Inventée, à ma connaissance, par feu le fondateur de la CSTM Frantz Agasta, l’expression « colonialisme syndical » a quelque chose de profondément dérangeant, tant les termes sont normalement antinomiques. Le syndicalisme c’est d’abord la solidarité et l’internationalisme, le colonialisme étant exactement l’inverse. Choquante ou pas, la question en tous cas demeure, lancinante, têtue. Elle ressurgit à la faveur d’une demande des dirigeants de la CGT de France aux syndicats CGT des colonies françaises : que ces syndicats cessent de s’appeler CGTM, CGTG, CGTR… ou UTG pour (re)devenir LA CGT.
Pourquoi cette curieuse invitation à ré-adhérer à l’ex Confédération mère ? Parce qu’une loi d’aout 2008 a décidé, à la demande de la CGT et de la CFDT, de modifier les règles de la représentativité syndicale en remplaçant le système de la représentativité automatique (« présomption de représentativité ») accordée depuis 1965 au G5 syndical (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) par un système basé sur les résultats aux élections professionnelles. Ce changement qui semble obéir à une logique démocratique (mais qui en même temps vise à éliminer les petits par la mise en place de seuils, aussi condamnable en matière syndicale qu’en matière politique) évite soigneusement de prévoir une mesure de cette représentativité colonie par colonie. Puisque la Martinique, la Guadeloupe,.. « c’est la France », la représentativité se calcule à l’échelon « national ». Donc malheur à ceux qui n’ont pas un grand frère « là-bas », en « métropole » (mais au fait pourquoi ne mettent ils pas de majuscule à métropole si ça désigne un pays ? question troublante, mais passons ) !
On veut bien comptabiliser au niveau de l’entreprise – le contraire rendrait toute relation sociale impossible –, mais surtout pas au niveau de chaque pays. Pas question pour le colonialisme français de mettre si peu que ce soit le pied dans un engrenage qui pourrait suggérer, même de façon très détournée, que nos pays sont des entités propres et pas simplement des prolongements « ultramarins » ]– sic – de la « métropole » – re sic.
Devant une telle outrance, un syndicalisme français digne de ce nom aurait rué dans les brancards en faisant observer qu’on ne peut pas décemment obliger le syndicalisme des colonies à faire un pas en arrière de 30 à 40 ans, c’est-à-dire de revenir à une époque où les syndicats largement majoritaires d’aujourd’hui n’étaient que des UD (unions départementales) des syndicats de France. On imagine sans peine qu’une ferme prise de position des principaux syndicats de France aurait fait voler en éclats ce déni démocratique !
Tu parles ! La CGT de France qui semblait parmi les plus avancés sur le sujet, en refusant (le plus souvent disons !) de créer des syndicats dans les « DOM » au bénéfice des syndicats propres à ces pays en vient, maintenant que le décompte « national » a commencé pour mesurer la représentativité, a demandé aux petits frères et petites sœurs des colonies de rompre avec 40 ans d’autonomie en... ré adhérant à la CGT. Il faut croire que cela leur semble plus facile à obtenir qu’un changement de la loi coloniale. Nous espérons qu’ils se trompent lourdement.
Il faut bien reconnaitre néanmoins l’incroyable impuissance de tous les démocrates de nos pays à obliger l’Etat français à reconnaitre ce si modeste aspect de nos spécificités ! voyons : depuis une quinzaine d’années, à l’initiative de la CDMT, l’essentiel du mouvement syndical et politique de Martinique a relancé la bataille pour la « reconnaissance pleine et entière du fait syndical martiniquais », la totalité des députés et sénateurs de Martinique ont pris position dans le même sens y compris par une proposition de loi, le mouvement en 2009 a placé cette revendication sur ses bannières, l’ensemble des « partenaires sociaux » – organisations patronales comme syndicales –, sous l’égide d’une Direction du travail très largement convaincue a signé plusieurs textes réclamant cette reconnaissance. En face, du côté de celles et ceux qui seraient éventuellement contre, c’est le silence absolu, personne n’osant se dire opposé à cette élémentaire démocratie. A wat ! malgré tout cela rien ne bouge !
Un député a même, dans une officielle « conférence économique et sociale » tenue à Paris sous l’égide du premier ministre fait part de la rumeur suivant laquelle ce serait des syndicats français qui s’opposent- hélas sans les nommer ni citer ses sources !- Cela oblige à se poser une question : faut il penser que le refus de proclamer l’égalité des droits pour les syndicats des colonies est la seule concession que le gouvernement et les Parlementaires français, en ces temps de vaches maigres, est prêt à faire aux dirigeant-e-s syndicaux français ?
On glose beaucoup en ce moment sur la désaffection de l’opinion pour « la politique ». Le spectacle offert 1. par certains syndicats français incapables de lâcher le moindre médiocre privilège bureaucratique indu, 2. par la demande incongrue de la CGT de retour au bercail des ouailles lointaines 3. par certains syndicats coloniaux arcboutés sur les petites miettes reçues en récompense de leur…fidélité 4. par l’impuissance des Parlementaires locaux 5. Par l’ignorance des engagements pris par un ministre français en 2008 puis d’un autre en 2009 : voilà qui ne va redorer le blason ni d’un certain syndicalisme, ni d’une certaine politique, mais qui ne nous fera jamais baisser les bras.
La reconnaissance pleine et entière du fait syndical propre aux colonies s’imposera O-BLI-GA-TOI-RE-MENT ! ki yo lé ki yo pa lé !
Philippe Pierre-Charles