Olivier Neveux – Que met-on sous le terme « d’annulation du festival d’Avignon 2003 » ? Comment cela s’est-il passé ?
Jérémy Sinigaglia – À l’été 2003, Avignon est l’enjeu central du conflit. Le festival a déjà été perturbé mais jamais annulé, pas même en 1968. Les intermittents votent la grève à la première assemblée générale au Palais des Papes. Des personnalités de la culture s’y opposent : Bartabas dénonce la manipulation syndicale, Patrice Chéreau reproche aux grévistes de se « tirer une balle dans le pied », Ariane Mnouchkine compare la grève à un bûcher… Parmi les intermittents mobilisés aussi, le recours à la grève est discuté. L’attachement au festival, la perte de salaire, la crainte des répercussions sur les compagnies sont souvent évoqués. Certains estiment qu’il faudrait trouver une manière plus créative de lutter. Mais les grévistes sont majoritaires. Le directeur du festival annonce alors sa décision de l’annuler. Du côté des intermittents, le sentiment est confus. L’annulation est la preuve de la force de la mobilisation mais elle les prive de leur grève et de sa couverture médiatique.
Quels sont, à ton avis, les acquis de ce mouvement et de cette grève ?
Je crois que la force de ce mouvement, c’est d’abord d’avoir su maintenir une sorte d’état de veille. La signature de l’accord du 22 mars 2014 ouvre un nouvel épisode du conflit, mais il s’inscrit dans la continuité de 2003. La mobilisation actuelle hérite de réseaux qui se sont réactivés et qui donnent un cadre aux intermittents qui veulent s’engager. En marge des syndicats, notamment de la CGT-Spectacle qui joue un rôle important, la Coordination des intermittents et précaires propose un mode très souple d’engagement, qui correspond bien aux artistes. Chacun peut prendre part à la lutte à sa façon. Certains ont plutôt le goût de l’action directe et participent aux occupations. D’autres préfèrent le travail institutionnel, le lien avec les parlementaires ou avec la presse. D’autres font un peu tout à la fois. Les intermittents forment un groupe très hétérogène et une des forces du mouvement est d’avoir réussi à en tirer profit.
À la veille des festivals d’été, comment vois-tu par comparaison le mouvement actuel ?
Difficile de prédire l’issue d’une mobilisation ! La précédente a été très forte et s’est pourtant soldée par un échec sur le plan des revendications. Cette fois, la conjoncture est un peu différente. La crise économique et sociale s’est étendue et le mécontentement se généralise. Si cela ne se traduit pas toujours pas des mobilisations, le thème de la convergence des luttes revient, et on a même assisté à un rapprochement avec les cheminots. Mais cela reste difficile car cela pose la question de la définition du mouvement : est-ce une mobilisation d’artistes, de précaires, de salariés ? On peut toujours répondre que c’est les trois, ce qui n’est pas complètement faux, mais en réalité chaque réponse peut donner lieu à un élargissement des mots d’ordre, qui pourra servir la convergence, mais aussi à la dilution des revendications. Le fait que l’enjeu de la lutte soit encore une fois les festivals de l’été donne peut-être un début de réponse.
Propos recueillis par Olivier Neveux