Il est probable que le rougequeue noir a déjà niché en cet endroit en 2011. En revanche, il n’est pas réapparu en 2013, une année où le temps a été détestable, en particulier pour les insectivores – le nombre de nicheurs à Montreuil semble avoir fortement chuté cette année-là.
Le rougequeue noir est un montagnard qui fréquente les rochers et se nourrit surtout à terre. Dans les Alpes par exemple, on le trouve en haute altitude (jusqu’à 2700-2800 mètres) ; à plus basse altitude, il se rapproche des habitations humaines, des chalets et troupeaux, les activités d’élevage favorisant la présence d’insectes qui constituent le gros de son alimentation. Il s’est adapté à un vaste éventail de milieux plus ou moins urbanisés, des carrières aux falaises, des villages aux villes, des ruines aux infrastructures.
On le trouve donc jusqu’au centre des villes – mais il apprécie alors la présence d’espaces verts riches en insectes. En période de migration ou en hiver, il est en revanche plus rural, fréquentant champs, chemins, lisières, zones humides, rives… tout en continuant à utiliser la pierre comme perchoir.
Le rougequeue noir peut établir son nid dans des endroits très variés : cavités et trous divers, poutres sous les avant-toits ou dans les granges, corniches, etc.
Statut régional
En Ile-de-France, le rougequeue noir est un nicheur et migrateur très commun – il hiverne aussi assez régulièrement, mais en petits nombres seulement (quelques dizaines d’individus ?). Ces hivernants peuvent être des « locaux » ou (surtout ?) originaires d’Europe orientale et centrale. Le gros des nicheurs français s’envole, pour passer la mauvaise saison, vers la péninsule ibérique, les iles Baléares, l’Afrique du Nord. D’autres vont hiverner dans la moitié sud de la France.
Ses effectifs sont estimés dans Paris intra-muros à 200-300 couples, peut-être 400 – et à 10.000-20.000 couples en Ile-de-France.
Le passage prénuptial (migration de retour) commence généralement à se faire sentir en Ile-de-France début mars (parfois en février déjà) et se prolonge jusqu’à la mi-avril. Des couples peuvent occuper leurs sites de reproduction dès la mi-mars. La dispersion des jeunes et des regroupements se font en juillet, alors que des couples peuvent entamer une seconde ponte.
[Les données de références sont tirées de Le Maréchal, et al., 2013 et de Frédéric Malher et al.]
A Montreuil (Seine-Saint-Denis), le rougequeue noir est un nicheur bien représenté, favorisé par un tissu urbain varié, ouvert, comprenant des habitats anciens et de multiples espaces verts (des petits jardinets aux grands parcs). Au parc des Beaumonts, on note sa présence essentiellement en migration et au moment de la dispersion post-nuptiale. C’est en ville qu’il niche.
Le site de nidification
Au niveau des 5, 7 rue Carnot, sous l’avant-toit d’une petite maison (deux étages). Il y a des lattes de bois disjointes, dont des éléments sont tombés, sous la bordure proéminente du toit. Le nid a été construit sur ces lattes facilement accessibles.
La maison est adossée à un immeuble de facture ancienne plus élevé, entourée de petits jardinets et face au toit d’un garage sous-terrain au niveau d’un premier étage. Le tissu urbain est ouvert. Les rougequeues ont occupé tout l’espace disponible, notamment pour se nourrir.
La petite maison blanche qui abrite le nid
Le site du nid, entre les lattes de bois et l’avant-toit
Le jardin à l’aplomb de mon balcon
Le jardin d’à côté et le muret où les oiseaux aimaient se retrouver
Le déroulement de la nidification
Cette année-là, la première observation d’un migrateur au parc des Beaumonts remonte au 15 mars. Un mâle est apparu le 17 mars sur « notre » site de nidification. Une arrivée en nombre de rougequeues à Montreuil est sensible vers le 26 mars. La présence de mâles chanteurs est notée dans les environs du site « Molière » en avril. Cependant, ce n’est que le 19 mai que l’un d’entre eux semble se cantonner sur place (il fait « le tour du propriétaire »). Le 20 mai, une femelle est aussi présente : ils se nourrissent au sol dans un jardinet. Le 24 mai, la femelle semble inspecter le lieu de nidification. Oiseaux présents les 26 mai et 1er juin…
Des observations non systématiques me font penser qu’il y a souvent à Montreuil un décalage notable entre les débuts du passage migratoire et le cantonnement des nicheurs. C’est le cas ici.
Du 7 au 11 juin, le couple est observé aux alentours du nid. A parti de 12 juin, ils y portent de la nourriture, à des rythmes parfois rapides. Certains jours au moins, la femelle apparaît plus active, mais le mâle nourrit aussi.
Les rougequeues cherchent surtout la nourriture sur place : il s’attachent beaucoup à la façade de « leur » maison et le toit du garage aussi, ils prospectent à terre, visitent parfois arbres proches. Il s’éloignent assez rarement, semble-t-il, pour visiter les immeubles (ou jardinets ?) alentour.
Les parents nourrissent encore les 23, 24, 25, 26, 27, 28 juin. Fin juin, le mâle nourrit moins et chante plus.
Du 30 juin au 3 juillet, les parents sont très présents, mais ne semblent plus porter de nourriture.
Le 4 juillet, deux jeunes fréquentent les petits jardins et murets sous mon balcon. Ils volent vivement, se nourrissent, mais quémandent aussi parfois en ouvrant le bec. Vu deux fois le mâle donner de la nourriture (ou faire le geste). Je n’ai pas vu les jeunes quitter le nid, mais ils me semble clair qu’ils en viennent : les parents ont fait de ces jardinets leur territoire de chasse privilégié depuis quelque temps. Le 5 juillet, un jeune quémande auprès du mâle, sans succès apparent.
Le 6 juillet, trois jeunes se trouvent ensemble avec mâle. La femelle est revue, attachée à maison et au site du nid, alors que le reste famille se déplace entre jardin et maison-nid. Quand tombe la pluie, ils se retrouvent sous l’avant-toit (concentration d’insectes ?). Le 7 juillet les parents et deux jeunes vont et viennent entre jardins et maison du nid, le matin.
Moins vus à partir du 8 juillet (temps gris, humide, froid, venteux). Observés une seule fois le 9 juillet (jardin). Plus fréquents le 10 juillet et le 11, mais se déplacent de façon dissociée : la femelle est indépendante dans ses mouvements, le mâle semble moins « marqué » par les jeunes.
Une visite au nid le 15 juillet. Trois individus observés le 16 (toit du garage, jardinets).
Le 17 juillet, trois individus visibles. La femelle apporte de la nourriture au nid, ce qui confirme une seconde couvée. Le 18, la femelle et le mâle apportent de la nourriture au nid. Le 19, le mâle se déplace jusque sur mon toit à 22h (nuit tombante). Le 20 juillet, le couple nourrit intensément au nid. Les 21 et 22 juillet, le nourrissage se poursuit.
Je pars en voyage…
De retour, je note le 14 août la présence de deux jeunes de l’année sur place, ce qui semble indiquer que la seconde couvée a aussi été un succès.
Note sur un second couple cantonné aux alentours immédiats et qui utilise à l’occasion l’espace devant mon balcon.
Un autre couple semble cantonné non loin, un peu à l’est. Un second mâle chanteur est observé sur l’immeuble de gauche les 23 et 24 mai. Le 25 juin, venu du côté est, il vient chercher pitance sur le toit du garage. Le 26 juin, le couple établit côté Est apparaît dans l’espace régulièrement visitée par le couple côté ouest, dont je suis la nidification.
Remarques
La nidification a été plus tardive que les dates fréquemment indiquées (mi-avril, début mai). Le nourrissage ayant commencé au plus tard le 12 juin, la ponte aurait eu lieu vers la fin mai (la couvaison durant 13-14 jours), ce qui est compatible avec les observations effectuées.
Le nourrissage au nid dure normalement 14 à 20 jours. Dans notre cas, il semble avoir cessé vers le 29-30 juin – durant donc environ 16 jours (la moyenne est de 17 jours).
Il y a un « trou » entre l’arrêt apparent du nourrissage et les premières observations des jeunes (4 juillet), déjà bien alertes.
En règle générale, les parents s’occupent encore des jeunes pendant une ou deux semaines, la femelle préparant rapidement une seconde couvée, pondant souvent 11 à 13 jours après l’envol de sa première couvée. Dans notre cas, le nourrissage de la seconde couvée a débuté au plus tard le 17 juillet. Là encore, les observations sont « dans les clous ».
Remarque de Frédéric Malher : En plus de la date tardive du début, ce qui me frappe c’est que la 2e couvaison a été menée pendant le nourrissage des jeunes envolés, ce qui fait qu’en gros, si j’ai bien compris, les jeunes sont éclos au moment où les parents arrêtaient de s’occuper de leur 1re nichée (ou inversement...)
[Les données de références sont tirées de Géroudet, 1998]
Pierre Rousset
Bibliographie :
Paul Géroudet, Les passereaux d’Europe, tome 1, Delachaux et Niestlé : Paris , 1998, pp. 322-326.
Pierre Le Maréchal, David Laloi, Guilhem Lesaffre, Les oiseux d’Ile-de-France. Nidification, migration, hivernage, Delachaux et Niestlé, Corif : Paris , 2013, p.316.
Frédéric Malher et al., Oiseaux nicheurs de Paris. Un atlas urbain, Delachaux et Niestlé, Corif : Paris , 2010, pp.84-85.
Pierre Rousset, « Rapport ornithologique 2012 : Montreuil (93) site « Molière » (migrations et locaux) » (en préparation).