n’est pas fiable, c’est un ennemi. Le « nous » est nécessairement « de souche », « catholique » (au moins de culture) et « blanc » (on peut intégrer les non-blancs, à condition qu’ils se conduisent comme des « blancs »).
L’autre bouc-émissaire de la dérive inventée par les « spins » péquistes est la « malheureuse division » provoquée par Québec Solidaire. Présentement, le PQ semble prêt à tout pour empêcher le surgissement de QS, y compris dans une campagne de salissage relayée par les médias-poubelles et des « intellectuels » de service encore identifiés comme de « gauche » (probablement pas pour longtemps). Les « spins » bientôt vont blâmer le peuple au lieu de se blâmer eux-mêmes. Ce peuple, diront-ils, est trop bête. Il ne devrait pas être attiré par un parti qui « parle vrai » et qui ose mettre sur la table ce que les autres cachent, à savoir que la cause de l’émancipation sociale et nationale demeure un impératif.
Pendant ce temps, la droite et les élites exultent. Ils ont l’avantage des médias (à part quelques courageuses exceptions au Devoir et à Radio-Canada). Cette « berlusconisation » des médias se poursuit depuis plusieurs années, initiée par Quebecor et poursuivie par PKP. Elle distille dans l’opinion publique la haine, le mépris, la violence. Parallèlement, les élites ont l’avantage de la puissance du véritable État qui contrôle le pays, et qui n’est pas l’administration provinciale.
Devant tout cela, sommes-nous condamnés ? A-t-on oublié que le mouvement populaire est celui qui a redéfini l’agenda politique ces dernières années ? A-t-on oublié la Marche des femmes, le Sommet des peuples, les grandes résistances qui ont empêché la « révolution conservatrice » de Charest et de Harper de se matérialiser au Québec ? Les PKP de ce monde et médias-poubelles savent très bien la menace qui a pesé sur leurs sordides idées durant l’épisode des Carrés Rouges. Et pour cause …
Les « spins » dans leur arrogance écartent ces questions. Ils pensent que la politique, c’est seulement de se « faufiler », d’être plus « astucieux » que l’autre. La déception risque d’être à la hauteur de l’illusion dans quelques semaines …
Il doit y avoir encore au PQ des sensibilités différentes. Des membres de ce parti, voire quelques députés, doivent en avoir marre des spins, du « oui-mais-non », du n’importe-quoi, en passant par le stade de Labeaume-PKP jusqu’aux retournements concernant les pipelines et les projets pétroliers dans le Golfe, la « taxe-santé », les écoles privées subventionnées et la capitulation face au secteur financier… C’est Lise Payette qui devrait être émue de ces retournements, au lieu de se rallier au projet de PKP.
Des hommes et des femmes de bonne volonté, il y en a toujours eu au PQ. Ils et elles savent que la souveraineté et l’émancipation sociale, c’est comme notre père et notre mère, et qu’on ne peut choisir l’un contre l’autre. Quand ces personnes se révolteront contre les « spins », ils trouveront dans le mouvement populaire et dans QS l’interlocuteur qui permettra au Québec de se réinventer.
Pierre Beaudet, 25 mars 2014
http://www.pressegauche.org/spip.php?article17106