Les colons du 18e siècle, à la manière des treize colonies anglaises d’Amérique du Nord, revendiquèrent leur droit à accumuler des profits se heurtant en cela aux monopoles des puissants cercles commerciaux européens qui imposaient dans les colonies leurs diktats. Cette volonté émanant des classes dirigeantes s’est combinée avec l’aspiration profonde de la grande majorité de la population, composée d’esclaves et de libres de couleur qui voulaient la liberté, l’égalité et la fin des privilèges, réservées à une toute petite minorité blanche.
C’est au nom de la liberté, forts des idéaux de la guerre civile anglaise [2] et de la Glorieuse Révolution [3], des idées des Lumières et contre l’« exclusif » colonial anglais, que les colons américains des treize territoires se soulevèrent en 1773, conduisant à l’acte d’indépendance du 4 juillet 1776. Ce célèbre exemple venu d’Amérique du Nord s’est accompagné d’autres révoltes, que ce soit en Martinique avec le fameux Gaoulé [4] visant à une amélioration du sort des Noirs. On savait aussi que les colons s’étaient réservés à eux seuls le droit de faire connaître leurs vœux en guise de cahiers de doléances. On apprit fin juillet 1789 la transformation, un mois plus tôt, des Etats généraux en Assemblée nationale. Pourtant on n’avait pas connaissance fin août 1789 de l’existence d’une Assemblée constituante, ni de la révolte des 13 et 14 juillet, ni de la nuit du 4 août abolissant les privilèges, ni encore de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, lorsque se produisit en Martinique une révolte d’esclaves.
Le 29 août 1789, des esclaves firent savoir par une adresse envoyée au gouverneur qu’ils exigeaient la liberté que le roi avait accordée aux Etats généraux. Cette exigence fut payée par une terrible répression. Lorsque l’on apprit, un mois plus tard, que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen proclamait par son article 1 que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », ce fut une nouvelle raison d’espérer. C’est alors que des dizaines d’insurrections eurent lieu dans toutes les colonies. La plus célèbre étant celle de Bois Cayman, le 15 août 1791. Des victoires furent enregistrées dans les provinces du Nord jusqu’en septembre 1793, entraînant le décret révolutionnaire du 4 février 1794 (16 pluviôse an II) abolissant l’esclavage.
Ce fut alors la grande épopée des « Jacobins noirs » de Saint-Domingue. Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, des dizaines de milliers d’esclaves se révoltèrent au nord de l’île. Les colons et les Amis des Noirs se rejetèrent mutuellement la responsabilité de l’insurrection des esclaves. Cette révolte n’était pas localisée, limitée à une propriété, mais d’emblée un soulèvement de masse, à l’échelle régionale. Elle fut favorisée par le rôle que jouèrent Sonthonax et Polverel, commissaires dépêchés par la Convention sur l’île. Ils enregistrèrent rapidement un divorce avec les colons, qui au demeurant déclenchèrent des émeutes contre les mulâtres – nombreux à Saint-Domingue – et contre Sonthonax.
La situation en France, marquée à ce stade par la lutte de la fraction jacobine contre les Girondins, favorisa le travail de Sonthonax en faveur de l’abolition de l’esclavage. Mais c’est surtout la révolte des esclaves, combinée à la rivalité commerciale opposant l’Angleterre à la France, qui poussa les conventionnels à l’abolition de l’esclavage. En effet, l’Angleterre appuyait en sous-main les révoltes d’esclaves pour tenter de limiter l’emprise de la France aux Caraïbes.
La révolte de Saint-Domingue eut un immense retentissement aux Caraïbes et se prolongea à la Guadeloupe avec la Mulâtresse Solitude, Ignace de Massoteau et Delgrès. Une vie révolutionnaire intense s’y développa jusqu’en 1802, année du rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Dans les autres îles de La Caraïbe, comme en Amérique du Sud, existait aussi une prodigieuse mobilisation : à Sainte-Lucie contre les colons anglais avec la « Guerre des bandits », en Dominique avec la « Guerre des bois », à Grenade avec Julien Fédon et aussi à Saint-Vincent où les guerriers garifunas (Caraïbes Noirs) de Joseph Chatoyer furent massacrés et déportés…
En 1793, les esclaves sous la direction de Toussaint Louverture obtiennent leur émancipation à Saint Domingue (la future Haïti) et soutiennent la Révolution française, mais doivent se défendre contre tous ceux qui veulent attenter à leur liberté. C’est ainsi que l’armée de Bonaparte sera vaincue après une guerre terrible. L’indépendance, obtenue en 1804, permis aux Haïtiens d’abolir l’esclavage dans la partie espagnole de Saint-Domingue et d’aider Bolivar dans sa lutte pour l’indépendance du Venezuela, de la Colombie, du Panama, de l’Equateur, du Pérou et de la Bolivie. Cette aide se fit en obtenant l’engagement d’abolir l’esclavage dans tous ces territoires. Tout au long du 19e siècle, Haïti resta la référence et le point d’appui pour la libération des esclaves sur tout le continent américain.
Gilbert Pago