Né au Pays de Galles, Bertrand Russell (1872-1970), petit-fils de Premier ministre, intellectuel aux multiples talents, était un mathématicien de renommée mondiale, avant tout logicien. Libéral de tradition, rationaliste, progressiste, son engagement politique le conduit au pacifisme, à l’objection de conscience, à une conception proche des idées libertaires.
Il se dit athée. Opposé à la participation britannique à la Première Guerre mondiale, il perd son poste de professeur à l’université de Cambridge et sera condamné à six mois de prison où il écrit son Introduction à la philosophie mathématique. Entre 1938 et 1944, il enseigne aux États-Unis avant d’y être interdit d’enseignement en raison de ses positions contre la religion, pour la défense de la liberté sexuelle, son anticonformisme. Prix Nobel de littérature en 1950, il s’oppose avec Albert Einstein à l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins militaires. Ce qui lui valut d’être à nouveau emprisonné en 1961. Il milite contre la guerre du Vietnam et organise avec Jean-Paul Sartre le tribunal international qui prendra son nom pour juger les « crimes de guerre de l’armée américaine ».
Ce recueil de 41 textes couvre la période de la Première Guerre mondiale. Ces textes sont une critique radicale et lucide de la politique des libéraux alliés aux conservateurs pour mener la guerre. Ils expriment aussi le cheminement d’une pensée qui s’est éduquée, formée, construite à l’école de la fraction de la bourgeoisie anglaise la plus évoluée, moderne, progressiste, au moment où elle se heurte au déchaînement de la barbarie impérialiste.
Pétri aussi d’une culture où le respect de soi, la dignité individuelle, passe par l’accord entre les idées, les principes et les actes, il assumera les conséquences de ses conceptions face à l’ordre établi. Il n’est pas révolutionnaire même si, comme en témoigne les écrits de 1917 et 1918, il voit dans la victoire du socialisme international l’issue à la guerre. Il soutient la révolution russe, un immense espoir, et la démarche de Lénine pour une paix démocratique sans annexions ni indemnités.
Sa conception reste cependant dominée par un idéalisme moral qui le laisse très distant vis-à-vis des ressorts de la révolte des opprimés, des luttes de classe et de la lutte pour le pouvoir. Et cela d’autant que ces luttes prennent dans la jeune URSS un visage particulièrement âpre. Il rompra avec le bolchevisme à la suite d’un voyage avec une délégation officielle du parti travailliste en URSS en 1920. Du pacifisme à la révolution, il y a un pas que Russell ne pouvait franchir, celui de la lutte violente pour le pouvoir. Mais il restera tout au long de sa vie fidèle à son idéal.
Yvan Lemaître