Depuis 2013, DIAL a régulièrement publié des textes autour de la problématique de l’extractivisme, privilégiant soit la description d’un conflit et de luttes dans un cas précis d’extractivisme [1], soit des perspectives plus générales [2]. Le texte que nous publions ici propose une synthèse assez englobante et une analyse des dynamiques globales de l’extractivisme, en suggérant dans un dernier temps des portes de sortie pour amorcer la construction de sociétés postextractivistes. Alberto Acosta est un économiste équatorien, professeur et chercheur à la Faculté latino-américaine de sciences sociales - siège académique de l’Équateur (FLACSO-Équateur). Ancien ministre de l’énergie et des mines, il a aussi été président et membre de l’Assemblée constituante [3]. Le texte traduit ici est un chapitre de l’ouvrage collectif Más allá del desarrollo, publié sous la direction de Miriam Lang et Dunia Mokrani Chávez (Quito, Abya Yala / Fundación Rosa Luxemburg, 2011). Du fait de la longueur du chapitre, nous avons réalisé deux coupes [4]. Le texte est cependant disponible en intégralité, en espagnol, sur le site DIAL - AlterInfos [5].
« − Pourrais-tu me dire quel chemin je dois suivre pour sortir d’ici ?, demanda Alice.
− Tout dépend de l’endroit où tu voudras aller, répondit le chat.
− Cela m’est presque égal, dit Alice.
− Alors le chemin que tu suivras importe peu, dit le chat. »
Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles.
Dans le piège de la malédiction de l’abondance
Bien que cela paraisse peu crédible à première vue, les observations récentes et beaucoup d’expériences cumulées permettent d’affirmer que la pauvreté dans de nombreux pays est liée à la présence de richesses naturelles abondantes [6]. Les pays riches en ressources naturelles, dont l’économie s’appuie principalement sur leur extraction et leur exploitation, éprouvent de grandes difficultés à se développer. Surtout, ceux qui possèdent en abondance une ou plusieurs matières premières semblent condamnés au sous-développement. Cette situation s’avère encore plus complexe pour les économies qui dépendent du pétrole et de minerais pour se financer.
Ces pays seraient pris au piège d’une logique perverse désignée dans la littérature spécialisée par l’expression « paradoxe de l’abondance » ou « malédiction des ressources naturelles ». À cet égard, certains ont presque fait de cette malédiction un fatalisme tropical : la Banque interaméricaine de développement (BID) [7], dans plusieurs de ses rapports annuels et études techniques, défend l’idée d’un « déterminisme géographique du développement : les pays les plus riches en ressources naturelles et les plus proches de l’équateur [de la ligne équatoriale] sont condamnés à être plus en retard et plus pauvres que les autres. […] Il existe un fatalisme tropical, qui fait que les pays de la zone équatoriale paraissent voués à la pauvreté. […] Selon la BID, plus un pays est riche en ressources naturelles, plus il mettra de temps à se développer et plus les inégalités internes seront marquées » (Gudynas, 2009b).
Face à ce déterminisme géographique et écologique, il n’y aurait d’autre solution que la résignation. Cependant, la BID suggère une issue. Cette issue, comme l’a résumé le même Gudynas dans son analyse des propositions de la BID, « c’est le marché, et c’est intensifier encore davantage les réformes » néolibérales.
Dans cette optique, le remède aux problèmes et conflits induits par l’extractivisme résiderait dans une bonne « gouvernance » de la gestion des richesses naturelles. Sont invoqués à cette fin les politiques économiques d’inspiration orthodoxe et conservatrice, une plus grande participation de la société civile en tant qu’observatrice des opérations d’extraction, une expansion de l’investissement social dans les zones touchées par l’extractivisme pour limiter les mouvements sociaux, parallèlement à une plus grande transparence des revenus engrangés par les entreprises d’extraction, les pouvoirs locaux et le gouvernement central. Les dommages environnementaux sont perçus comme étant un coût inévitable du développement. Nul doute qu’il s’agit là d’approximations peu rigoureuses, dénuées d’analyse historique et coupées des problèmes de fond. À n’en pas douter, l’audace, conjuguée à une forte dose d’ignorance et une amnésie bien programmée dans les sociétés, va de pair avec l’arrogance.
Il faut le dire dès le début : cette double malédiction, des ressources naturelles et idéologique, peut être surmontée, elle n’est pas inéluctable.
Qu’entend-on par extractivisme ?
L’extractivisme et un mode d’accumulation qui a commencé à se forger voilà 500 ans [8]. La conquête et la colonisation de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Asie ont marqué le début de la structuration de l’économie mondiale — du système capitaliste. Ce mode d’accumulation extractiviste est conditionné depuis lors par la demande des centres métropolitains du capitalisme naissant. Des régions se sont spécialisées dans l’extraction et la production de matières premières, c’est-à-dire de biens primaires, tandis que d’autres jouent le rôle de productrices de biens manufacturés. Les premières exportent la nature, les secondes l’importent.
Pour donner une définition compréhensible, nous utiliserons le terme « extractivisme » pour désigner les activités qui prélèvent de grosses quantités de ressources naturelles qui ne sont pas transformées (ou le sont d’une manière limitée), surtout pour l’exportation. L’extractivisme ne se limite pas aux minerais ou au pétrole. Il existe également un extractivisme agricole, forestier, et même de la pêche [9].
Aujourd’hui, la question des ressources naturelles « renouvelables » doit être analysée à la lumière des évolutions et tendances récentes. Les quantités extraites sont tellement énormes que beaucoup de ressources « renouvelables », comme la forêt ou le sous-sol, deviennent non renouvelables : elles disparaissent parce que le niveau d’extraction dépasse largement leur taux de renouvellement naturel. Par conséquent, aux rythmes d’extraction actuels, les problèmes qui se posent avec les ressources naturelles non renouvelables pourraient toucher de la même manière toutes les ressources, renouvelables ou non.
Pratiquement parlant, l’extractivisme a été un mécanisme de pillage et d’appropriation de type colonial et néocolonial. Cet extractivisme, qui a pris différents visages au fil du temps, s’est forgé dans l’exploitation des matières premières indispensables au développement industriel et au bien-être des pays du Nord. Et cela, en faisant fi de la viabilité des activités extractivistes, ainsi que de l’épuisement des ressources. S’y ajoute le fait que la plus grande partie de la production des entreprises extractivistes n’est pas destinée à la consommation du marché intérieur mais essentiellement à l’exportation. Malgré son importance, cette activité se révèle d’un profit très limité pour le pays. De même, une grande partie des biens, des fournitures et des services spécialisés permettant aux entreprises extractivistes de fonctionner ne proviennent que rarement d’entreprises nationales. Dans les pays extractivistes il ne semble pas non plus que l’on s’intéresse beaucoup à l’usage qui est fait des recettes engrangées.
L’extractivisme a été une constante de la vie économique, sociale et politique de nombreux pays du Sud. Ainsi, à des degrés divers, tous les pays de l’Amérique latine connaissent ces pratiques. Cette dépendance des métropoles, à travers l’extraction et l’exportation de matières premières, n’a quasiment pas évolué jusqu’à nos jours. Certains pays ont simplement changé quelques éléments de l’extractivisme traditionnel du fait d’une plus grande intervention de l’État dans ces activités. Par conséquent, au-delà de quelques différenciations plus ou moins importantes, le mode d’accumulation extractiviste semble être au cœur du projet productif des gouvernements néolibéraux comme des gouvernements progressistes [10].
Quelques pathologies de l’extractivisme
Le point de départ de cette question réside [11], en grande partie, dans la forme sous laquelle ces ressources sont extraites et exploitées, ainsi que dans la manière dont leurs fruits sont distribués. Certes, il existe d’autres éléments que l’on ne pourra corriger. Par exemple, certaines activités, comme l’industrie minière des métaux à grande échelle, déprédatrice par essence, ne pourront jamais être « durable ». En outre, un processus est durable dès lors qu’il peut se maintenir dans le temps, sans aide extérieure et sans épuisement des ressources existantes [12]. Soutenir l’inverse, même au nom d’une foi aveugle dans les progrès technologiques, c’est tenir un discours biaisé [13].
L’histoire de la région nous enseigne que ce processus extractiviste a conduit à une généralisation de la pauvreté et débouché sur des crises économiques récurrentes, tout en confortant des mentalités de « rentiers ». Autant de facteurs qui accentuent la faiblesse et l’insuffisance des institutions démocratiques, alimentent la corruption, déstructurent les sociétés et les collectivités locales, et détériorent l’environnement. Les choses se compliquent avec le développement de pratiques clientélistes et patrimonialistes, qui contribuent à freiner la construction de la citoyenneté.
[…]
S’y ajoute le fait, assez évident (et malheureusement nécessaire, non seulement pour des raisons technologiques) que, à la différence des autres branches de l’économie, les activités minières et pétrolières génèrent peu de travail direct et indirect (travail, toutefois, bien rémunéré). Ce sont des activités à forte intensité de capital et d’importations. Elles requièrent l’embauche de personnel de direction et de gens hautement qualifiés (souvent étrangers). Elles utilisent presque exclusivement des fournitures et de la technologie extérieures. Ces pratiques ont pour conséquence que le « taux de rentabilité interne » (qui équivaut à la valeur ajoutée qui demeure dans le pays) de l’activité exportatrice de biens primaires se révèle dérisoire.
Dans ces économies pétrolières et minières d’enclave, la structure et la dynamique politiques se caractérisent par des pratiques « rentières » ; la voracité et l’autoritarisme avec lesquels se prennent les décisions poussent la dépense publique à des niveaux disproportionnés et entraînent une distribution fiscale discrétionnaire, comme on le verra plus loin.
Du fait de cette situation et des caractéristiques technologiques des activités pétrolières et minières, la production directe d’emplois est tout sauf massive. Cela pourrait également expliquer la contradiction que vivent les pays riches en matières premières où, en pratique, la masse de la population s’est appauvrie.
En outre, les communautés sur le territoire ou à proximité desquelles ces activités extractivistes se produisent ont pâti et pâtissent encore des effets de diverses difficultés socio-environnementales induites par cette forme d’exploitation. La misère de grandes masses de population semblerait donc consubstantielle de la présence d’immenses quantités de ressources naturelles (à forte rente différentielle). Ce mode d’accumulation ne recourt pas au marché intérieur et n’en a même pas besoin puisqu’il fonctionne avec des salaires décroissants. Il n’y a pas de pression sociale suffisante pour que obliger à réinvestir dans une amélioration de la productivité. La politique de rente détermine l’activité productive et, bien sûr, le reste des relations sociales. Corollaire de ce qui précède, ces activités extractives, pétrolières ou minières, encouragent les relations sociales clientélistes, qui servent l’intérêt des entreprises transnationales elles-mêmes mais empêchent l’élaboration de plans appropriés de développement national et local.
Ce type d’économies extractivistes occasionne une dégradation grave et irréversible du milieu naturel. Un examen des activités minières ou pétrolières autour de la planète met en évidence une infinité de dommages et de dégâts irréversibles dans la nature. De même, on ne compte plus les tragédies humaines, ni les cas de destruction des atouts culturels de nombreux peuples. Au chapitre économique, la situation n’est pas meilleure. Les pays dont les exportations dépendent fondamentalement de ressources minières ou pétrolières accusent un retard économique, et les problèmes environnementaux s’y développent au même rythme que les activités extractivistes.
Concentrons-nous un instant sur l’industrie minière. Aujourd’hui, l’exploitation industrielle du sous-sol implique l’extraction massive, en un temps très court, de la plus grande quantité possible de minerais qui se sont formés par des processus de très longue durée à des échelles tectoniques. Actuellement, les sites à forte concentration de minerai sont en train de s’épuiser. Cependant, les cours élevés du marché mondial font que l’exploitation minière est rentable même dans les gisements pauvres en minerai. Pour que ces gisements produisent, il est nécessaire d’appliquer des techniques industrielles à grande échelle, qui utilisent beaucoup de produits chimiques parfois extrêmement toxiques (cyanure, acide sulfurique, etc.), consomment énormément d’eau et engendrent de grandes quantités de déchets.
Ce gigantisme s’accompagne d’incidences environnementales démesurées. Les effets nocifs apparaissent non seulement pendant la phase d’exploration et d’exploitation, lorsque de gigantesques trous sont creusés dans la Terre Mère ou que l’on emploie des produits chimiques toxiques pour traiter les minerais extraits, mais aussi pendant le déplacement du matériau extrait, qui touche d’énormes portions de territoire.
Les déchets miniers, en s’accumulant sur de longues années, peuvent se répandre et polluer l’environnement, notamment avec des métaux lourds ou des écoulements acides de roches. Ce dernier phénomène, qui peut durer des dizaines et des dizaines d’années, survient lorsque les eaux de pluie, ou même l’air, entrent en contact avec les roches déplacées du sous-sol vers la surface et accumulées dans les terrils, dans le cratère ou dans les monceaux de déchets de la mine. Généralement, le risque est élevé d’une oxydation de minéraux sulfurés par la pluie ou par l’air humide, qui finit par provoquer une acidification inhabituelle des eaux courant sur ces roches. En Équateur, de nombreux gisements miniers seraient particulièrement exposés à ce phénomène parce qu’ils contiennent des roches sulfureuses, connues pour engendrer des écoulements acides.
Cette forme de pollution est particulièrement dévastatrice pour l’eau. Souvent, l’eau devient impropre à la consommation humaine et à l’agriculture. La pollution des sources a en outre toutes sortes de conséquences pour la santé publique, notamment des maladies dégénératives ou cutanées. Sans parler des graves répercussions sociales qui vont de pair avec cette méga-activité extractiviste.
Bien que les différentes activités extractives soient connues pour leur long passé de déprédation à travers le monde, on enregistre actuellement — alors que l’épuisement des richesses naturelles est notoire, en particulier dans les pays industrialisés — une pression croissante dans les pays sous-développés pour qu’ils se départissent de leurs gisements de minerais ou de pétrole. Dans les sociétés dites développées, l’essor même des mouvements de défense de l’environnement génère une pression sur les pays appauvris poussés à ouvrir leur territoire pour satisfaire la demande de minerais de l’économie mondiale.
Il convient de rappeler qu’habituellement les entreprises transnationales et les gouvernements complices évoquent exclusivement les « énormes » réserves minières et pétrolières existantes, converties en valeurs monétaires. Avec ces chiffres, en général très exagérés, on cherche à influencer l’opinion publique en faveur des activités minières. Or il s’agit d’une vision incomplète des choses. Il faudrait ajouter les coûts cachés, environnementaux et sociaux, en intégrant, par exemple, la valeur économique de la pollution. Ce sont des pertes économiques qui ne transparaissent normalement pas dans les projets et qui sont transférées à la société ; que l’on se rappelle la catastrophe sociale et écologique survenue dans le nord-est de l’Amazonie équatorienne, qui se solda par un procès contre la société Chevron-Texaco [14]. Devraient également figurer sur la liste des coûts les dénommées « subventions perverses » consenties sous la forme d’énergie à des prix bonifiés, d’eau à titre gratuit ou à prix réduit, voire d’infrastructures de transport (Gudynas, 2011). A-t-on publié ces chiffres ? Non. Probablement parce que la prise en charge de ces coûts diminuerait notablement la rentabilité des entreprises et mettrait en évidence les maigres bénéfices retirés par l’État.
Ces activités extractivistes engendrent, à leur tour, de graves tensions sociales dans les régions où sont extraites ces ressources naturelles parce que très rares sont les personnes de la région qui peuvent normalement intégrer les équipes des entreprises minières et pétrolières. Les répercussions économiques et sociales provoquent la division de communautés, des conflits entre elles et à l’intérieur des familles, de la violence domestique, des atteintes aux droits collectifs et humains, une aggravation de la délinquance et de la violence, le trafic de terres, etc.
Dans les économies exportatrices de biens primaires de la région, durant les décennies d’un mode d’accumulation extractiviste, on a atteint des niveaux élevés de sous-emploi, de chômage et de pauvreté, et des degrés d’inégalité sans précédent dans la répartition des revenus et des actifs. Résultat, les possibilités d’élargir le marché intérieur s’évanouissent parce qu’on ne produit pas d’emplois ni de revenus suffisants (il n’y a pas, et il n’y aura pas de « ruissellement » [15]. En revanche, les pressions se poursuivent pour orienter l’économie toujours plus vers l’extérieur « parce qu’il n’y a personne à qui vendre sur le marché intérieur », comme l’affirment à l’envi les tenants de ce modèle.
Cette « obsession exportatrice » freine la créativité et n’encourage pas les entrepreneurs du pays. De même, au sein du gouvernement, et dans de larges secteurs de la société, se retrouve cette « mentalité pro-exportatatrice » quasiment pathologique, fondé sur le fameux slogan « exporter ou mourir », ce qui conduit à négliger les énormes capacités et possibilités qui existent dans le pays.
Le néoextractivisme, version contemporaine de l’extractivisme
Depuis leurs origines, les républiques exportatrices de biens primaires de l’Amérique latine ne sont pas parvenues à établir un schème de développement qui leur permette de surmonter les obstacles de la pauvreté et de l’autoritarisme. Voilà le grand paradoxe : il y a des pays très riches en ressources naturelles, et qui peuvent même enregistrer d’importantes rentrées d’argent, mais qui n’ont pas réussi à jeter les bases de leur développement et qui restent pauvres. Et ils sont pauvres parce que riches en ressources naturelles, dans la mesure où ils ont misé en priorité sur l’extraction de ces richesses naturelles pour le marché mondial, écartant d’autres formes de création de valeur ajoutée qui reposent davantage sur l’effort humain que sur l’exploitation implacable de la Nature.
Ces dernières années, conscients de certaines des pathologies susmentionnées, divers pays de la région dotés d’un gouvernement progressiste ont engagé quelques changements importants concernant certains éléments du mode d’accumulation extractiviste. Cependant, au-delà des discours et des plans officiels, rien ne prouve clairement qu’ils ont vraiment l’intention de dépasser ce mode d’accumulation. En faisant cet effort, ils espèrent pouvoir répondre à de nombreuses revendications sociales longtemps remises au lendemain et, bien sûr, assurer leur maintien au pouvoir en recourant à des pratiques clientélistes, voire autoritaires.
Dans la gestion des gouvernements progressistes en Amérique du Sud, « les secteurs extractivistes demeurent importants en tant que pilier majeur des styles de développement », remarque Eduardo Gudynas (2009a et 2010). Selon son analyse, si le progressisme sud-américain « produit un extractivisme d’un nouveau type, tant par certaines de ses composantes que par la conjugaison d’attributs anciens et nouveaux », la structure d’accumulation en place n’a pas fondamentalement changé. De ce fait, le néoextractivisme favorise « une insertion internationale subordonnée au service de la mondialisation » du capitalisme transnational. « La fragmentation territoriale, avec des zones isolées et des enclaves d’extraction associées aux marchés mondiaux » non seulement se poursuit mais progresse. Continuent et « dans quelques cas s’aggravent les impacts sociaux et environnementaux des secteurs extractifs ». Pour continuer avec Gudynas, « au-delà de la question de la propriété des ressources, sont reproduits les règles et modes de fonctionnement des processus de production axés sur la compétitivité, l’efficience, la maximisation de la rente et l’externalisation des impacts ». Il convient de souligner, entre autres, « une plus grande présence et un rôle plus actif de l’État, sous la forme d’actions tant directes qu’indirectes ». Avec cette posture nationaliste, l’État essaie principalement d’avoir un plus grand accès aux ressources naturelles et aux bénéfices produits par leur extraction, et d’exercer un meilleur contrôle. Cette posture conduit à critiquer la mainmise des transnationales sur les ressources naturelles et non l’extraction en soi. Sont même acceptées quelques atteintes environnementales et sociales graves en échange de bénéfices pour la collectivité nationale. À cette fin, « l’État capte (ou s’efforce de capter) une plus grande proportion de l’excédent produit par les secteurs extractifs ». De plus, « une partie de ces ressources finance des programmes sociaux importants et massifs, ce qui assure de nouvelles sources de légitimation sociale ». Et, de cette façon, l’extractivisme apparaît indispensable pour combattre la pauvreté et soutenir le développement.
Il ne fait aucun doute que « le néoextractivisme participe d’une version contemporaine du développementisme propre à l’Amérique du Sud, où se pérennise le mythe du progrès et du développement dans le cadre d’une nouvelle hybridation culturelle et politique », conclut Gudynas (2009a et 2010).
Il est important que l’État exerce un plus grand contrôle sur ces activités, mais cela ne suffit pas. Le contrôle réel des exportations nationales se trouve aux mains des pays dominants, même si l’on n’enregistre pas toujours d’investissements étrangers importants dans les activités extractivistes. D’une manière perverse, beaucoup d’entreprises d’État dans les économies exportatrices de biens primaires (assurément avec l’assentiment des gouvernements respectifs) semblent programmées pour réagir exclusivement à des impulsions extérieures et agissent chez elles en suivant des logiques semblables à celles des transnationales : la déprédation de l’environnement et l’irrespect sociale ne sont pas absentes de leurs pratiques. En résumé, la logique subordonnée de leur production, motivée par la demande extérieure, caractérise l’évolution de ces économie exportatrices de biens primaires. Le néoextractivisme, en fin de compte, conserve et reproduit des éléments clés de l’extractivisme d’origine coloniale.
Grâce au pétrole et à l’exploitation minière, c’est-à-dire grâce aux énormes recettes produites par les exportations de ces ressources, les dirigeants progressistes se font souvent le relais de la volonté collective et s’emploient à accélérer le bond vers la modernité tant désirée. Comme l’affirme Fernando Coronil (2002), dans les économies de ce type apparaît un « État magicien », capable de déployer la « culture du miracle » [16]. C’est exactement ce que l’on observe au Venezuela, en Équateur ou en Bolivie depuis quelques années.
Dans ces pays, l’État a dernièrement retrouvé des forces. Après l’État minimum du néolibéralisme, on essaie — à raison — de rétablir et d’amplifier la présence et l’action de l’État. Mais, pour le moment, ces pays ne manifestent pas une volonté sérieuse d’engager des transformations structurelles profondes. La structure et les principales caractéristiques de la production et des exportations restent inchangées. Dans ces conditions, les secteurs patronaux puissants, qui ont subi l’assaut des « discours révolutionnaires », n’ont pas cessé d’engranger des gains importants en profitant de cet extractivisme renouvelé.
Du moins jusqu’à aujourd’hui, dans ces pays dotés d’un gouvernement progressiste qui a instrumentalisé des schémas néoextractivistes, les secteurs traditionnellement marginalisés de la population ont connu une amélioration relative grâce à une meilleure répartition des revenus croissants tirés du pétrole et des mines. En revanche, il n’y a pas eu de redistribution radicale des revenus et des actifs. Cette situation s’explique par la relative facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des bienfaits de la nature généreuse, sans entrer dans de complexes processus sociaux et politiques de redistribution.
Comme autrefois, le bénéfice de cette orientation économique va majoritairement aux pays riches, importateurs de Nature, qui tirent grand profit de sa transformation et commercialisation sous forme de produits finis. Les pays exportateurs de biens primaires, quant à eux, reçoivent une part minime de la rente minière ou pétrolière, et sont ceux qui supportent la charge des passifs écologiques et sociaux.
C’est loin d’être négligeable du fait du manque d’institutions appropriées pour faire face aux coûts environnemental, social et politique qu’entraînent les affrontements autour de ces activités extractivistes, notamment le coût économique lié à l’emploi de la force publique pour réprimer des troubles éventuels. En plus de cela, il faut aussi prendre en considération l’effet de cette instabilité sociale presque programmée sur d’autres activités productives dans les zones d’influence extractiviste, par exemple lorsque les activités minières provoquent l’expulsion des paysans de la région.
Les effets de ces conflits et de cette violence touchent également les gouvernements sectoriels. Ceux-ci peuvent être attirés par les chants des sirènes des entreprises qui se consacrent à l’extractivisme de masse et des gouvernements complices, qui peuvent leur offrir quelques avantages financiers. Néanmoins, en fin de compte, les sociétés devront supporter les coûts de ces relations complexes et conflictuelles entre les populations, les entreprises et l’État. Les plans de développement locaux seront menacés à cause de la suprématie de l’extractivisme minier ou pétrolier sur toute autre activité. Tout se terminera par la mise en pièces des plans élaborés dans un esprit participatif et en connaissance de cause par les populations locales. Et les passifs environnementaux constitueront l’héritage le plus douloureux et le plus coûteux des activités extractivistes car ils ne sont généralement pas mis à la charge des entreprises exploitantes.
Il est clair que si l’on comptabilise les coûts économiques imputables aux incidences de l’extraction de pétrole ou de minerais sur le plan social, environnemental et de la production, beaucoup de bénéfices économiques de ces activités disparaissent [17]. Mais, comme cela a déjà été indiqué, les divers gouvernements progressistes ne tiennent pas de comptes aussi complets parce qu’ils comptent aveuglément sur les profits que leur rapportent les exportations de biens primaires.
En résumé, une grande partie des pathologies les plus importantes et les plus graves de l’extractivisme traditionnel se retrouvent dans le néoextractivisme.
[…]
Du développementisme sénile au postextractivisme
Quelqu’un — de mauvaise foi ou par ignorance — pourrait avoir une idée saugrenue : si l’économie exportatrice de biens primaires produit et pérennise le sous-développement, la solution consisterait à cesser d’exploiter les ressources naturelles. C’est évidemment une tromperie. La malédiction des ressources naturelles n’est pas une fatalité mais un choix. Tout l’enjeu est de trouver une stratégie qui permette d’assurer le bien-vivre en mettant à profit les ressources naturelles non renouvelables, en en faisant une « bénédiction » (Stiglitz, 2006).
Il s’agit donc de choisir une autre voie, qui nous éloigne de la malédiction des ressources naturelles et de la malédiction des visions orthodoxes qui nous maintiennent dans la subordination au pouvoir transnational. Pour cette raison, l’une des tâches les plus complexes est d’élaborer et d’appliquer une stratégie qui nous mène vers une économie postextractiviste.
Cette nouvelle économie n’apparaîtra pas du jour au lendemain. Et il est difficile d’imaginer que l’on puisse fermer brutalement les champs pétroliers ou miniers en cours d’exploitation. Mais cette transition ne deviendra jamais une réalité si l’on continue d’étendre les activités extractivistes et si rien n’est trouvé pour les réduire peu à peu selon un processus correctement planifié. Cette transition n’est certes pas facile dans un monde capitaliste impensable sans l’extraction de ressources comme le pétrole, les minerais ou la forêt. Accomplir cette transition, telle est la tâche du moment, qui fait appel à toutes les forces de la pensée critique, ainsi qu’à l’inventivité et la créativité des sociétés et des organisations sociales. Les efforts déployés pour passer au postextractivisme dans les pays du Sud devraient aller de pair avec une décroissance économique [18] ou, du moins, avec une stagnation de la croissance dans le Nord, sujet de préoccupation croissante dans beaucoup de pays industrialisés.
La voie que l’on retiendra pour sortir d’une économie extractiviste, qu’il faudra faire cohabiter pendant un temps avec quelques activités de ce type, devra tenir compte d’un point crucial : la décroissance planifiée de l’extractivisme. Cette option favorise le développement d’activités durables dans les domaines de l’industrie manufacturière, de l’agriculture, du tourisme et, surtout, de la connaissance… En bref, la Nature ne doit pas être détériorée davantage. La réussite d’une stratégie de ce type pour mener à bien une transition sociale, économique, culturelle, écologique, dépendra de sa cohérence et, avant tout, du soutien social qu’elle recevra.
Il s’agit d’abandonner les économies extractivistes dépendantes et non viables, exportatrices de biens primaires, trop tournées vers le marché extérieur, désindustrialisées, très marquées par l’exclusion et la pauvreté, à forte concentration de revenus et de richesses, déprédatrices et polluantes. Ce que l’on veut, c’est bâtir des économies durables, c’est-à-dire diversifiées dans leurs marchés et leurs produits, industrialisées et tertiarisées, capables de créer des emplois de qualité, équitables, respectueuses des cultures et de la Nature. Sur ce point, il convient d’œuvrer à une réappropriation des cosmovisions indiennes selon lesquelles les êtres humains non seulement vivent en harmonie avec la nature mais en sont partie intégrante.
Pour enclencher cette transition, qui sera nécessairement plurielle, on aura impérativement besoin d’institutions d’État nouvelles et fortes et d’une nouvelle forme d’organisation de l’économie, ainsi que d’une orientation stratégique pour la participation au marché mondial. Il faudra par conséquent des structures et des organismes de réglementation, et des mécanismes dûment établis qui permettent de procéder à ces transitions [19].
Ce que l’on vise, donc, c’est l’établissement d’un nouveau profil de spécialisation productive pour assurer une plus grande autonomie des pays, sur la base d’un vaste consensus des différentes parties. À cette fin, il faudra consolider le marché intérieur et l’appareil productif des pays, ainsi qu’inventer des stratégies de transition productive qui permettent de réduire l’importance économique de l’activité extractive.
Des retrouvailles avec la Nature font aussi partie des points prioritaires à l’ordre du jour, ce qui requiert de dépasser les schémas et pratiques centrées [20] sur l’exploitation et l’appropriation de la nature. Ayons présent à l’esprit le fait que l’humanité entière est obligée de préserver l’intégrité des processus naturels qui garantissent les flux d’énergie et de matière dans la biosphère. Cela implique qu’il faut maintenir la biodiversité de la planète. Pour accomplir cette transformation civilisatrice, la démarchandisation de la nature s’avère indispensable. Les objectifs économiques doivent être subordonnés aux lois du fonctionnement des systèmes naturels, sans que l’on perde de vue le respect de la dignité humaine et l’amélioration de la qualité de vie des personnes et de la communauté.
Cela oblige à maintenir, sans les détruire, les territoires qui possèdent à de nombreux égards une grande valeur écologique et sociale et sur lesquels se trouve concentré le plus gros de la diversité : l’Initiative Yasuní-ITT en Équateur en est un exemple de portée globale [21]. Cela conduit également à faire du concept de durabilité forte (le capital économique ne peut remplacer intégralement le « capital naturel ») un nouveau paradigme des modes d’organisation de la société. Et cela implique aussi de remplacer la comptabilité macroéconomique traditionnelle par de nouveaux indicateurs et indices de durabilité.
De la même manière, la nécessité s’impose d’une ample et véritable participation de la société pour affronter le défi de l’extractivisme à grande échelle. Cela suppose, impérativement, une redistribution profonde et radicale des revenus et des actifs existants dans l’économie. Il faut mettre fin aux inégalités [22] parce qu’elles sont le ferment d’autoritarismes en tous genres dans tous les domaines de la vie humaine.
Il s’agit au fond de commencer par ne pas continuer d’étendre et d’approfondir un modèle économique extractiviste, c’est-à-dire exportateur de biens primaires. Donner la priorité à ce mode d’accumulation centré sur l’exportation de biens primaires, qui privilégie la rente de la Nature et non l’effort humain, qui détruit systématiquement l’environnement et porte gravement atteinte aux structures sociales et communautaires, qui préfère le marché extérieur et néglige le marché intérieur, qui favorise la concentration de la richesse et relègue l’équité, cette voie n’a été suivie pour le développement d’aucun pays. Et elle ne peut donc pas l’être non plus pour mettre en œuvre une solution postdéveloppementiste, comme l’est le bien-vivre ou sumak kawsay [23].
Le bien-vivre, au moins conceptuellement, se présente comme une vision qui dépasse les modes de développement « alternatifs » et se veut un substitut au développement, en résumé une option radicalement distincte de toutes les idées du développement. Il dissout même la notion de progrès dans sa version productiviste. Le bien-vivre renvoie de manière synthétique à l’opportunité de construire une autre société fondée sur la cohabitation de l’être humain dans la diversité et l’harmonie avec la Nature, sur la base de la reconnaissance des diverses valeurs culturelles existant dans chaque pays et dans le monde.
L’axe central de cette proposition, qui se prête à des projections y compris mondiales, est de faire un grand pas révolutionnaire qui nous amène à passer de visons anthropocentriques à des visions socio-biocentriques, avec les conséquences politiques, économiques et sociales que cela entraîne.
Une chose est sûre : ce n’est pas en empruntant la voie du « développementisme sénile » (Martínez Alier, 2008), c’est-à-dire en poursuivant et, pire, en intensifiant l’extractivisme, que l’on trouvera une issue à ce dilemme complexe de sociétés riches en ressources naturelles mais en même temps appauvries.
Alberto Acosta
mercredi 9 juillet 2014, mis en ligne par Dial
Bibliographie
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Alberto Acosta