Ils s’étaient écrit, il était temps de se voir, et de se parler. Le Front de gauche a honoré mercredi l’invitation lancée début juin par les écologistes pour « travailler ensemble » à « des propositions concrètes » à destination du gouvernement afin de sortir de la « crise politique et morale ». Fait rare, la coalition de gauche radicale était au complet : les dirigeants du PCF, du Parti de gauche et d’Ensemble se sont tous rendus au siège des Verts pour parler de possibles « convergences » avec leurs hôtes.
Une attente des sympathisants de gauche
Pendant plus de deux heures, les participants ont ainsi échangé autour des trois chantiers proposés par Emmanuelle Cosse : la relance de l’emploi, la transition énergétique et les réformes institutionnelles démocratiques. Et ils ne le regrettent pas : « C’est une chose de se parler par l’intermédiaire de la presse, c’en est une autre de se parler en face », a reconnu Éric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche. « C’est la première fois que le Front de gauche dans sa totalité discute en bilatéral avec une autre organisation politique », a souligné Francis Parny, du PCF. « C’est encore embryonnaire et informel, mais c’est très intéressant et positif, on a pu vérifier qu’il y avait une vraie volonté de faire un travail commun », s’est félicité David Cormand, secrétaire national adjoint du parti écologiste.
Invitée de France Info jeudi matin, la secrétaire nationale des Verts a justifié sa proposition de rencontre par les résultats des européennes : « Quand le FN gagne une élection (…), il me semble essentiel que la gauche se réveille, travaille et se pose des questions ». L’initiative semble en tout cas correspondre à une attente des sympathisants de gauche. Selon un sondage du Parisien, ils seraient 52% à approuver une potentielle alliance d’« une quarantaine de députés socialistes ainsi que des députés Verts et communistes (qui) pourraient s’allier pour voter contre ou s’abstenir lors de l’examen des budgets rectificatifs et de financement de la sécurité sociale à l‘Assemblée nationale ».
Quel périmètre de discussion ?
Si cette réunion inédite a été l’occasion de réaffirmer une condamnation commune à gauche de la politique actuelle du gouvernement, elle a cependant confirmé la persistance d’importantes divergences stratégiques. La présence du Modem parmi les destinataires de l’invitation d’EELV avait laissé Jean-Luc Mélenchon plus que dubitatif quant à la pertinence du périmètre de la discussion. Le problème s’est réglé tout seul du fait que François Bayrou n’ait pas fait suite… Reste la question du rapport au PS. En refusant de participer au gouvernement de Manuel Valls et en votant contre son plan d’économie, les écologistes ont certes marqué un virage à gauche.
Il n’empêche que « les Verts ont réaffirmé qu’ils appartiennent à la majorité et qu’ils veulent inclure le PS dans l’élaboration de leur projet car ils espèrent encore faire changer le gouvernement de cap, explique Éric Coquerel. Or au Front de gauche nous cherchons à construire une majorité alternative. Nous sommes clairement en rupture avec le gouvernement, il n’est donc pas question d’envisager un projet commun avec le PS ». Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon est tout aussi ferme : « Il ne saurait être question de faire semblant de croire que le PS en tant que tel puisse faire autre chose que ce que veut le gouvernement. Ce n’est pas une marque de sectarisme que de refuser le podium commun et la photo de famille avec le PS ».
En réalité, le débat autour des alliances est loin d’être tranché au sein même des Verts. Si l’ex-patronne du parti Cécile Duflot s’est toujours opposée à tout accord avec le centre, une partie des Verts souhaite, notamment par réalisme électoral, étendre la stratégie de partenariat avec le PS au Modem. Le chef de file des écolos au Sénat Jean-Vincent Placé a récemment rejoint les rangs de figures comme le député François de Rugy, qui appellent depuis le début à un tel rapprochement.
« Les temporalités sont différentes »
Mais au delà du désaccord sur la relation à entretenir avec la social-démocratie, le Parti de gauche attend de voir si les paroles critiques des Verts se traduisent en actes : « Difficile d’imaginer un projet commun dans les transports si on se coupe du mouvement des cheminots et qu’on vote le paquet ferroviaire », fait remarquer Mélenchon sur son blog, tandis qu’Éric Coquerel attend, par exemple, de voir comment se positionneront les députés écolos au moment du vote du budget à l’automne.
Est-ce trop demander ? David Cormand estime que, par les temps qui courent, la gauche n’a pas intérêt à multiplier les préalables pour construire une coalition : « Dans « majorité alternative » il y a le mot « majorité », or il faut rester humble et se rappeler qu’aux européennes, la gauche a totalisé 35% des voix. » Pour l’écologiste, « la construction d’une alternative n’est pas incompatible avec la nécessité, face à l’urgence de la situation, de maintenir le contact avec le PS et de continuer d’essayer de changer à court terme le cap du gouvernement. »
« Les temporalités sont différentes, constate Ingrid Hayes, d’Ensemble. Il faudra du temps pour que les convergences soient plus nettes. La sortie d’EELV du gouvernement et le vote contre le plan Valls étaient d’excellentes nouvelles, mais ceci est le point départ. Les Verts en sont au début de leur réflexion. Il faut ni se faire d’illusions sur la rapidité du processus, ni les brusquer. En attendant, il faut poursuivre les discussions, on a des choses à dire en commun, des campagnes de mobilisation à mener ensemble, comme par exemple contre le grand marché transatlantique, et on peut organiser un calendrier de débats ». Francis Parny du PC fait une analyse similaire : « Le Front de gauche a une antériorité, un patrimoine commun fort en opposition claire avec le néolibéralisme. Pour EELV, cette radicalisation est très récente. Ils ne sont pas encore au stade d’élaborer un projet de rupture global, ils préfèrent se concentrer sur des questions spécifiques comme la transition énergétique ou l’emploi. Mais on a bon espoir qu’ils poursuivent leur évolution à gauche. »
Laura Raim, 27 juin 2014