Article Paru dans 50/50
Latelec, la longue lutte des travailleuses tunisiennes - 24 juillet -
http://www.50-50magazine.fr/2014/07/24/a-latelec-en-tunisie-la-lutte-des-travailleuses-a-paye/
Par Huyara Llanque 50-50,
Marie-Annick Mathieu, membre du CNDF,
Jacqueline Penit, membre de la commission genre d’ATTAC.
De nombreuses mobilisations agitent la Tunisie depuis la chute du dictateur Ben Ali, des conflits éclatent dans différentes entreprises du secteur privé. Au cœur de Tunis, deux travailleuses viennent d’achever 27 jours de grève de la faim, après plus de 18 mois de conflit dans l’entreprise SEA LATelec de Fouchana en Tunisie qui a mobilisé toute une entreprise.
La maison mère française Latécoère, rendue célèbre au début du 20e siècle par la création des lignes aériennes civiles, fournit les grands avionneurs mondiaux comme Airbus ou Dassault. Son chiffre d’affaires consolidé pour 2013 s’élève à 621,1 M€ (source CP de Latécoère du 22.01.2014).
En délocalisant en 2005 une partie de sa production de câblage en Tunisie, la multinationale espérait trouver une main d’œuvre qualifiée, docile, bon marché, et répondre ainsi à l’exigence de qualité tout en réduisant ses coûts de fabrication. Sur place, les conséquences se font sentir : « En 2010, les conditions sont catastrophiques. Les heures supplémentaires sont obligatoires, on nous paye seulement pour 20 heures supplémentaires, même si on fait plus », rappelle Monia Dridi, déléguée syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail) à LATelec Fouchana.
Face aux conditions de travail difficiles, aux harcèlements et insultes sexistes, les salarié-e-s de SEA LATelec – à 80% des femmes – commencent très vite à s’organiser. Elles mettent en place les bases d’un syndicat UGTT. Il rassemble 400 adhérent-e-s sur les 450 salarié-e-s lorsqu’il est officialisé début 2011 (source syndicale), au moment où les mobilisations en Tunisie font fuir le dictateur Ben Ali. Sonia Jebali , également déléguée syndicale UGTT décrit le contexte à LATelec : « Juste après la révolution, la direction a annoncé qu’elle allait déplacer une partie de la production vers le Mexique, comme garantie en cas de perturbations en Tunisie ».
Une lutte menée par des femmes
Les femmes en Tunisie ont démontré l’importance de leur rôle dans le processus révolutionnaire. Ces dernières années, selon Bakhta Cadhi, de l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates) « des mouvements de femmes très importants ont surgi avec de nouvelles formes de résistance, comme les luttes spectaculaires des années 2000 dans les secteurs de l’électronique et de l’industrie textile, dont Fantasia ». Cette lutte dans une fabrique de jeans a rassemblé de nombreux soutiens et déclenché des mouvements dans d’autres entreprises, impulsant la création du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux.
Les femmes ont à nouveau joué un rôle, dès 2008 ,dans les mouvements sociaux du Bassin minier, manifestant contre la corruption et le chômage, occupant les rues de Gafsa, installant leurs tentes à Redeyef. Ou encore par la suite dans la région de Sousse, où on a pu voir des sit-in avec des familles entières.
Si en Tunisie les femmes sont mobilisées pour défendre leurs droits, elles subissent durement les politiques libérales qui renforcent les inégalités, et ont plus de difficultés pour accéder à l’emploi. Le taux d’activité des femmes n’a pas dépassé 25,8% en 2012, contre 70,3% pour les hommes. Et l’écart se creuse lorsque l’on considère les jeunes générations, et les jeunes diplomé-e-s. Dans ce contexte, la lutte à LATelec est emblématique : des jeunes femmes, au risque de perdre leur emploi, mettent un frein aux abus de la multinationale.
Revendiquant de pouvoir travailler tout en exigeant le respect de leur dignité, elles obtiennent d’importantes avancées, puis arrachent à la direction la mise en place d’une classification professionnelle, valorisant les compétences. C’en est trop pour la multinationale. Il s’ensuit une répression anti-syndicale sévère au cours de laquelle les managers montreront leur vrai visage, allant jusqu’à séquestrer le gouverneur de Ben Arous qui tentait une médiation et le responsable du Bureau Exécutif régional UGTT.
La direction impose dans la foulée un lock-out, le temps de transférer temporairement la production en France. Surfant sur la précarisation des emplois au Nord, le patronat n’hésite pas à utiliser les travailleurs de la région de Toulouse pour casser le mouvement social qui prend de l’ampleur en Tunisie ! A LATelec – Fouchana, 200 emplois sont supprimés entre octobre 2012 et mars 2013 : certains sont déplacés vers un autre site, les CDD ne sont pas renouvelés. Alors que progressivement la production reprendra à Fouchana, l’emploi de tou-te-s est tiré vers le bas. Face aux menaces, aux tentatives de division ou de corruption, les travailleuses font bloc.
Mais au cœur de la mondialisation néolibérale, plus la lutte s’internationalise, plus la multinationale durcit sa stratégie. Ainsi, lorsqu’au moment du Forum Social Mondial de 2013 à Tunis, une manifestation devant l’Ambassade de France rassemble des soutiens du monde entier, la direction y voit une atteinte à « l’image de marque de l’entreprise ». Dans les semaines qui suivent, au printemps 2013, dix travailleuses en CDI dont trois déléguées syndicales sont abusivement licenciées.
Résistance Nord-Sud
En mars 2013, sous l’impulsion de féministes altermondialistes un premier comité de soutien s’est mis en place, regroupant des militant-e-s syndicalistes, altermondialistes, féministes de France et de Tunisie, afin de résister ensemble de part et d’autre de la Méditerranée. La lutte des travailleuses tunisiennes est médiatisée, la solidarité Nord-Sud s’est renforcée avec l’appui de nouveaux comités de soutien à Toulouse et à Tunis, et de travailleurs de Latécoère au Mexique, ou au Canada.
Face à la détermination des travailleuses, en mars 2014 la direction de LATelec concède une première avancée : une partie d’entre elles est réintégrée. Cependant, quatre restent sur le carreau : Houda Thalji, Rachida Salem et les déléguées syndicales Monia Dridi et Sonia Jebali. Ne se résignant pas à voir le droit du travail tunisien bafoué par la multinationale, Houda et Sonia entament le 19 juin 2014 une grève de la faim pour que toutes les travailleuses injustement licenciées puissent être réintégrées. Dans l’usine, les salarié-e-s affichent des brassards en signe de solidarité, observent des débrayages de quelques heures, puis plusieurs jours de grève.
De son côté, le patronat fait bloc. « Il pense que ça risque de faire tâche d’huile », selon une personne proche. Les propos d’un représentant du patronat dans ce dossier en disent long : « elles ne travailleront plus ! », lâche-t-il à l’issue d’une réunion. D’après Monia Dridi, lorsque l’une des travailleuses s’est mise à la recherche d’un emploi, elle a été immédiatement reconnue par les employeurs : « tu as travaillé à LATelec ? Alors on ne peut pas t’accepter ! ».
Le climat sous tension aura rendu les négociations difficiles jusqu’au dernier moment. Finalement au vingt septième jour de grève de la faim, le bras de fer s’achève au gouvernorat de Ben Arous. L’accord signé le 15 juillet 2014 déclare la réintégration de deux travailleuses, dont une gréviste de la faim. Quant aux deux déléguées syndicales, dont une en grève de la faim, elles ne sont pas réintégrées, mais voient leurs indemnités revues à la hausse, de manière inédite.
On peut le dire, « c’est une page historiquement importante qui s’ajoute aux grandes luttes sociales en Tunisie », selon Bakhta Cadhi, qui considère que « c’est une victoire syndicale », tout en soulignant l’apport « des associations de la société civile en Tunisie ».
Si la direction de l’entreprise s’est retrouvée dans un contexte social particulier, « c’est un ensemble d’actions qui a pesé et bien sûr la grève de la faim qui a permis à la lutte d’aboutir », précise la militante de l’ATFD. C’est aussi un pas de plus dans le mouvement des femmes en Tunisie, « il y a eu Fantasia, les luttes du Bassin minier de Gafsa, Sousse, et maintenant il y a LATelec ! »
Les patrons, notamment ceux des multinationales bénéficiant d’importants avantages fiscaux en Tunisie, se confrontent au fait qu’une page est en train de se tourner ; une jeune génération, très déterminée, s’empare à sa manière des revendications de la révolution « travail » et « dignité », comme les travailleuses de LATelec qui contribuent largement à faire bouger les lignes.
Article paru dans Mediapart
Tunisie : le français Latécoère verse des indemnités records à des syndicalistes licenciées
par Thomas Saint-Cricq, (17 juillet 2014)
Deux déléguées syndicales tunisiennes d’une filiale du groupe aéronautique ont obtenu mardi près de 30 000 euros d’indemnités (voir note). Fondatrices en 2011 d’une section syndicale, elles avaient été licenciées en avril 2013, après deux ans de conflit portant sur l’amélioration des conditions de travail.
Le bras de fer aura duré plus de trois ans. Il s’est achevé mardi 15 juillet par le paiement de lourdes indemnités de licenciements à des déléguées syndicales de l’usine LATelec à Fouchana, dans la banlieue de Tunis.
En mars 2011 des ouvrières de LATelec, filiale de la multinationale toulousaine Latécoère, se regroupent en syndicat pour faire améliorer leurs conditions de travail. Le régime autoritaire de Ben Ali est tombé deux mois plus tôt, et la parole est désormais libre dans la société tunisienne, y compris dans les entreprises pilotées par des actionnaires étrangers. Le groupe aéronautique français Latécoère est installé dans la capitale tunisienne depuis 2005. Il y fabrique des câblages électriques pour les avions qu’il fournit principalement à Airbus et Dassault. Jusqu’à l’apparition du syndicat en mars 2011, 430 salariés, dont 200 intérimaires, sont payés au salaire minimum en vigueur, soit autour de 120 euros par mois.
Dès le lendemain de la révolution, les salariés, constitués à 80 % de femmes, adhèrent en masse à ce nouveau syndicat directement affilié à l’UGTT, la principale centrale syndicale tunisienne. Menées par les déléguées Monia Dridi et Sonia Jbali, les ouvrières dénoncent des pratiques de « harcèlement sexuel », des heures supplémentaires non payées, et réclament des augmentations salariales conformes à leur niveau de qualification exigé – baccalauréat, bilinguisme français et arabe – ainsi qu’une extension de leurs congés payés, alors en dessous de la norme légale.
Après huit mois de bras de fer, ces revendications sont finalement acceptées par les dirigeants de LATelec qui, tout en démentant les pratiques de harcèlement sexuel après avoir diligenté une « enquête interne », ratifient le projet de classification proposé par le nouveau syndicat en mai 2012.
Mais durant l’été 2012, Latécoère opère un changement à la tête de l’usine de Fouchana. La nouvelle direction revient pas à pas sur les accords passés. « Il y a eu une volonté de nettoyer l’usine de ses syndicats », analyse-t-on du côté du comité de soutien français des ouvrières. À l’automne, 200 contractuelles sont licenciées et une centaine de titulaires sont mutées vers un autre site de production. Le groupe Latécoère rapatrie ses activités dans ses usines à Toulouse et au Mexique. La direction évoque avant tout un impératif économique : « Nous avions les carnets de commande pleins et avec les arrêts à répétition, le site de Fouchana était dans l’incapacité de produire dans nos besoins. »
Un nouveau syndicat, minoritaire, voit le jour au sein de l’entreprise et devient le principal interlocuteur de la direction. Le dialogue est alors rompu avec les déléguées affiliées à l’UGTT qui revendiquait, à sa création en 2011, près de 400 adhérents. Réduites au chômage technique durant des mois, les ouvrières tentent de médiatiser leur cause par des manifestations à Tunis et devant l’ambassade de France, le 30 mars 2013.
Un mois plus tard, dix d’entre elles, dont deux déléguées syndicales UGTT, sont licenciées. Latécoère, par l’intermédiaire de l’ancien journaliste Jean-Christophe Giesbert, consultant en communication pour le groupe, avance aujourd’hui « des violences et une atteinte à l’outil de production » pour justifier les licenciements. Des licenciements nécessaires « au vu de la gravité des faits », affirme le groupe.
Au bout d’un an de conflit, plusieurs des ouvrières mises à la porte sont réintégrées mais les évictions de quatre d’entre elles, dont les deux responsables syndicales, sont maintenues. Réclamant sans succès leur réintégration au sein de l’entreprise depuis, l’ex-salariée Houda Talgi, 29 ans, et la déléguée syndicale Sonia Jbali, 36 ans, entrent le 16 juin en grève de la faim. La méthode radicale suscite l’émoi des médias, et la demande de réintégration est largement diffusée en France par la CGT Latécoère et par deux comités de soutien très présents sur les réseaux sociaux. Le dialogue reprend fin juin 2014 entre les ouvrières et la direction de LATelec, et nécessite la médiation des secrétaires généraux nationaux de l’UGTT.
Les négociations se déroulent dans « une grande tension », selon une proche du dossier, et finissent par aboutir à un accord historique, alors que l’état de santé des grévistes se détériorait de manière inquiétante. Deux des ouvrières sont réincorporées au sein de l’usine, et les deux déléguées syndicales, Monia Dridi et Sonia Jbali, perçoivent des indemnités équivalentes à 7 années de salaire.
Une demi-victoire pour les ouvrières. Comme l’a toujours souhaité LATelec, les deux militantes Monia Dridi et Sonia Jbali ne réintégreront pas l’entreprise. Ni aucune autre d’ailleurs, selon l’aveu de Monia Dridi, 32 ans. « Jamais je ne retrouverai un emploi. Lorsqu’on dit qu’on a travaillé à LATelec, on est sûr d’être refusée », expliquait-elle par téléphone avant la signature de l’accord.
59 mouvements sociaux en l’espace d’un mois
Pourtant, le montant des indemnités, soit une somme située aux alentours de 60 000 dinars (environ 30 000 euros) (voir note) pour chacune des deux ex-déléguées, montre que le conflit n’a pas été vain et que les syndicats constitués après la révolution sont désormais capables d’instaurer un rapport de force avec des managers étrangers.
« C’est la première fois que l’on voit des indemnités de licenciement aussi importantes. C’est six fois le montant de ce que peut proposer un tribunal des prud’hommes dans un cas similaire », détaille Charfedine El Kellil, avocat pénaliste et collaborateur del’Observatoire social tunisien.
Le conflit social de Fouchana est que le fruit d’un contexte d’explosion sociale dans le pays, où le taux de chômage reste supérieur à 15% depuis la révolution. Si les statistiques détaillées manquent dans le domaine, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux a recensé à titre d’exemple plus de 59 mouvements sociaux en l’espace d’un mois en novembre 2013.
Avec l’accord obtenu par les ouvrières de Fouchana, la tendance n’est pas près de s’inverser.
D’une part, la libéralisation de la parole et l’instabilité politique observée depuis janvier 2011 confèrent une position de force jamais vue à l’UGTT, qui tenait déjà un rôle de contre-pouvoir important depuis sa création en 1946.
D’autre part, la législation tunisienne n’offre que peu de garanties aux travailleurs et reste très complaisante avec les investisseurs étrangers.
« Dans chaque secteur, les syndicats procèdent à la comparaison avec un travailleur marocain et un travailleur européen, et c’est à chaque fois pour le travailleur tunisien que les conditions de travail sont le plus dégradées », explique Me El Kellil. « On a quasiment abandonné l’embauche en CDI, les entreprises enchaînent les CDD de 6 mois avec des délais de carence, et tout cela dans un cadre très légal. Le code d’incitation aux investissements promulgué sous Ben Ali avait fait de la Tunisie un paradis aux yeux des multinationales étrangères en proposant jusqu’à 80 % d’exonération fiscale. Le nouveau code adopté en 2013 promet encore plus d’avantages fiscaux ! » poursuit-il.
Pourtant, d’après l’Observatoire social de Tunisie, près de 200 entreprises étrangères ont quitté le pays depuis la révolution, sur fond d’insécurité et surtout de l’émergence des syndicats dans le secteur privé. Des départs entrepris parfois dans la brutalité. En 2013, le groupe textile belge Jacques Bruynooghe Global fermait cinq de ses usines sans le moindre préavis, laissant 311 employés sans travail. Le groupe belge a été condamné depuis.
Avec l’émergence des syndicats du secteur privé et la multiplication des mouvements sociaux, la Tunisie gomme peu à peu son image de « paradis » des investisseurs. Mais la culture du dialogue social, « encore embryonnaire » en Tunisie, et les pratiques de management en vigueur issues des années Ben Ali promettent d’autres bras de fer aussi radicaux que médiatiques.
En avril 2013, cinq syndicalistes de Teleperformance, le leader mondial des centres d’appels téléphoniques, qui emploie 6 000 personnes en Tunisie, avaient entamé une grève de la faim pour protester contre des licenciements jugés abusifs. Aujourd’hui encore, un autre salarié tunisois refuse de s’alimenter après son licenciement par une filiale de l’entreprise française Leman Industrie.
Note datée du 24 juillet figurant en commentaire de cet article sur la page facebook du Comité de soutien https://fr-fr.facebook.com/ComiteSoutienSyndicalistesLatelecFouchana
En ce qui le concerne, le Comité de soutien n’avait jusqu’à présent JAMAIS (à la demande des ouvrière de Latelec) communiqué sur le montant des indemnités. Les ouvrières en lutte nous avaient demandé d’attendre de le faire elles-mêmes lors de la conférence de presse et nous avons, comme toujours, respecté cette volonté. Dans notre communiqué du 16 juillet, nous avions pour cette raison prudemment écrit : « indemnités de licenciement conséquentes ». Et nous n’avons jamais plus communiqué sur le sujet du montant des indemnités.
La remarque de notre amie Bakhta Cadhi nous donne l’occasion de le faire. D’autres chiffres ont en effet circulé dans la presse, mais ils n’émanent pas de nous. Par la suite, nous avons eu officiellement eu confirmation du chiffre de 84 mensualités, ce qui équivaut à 54 516 dinars, soit 23 475 euros. Ce n’est donc pas 30 000 euros, mais c’est néanmoins le chiffre considérable de 7 ans de salaire à notre connaissance inégalé !
Article paru dans Le Monde
L’équipementier français Latécoère embarrassé par la grève de la faim de deux salariées de sa filiale tunisienne
Par Guy Dutheil (12 juillet 2014)
C’est une affaire de femmes. Alitées dans le local de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET), Sonia Jebali, 36 ans, et Houda Thalji, 29 ans, ont entamé, samedi 12 juillet, leur vingt-quatrième jour de grève de la faim.
Les deux ouvrières, qui avaient été brutalement licenciées le 15 avril 2013 avec huit autres salariées, réclament leur réintégration dans l’usine de la SEA Latelec.
Cette société, installée depuis 2005 à Fouchana dans la banlieue de Tunis, filiale à 100 % de l’équipementier français pour l’aéronautique Latécoère, fabrique des cablages électriques pour les avions. Elle emploie 80 % de jeunes femmes aux doigts et aux salaires plus fins que ceux des hommes : autour de 120 euros par mois.
Vendredi 11 juillet, M Jebali a aussi décidé d’arrêter de boire. Alarmé par cette décision, Houcine Abassi, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a souhaité rencontrer d’urgence la direction.
Harcèlement sexuel
Ce conflit social est une des conséquences du « printemps de Tunis ». Au crépuscule de la dictature de Ben Ali, les ouvrières de Latelec avaient créé dans l’usine une section syndicale affiliée à l’UGTT. D’abord clandestine, elle est apparue au grand jour après la fuite du dictateur, en janvier 2011.
Outre de classiques revendications salariales, les ouvrières dénoncent des pratiques de « harcèlement sexuel » que la direction dément mais qu’elles maintiennent.
Exaspérée, « par le blocage de la production du site », et les revendications des ouvrières, la direction de Latelec avait répliqué, à l’automne 2012, en se séparant d’un coup de près de 200 intérimaires sur 400 salariées. Dans le même mouvement, elle avait rapatrié à Toulouse une partie de la production pour « respecter les commandes » d’Airbus. Ce lock-out avait duré plusieurs mois.
Au printemps 2013, Latelec a encore licencié dix ouvrières, dont plusieurs déléguées syndicales. Six finiront pas être réintégrées. Mais pas Monia Dridi, Rachida Salem, Sonia Jebali et Houda Thalji. Deux d’entre elles sont déléguées syndicales UGTT.
La direction de Latelec leur reproche « des altérations de la production » mais également « un certain nombre de débordements très graves ». Faux, répond Monia Dridi. Selon elle, « le vrai motif de notre licenciement c’est d’être allé manifester devant l’ambassade de France » à Tunis à la fin du mois de mars, en 2013 et d’avoir médiatisé leur lutte. A l’époque, explique -t- elle, la direction nous a accusés de « diffamation de l’image de marque » de la société.
Latelec a fait « une avancée »
Depuis lors, c’est le blocage. Désespérées, Sonia Jebali et Houda Thalji ont décidé, le 19 juin, de ne plus s’alimenter pour obtenir leur réintégration. Il faudra que la santé d’Houda Thalji menace de se dégrader pour que la direction, poussée par Latécoère, accepte de négocier. Mais elle refuse de « discuter directement avec ces personnes ».
C’est l’Union régionale de l’UGTT qui fait office de médiateur. En France et en Tunisie, la lutte des jeunes femmes suscite un élan de solidarité, relayé par les réseaux sociaux.
Désormais « préoccupée par la situation extrême à laquelle sont arrivées » les deux grévistes de la faim, Latelec a fait « une avancée ». Elle dit accepter de reprendre deux ouvrières, mais refuse de « discuter de la réintégration » des deux déléguées syndicales.
Latelec leur propose une indemnité de départ mais la négociation bute sur le montant. La direction proposerait 30 000 dinars (environ 15 000 euros), les deux déléguées exigent le double et un engagement ferme et écrit de la direction.
Alors que ces pourparlers semblent proches d’aboutir, le patronat tunisien refuserait une telle sortie de crise. Selon lui, elle ferait la part trop belle aux salariées. Il redouterait un effet de contagion sur les multiples sites de production en Tunisie.
Article paru dans Alger républicain (11 juillet)
Syndicalistes tunisiennes en lutte depuis deux ans pour la réintégration des
Militants syndicaux victimes de l’arbitraire de Latelec Latécoère
http://www.alger-republicain.com/spip.php?article1629
Travaillant à 90% pour le groupe public Airbus, la succursale tunisienne du groupe français Latelec Latécoère ne tolère pas que les travailleuses réclament leurs droits et le respect de leur dignité.
Face à la répression et à la volonté des patrons de ce groupe de les écraser par tous les moyens, des syndicalistes licenciées ont entamé une grève de la faim depuis le 19 juin. Cette action ultime a pour but de briser le silence médiatique. En France, les syndicalistes CGT de Latécoère et d’Airbus organisent la solidarité.
Sonia est une syndicaliste expérimentée. Elle a le soutien de 90% des ouvriers de son usine. 420 sur les 450 qui sont employés sont syndiqués à UGTT. Ils ont refusé de rentrer dans l’usine quand la direction l’a menacée de licenciement.
INTERVIEW
Sonia, tu es en grève de la faim avec ta camarade Houda, depuis le 19 juin pour la réintégration des syndicalistes UGTT licenciées, dont tu fais partie. Après une lutte de plus d’un an et demi contre la direction de Latelec, comment en êtes-vous arrivées à cette forme de lutte aujourd’hui ?
Sonia : Latelec du groupe Latécoère, est une société liée à l’aéronautique qui travaille à 90% pour le groupe public français Airbus et à 10% pour Dassault. Elle a été installée en 1988 et a créé un deuxième site en 2005 à Fouchana (Sud de Tunis). J’ai été recrutée à Fouchana en 2006. Cette société demande des compétences : il faut avoir un certain niveau après le bac, maîtriser la langue française, passer des tests de concentration, d’intelligence, etc. Après 6 mois de formation on est recruté sous contrat, avec un salaire de 247 dinars (moins de 150 euros).
Les conditions de travail ont choqué tous les ouvriers : ce sont des conditions terribles, un harcèlement sexuel, des insultes des patrons envers les employés.
On peut être licencié directement en cas de refus d’heures supplémentaires. Même le droit aux congés payés n’est pas respecté : ils n’accordent que 10 jours par an, nous avons droit à 15 jours.
Nous avons pourtant accepté de travailler dans ces conditions temporairement parce que les contrats ne se transforment en CDI qu’après 4 ans et un jour. Dès que la plupart des ouvriers ont été titularisés, nous avons décidé de créer un syndicat UGTT, le 18 mars 2011 précisément (dans le contexte des révoltes qui ont chassé Ben Ali).
D’abord nous avons travaillé sur nos conditions de travail. Nous avons imposé que cessent le harcèlement et les insultes. Ensuite nous avons travaillé sur le problème des heures supplémentaires : nous avons imposé le respect de la loi qui interdit de dépasser 20 heures supplémentaires par mois, alors qu’à Latelec on dépassait largement les 40 heures supplémentaires hebdomadaires, jamais notifiées sur les fiches de salaire. Nous avons obtenu que ces heures soient volontaires, mieux payées, avec des modalités de transport plus faciles quand on rentre chez soi tard. On a travaillé ensuite sur la question des congés. Le paiement des 15 jours de congés par an, comme le dit la loi, a été appliqué finalement, avec un rappel de trois ans. On a travaillé enfin sur les salaires : face à une direction habituée à ne pas respecter le code du travail, on a décidé de créer un projet de qualification professionnelle. La direction a refusé dès le début, et pendant huit mois la négociation a été bloquée. Nous leur avons fait signer un papier sur lequel ils reconnaissent refuser de négocier, puis nous avons menacé d’un préavis de grève. Alors ils ont essayé de gagner du temps par tous les moyens. Le 31 mai 2012, grâce à ce préavis finalement déposé, ils ont accordé une augmentation salariale de plus de 30% pour les salariés.
Pendant ces huit mois de négociation, la direction a d’abord essayé de nous acheter. Ils ont proposé plusieurs postes très importants pour les dirigeants syndicaux. On a tous refusé. Ils ont proposé des augmentations de salaires non déclarées. Personnellement, ils m’ont même proposé une voiture de fonction. Quand ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas nous acheter, ils sont passés aux menaces : menaces de licenciement et même menace de mort …
Ces menaces ont été faites en réunion, sous les yeux du gouverneur, de l’inspection du travail, du syndicat UGTT. Personne n’a réagi chez les officiels, mais nous avons résisté et continué notre lutte pour obtenir cet accord.
Le problème c’est qu’après avoir signé l’accord, celui-ci n’est jamais entré en application. En septembre de la même année, la direction a décidé de fermer l’usine, avec licenciement définitif de tous les ouvriers syndiqués (420 ouvriers UGTT sur 450 en tout). Un deuxième syndicat « maison » a été créé le 17 septembre (25 adhérents), et la direction nous a imposé une nouvelle réunion en leur présence … Toute la direction était présente, avec leurs avocats, et ce deuxième syndicat, créé deux jour avant, pour nous impressionner. Ils ont cherché à nous exclure devant ce deuxième syndicat, nous avons protesté contre cette manœuvre illégale, puisque nous sommes très largement majoritaires. D’accord pour souhaiter la bienvenue à ce nouveau syndicat mais on ne s’efface pas devant lui.
Les avocats ont commencé à mentir en disant que la direction aurait proposé des solutions tout de suite, et que l’UGTT aurait tout refusé pour faire durer le conflit. C’est le lendemain de cette réunion que nous avons trouvé l’usine fermée avec 450 ouvriers devant la grille. Un panneau annonçait : « suite à des incidents grave, notamment la séquestration de la direction par l’UGTT, l’usine est fermée jusqu’à nouvel ordre ».
Face à l’inspection du travail, la direction a notifié qu’elle accepte d’ouvrir les portes de l’usine à condition que tous les dirigeants UGTT soient licenciés sur le champ. Face au refus majoritaire, la direction a persisté en imposant le licenciement d’au moins 4 dirigeants UGTT, dont moi-même, secrétaire générale. A la troisième réunion, ils sont passé à deux dirigeantes, Monia et moi-même.
A l’ouverture de l’usine, les 420 ouvriers UGTT refusent d’entrer si les dirigeantes ne sont pas réintégrées. Tout ça a duré presque un mois. La direction française Latécoère a dû venir pour trouver une solution au conflit, et un accord a été trouvé avec la réintégration des dirigeants UGTT. Mais ensuite et malgré la signature officielle, l’accord n’a pas été respecté, la direction prétextant qu’elle avait été en mise physiquement en danger par les deux dirigeants UGTT lors de la réunion de mai, menaçant même de porter plainte !
Finalement, ils ont obtenu, devant le refus de tous les ouvriers de revenir à l’usine sans nous, que les portes soient rouvertes, et que nous soyons réintégrées mais après un mois de congés payés, histoire de laisser les choses s’apaiser avec la direction.
Pendant cette période, les ouvriers ont donc repris le travail, alors que la direction prétextant une sous-production qui rendant légaux des licenciements économiques, ont arrêté 220 intérimaires, et imposé aux CDI restant d’aller travailler sur l’autre site de production. Ceux des CDI qui ne voulaient pas partir ont été menacés de licenciement.
Aujourd’hui le site de Fouchana est donc vide, et les sept ouvrières au chômage technique pour cause de refus de quitter le site fermé ont été licenciées pour cause de « refus de travail », alors qu’elles ont été mises en chômage technique volontairement.
Lors du conseil de discipline visant à officialiser le licenciement cette année, on nous a demandé d’expliquer pourquoi nous avons empêché plus de 400 ouvriers d’entrer dans l’usine. Imaginez comment Monia et moi aurions nous pu empêcher l’entrée à 420 personnes ! Pour la question de la « séquestration », ils nous disent : « vous pouvez nier, c’est notre parole contre la votre ! » D’autres ouvriers ont été licenciés en même temps pour avoir manifesté contre la direction, à cause du « préjudice pour l’image de la marque » !
Monia : Après notre licenciement, des comités de soutien ont été créés à Paris et Toulouse notamment (siège de Latécoère). Ces syndicalistes, en particulier CGT Airbus, CGT Latécoère, et ces militants ont essayé de médiatiser notre cause en France, et aussi dans les autres filiales du groupe, au Brésil par exemple.
En insistant sur le fait que la stratégie de répression syndicale en Tunisie impliquait une oppression plus forte sur les ouvriers français du même groupe pour maintenir la production malgré les événements. Il y a eu une grève simultanée sur tous les sites internationaux de Latécoère. On a aussi envoyé plus de 6000 cartes postales au président François Hollande. Absolument aucune réponse … L’Etat français est pourtant actionnaire principal d’Airbus et aurait des moyens d’action sur Latécoère.
Aujourd’hui, notre dernier moyen de lutte pour notre réintégration et notre droit à travailler, est la grève de la faim. C’est une solution très grave mais après 10 jours de grève de faim, la direction de l’UGTT s’est sérieusement penchée sur notre droit à la réintégration. Elle a entamé des négociations en haut lieu avec les patrons.
C.P.
08.07.14
Article paru dans Libération
Chez Latécoère, le droit de se syndiquer ne traverse pas la frontière
Par Elodie Auffray (9 juillet 2014)
Des pancartes recouvrent les murs de la petite pièce. « Le pays des droits de l’homme les bafoue ouvertement chez nous », accuse l’une d’elles, utilisée lors d’unemanifestation devant l’ambassade de France, à Tunis.
Depuis le 19 juin, deux ouvrières de Latélec, filiale de l’équipementier aéronautique français Latécoère, mènent ici une grève de la faim. Elles sont quatre à revendiquer leur réintégration.
« C’est notre droit », assène Sonia Jebali, l’une des jeûneuses, figure de proue, avec sa collègue MoniaDridi, de cette bataille ouverte en 2011. Elles accusent leur direction de vouloir casser le syndicat qu’elles ont initié sur le site de Fouchana, près de Tunis. Les 400 employés y produisent des câbles pour avions (surtout des Airbus).
A l’époque, les ouvriers, des femmes pour la plupart, étaient payés 247 dinars par mois (130 euros).
Second point noir : le manque de respect de la part des contremaîtres.
En mars 2011, la cellule syndicale, affiliée à la puissante UGTT, voit le jour. Les adhésions affluent.
« On a d’abord réussi à limiter les abus, niveau respect », raconte Monia Dridi. Après huit mois de bras de fer, la direction cède : le salaire minimum passe à 550 dinars.
« Après ça, la répression a commencé », analyse la jeune femme. Fin 2012, l’usine ferme ses portes. Elle rouvre quelques jours plus tard, mais tourne à vide : la production a été rapatriée en France et au Mexique. La direction invoque les arrêts de travail répétés. « Il y a eu de graves débordements », fait-on valoir chez Latécoère.
« Les arrêts n’étaient pas tous légaux, mais c’était normal après la révolution, et il n’y a jamais eu de violence », rétorqueMohamed Ali Boughdiri, de l’UGTT régionale.
Au printemps 2013, dix ouvrières, dont trois syndicalistes, sont licenciées. « Ils nous ont reproché d’avoir entravé le travail et nui à l’image de l’entreprise », rapporte Monia. L’activité reprend en octobre avant la signature en mars d’un accord : sur les dix, six sont réintégrées. Pas Sonia etMonia. Elles s’estiment lâchées par l’UGTT.
Mais les quatre ouvrières ont le soutien de leurs collègues et d’organisations tunisiennes et françaises. L’UGTT finit par déposer un préavis de grève. Des discussions sont ouvertes, mais pour Latécoère, « la réintégration n’est pas au menu ».
Article paru dans L’Anticapitaliste
Tunisie : des salariées en grève de la faim contre leur licenciement par des entreprises françaises (8 juillet)
Lundi 7 juillet au soir, les deux salariées de Latelec-Tunisie en étaient à leur 19e jour de grève de la faim pour obtenir la réintégration des quatre ouvrières licenciées. L’état de santé de la déléguée UGTT Sonia Jebali est des plus inquiétant.
Un salarié licencié par une filiale d’une autre entreprise française, Léman Industrie, est également en grève de la faim.
En Tunisie, la solidarité de multiples associations et partis politiques se développe.
En France, le comité de soutien de Toulouse (CSLPT), dont fait notamment partie le NPA, a diffusé une nouvelle fois devant Latécoère, lundi 30 juin et vendredi 4 juillet, des centaines de tracts. Ceux-ci dénonçaient notamment les pratiques scandaleuses et inhumaines de la direction du groupe Latécoère-Latelec, qui refuse toujours la réintégration des quatre ouvrières.
Un tract convergent de la CGT-Latécoère avait également été diffusé lundi 30 juin sur cette entreprise. Depuis le début de la lutte, et malgré les pressions et le chantage à l’emploi, la CGT-Latécoère (minoritaire et attaquée par d’autres syndicats) soutient les salariées tunisiennes. Un bel exemple d’internationalisme, en ces temps de cocoricos industriels.
A Paris, un rassemblement est prévu jeudi 10 juillet devant le siège du syndicat patronal de la métallurgie.
Deux pages facebook permettent de suivre en direct la situation :
https://www.facebook.com/ComiteSoutienSyndicalistesLatelecFouchana?ref=hl
https://www.facebook.com/CSLPT
Tribune parue dans L’Humanité
Des ouvrières tunisiennes en grève de la faim pour le droit au travail
Depuis plus d’un an et demi, un conflit social se déroule dans l’entreprise LATelec-Fouchana en Tunisie.
Dirigée par des femmes, cette lutte est remarquable à plus d’un titre, entre autres par la ténacité des salariées à vouloir rester dans le monde du travail. Avoir un emploi pour une femme en Tunisie et le garder reste une gageure. En effet, le taux d’activité féminin y est faible, soit en 2011 de 24,9 % de la population active totale contre 70,1 % pour les hommes.
LATelec est une filiale de l’équipementier aéronautique français Latécoère, un des leaders mondiaux de son secteur, qui fournit de grands noms de l’aviation comme Airbus ou Dassault. Cette entreprise a délocalisé en Tunisie en 2005 une partie de sa production de câblage, réduisant ainsi ses coûts de fabrication : les ouvrières sont payées autour de 150 euros par mois.
Dans les tous derniers mois de la dictature Ben Ali, dans cette entreprise qui emploie 80% femmes, les ouvrières créent clandestinement une section syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail).
Portées par la dynamique des événements révolutionnaires du début 2011 et la combativité des déléguées de leur section syndicale devenue légale, les travailleuse arrachent des augmentations de salaire importantes, les congés légaux, de meilleures conditions de travail, dont la fin des heures supplémentaires abusives et l’arrêt des harcèlements sexuels.
Elles commencent à négocier, une reconnaissance des compétences à travers un projet de grille de salaires, l’un des plus ambitieux de la Tunisie.
En réponse, Latécoère commence à vider l’usine de ses effectifs : 200 postes d’intérimaires sont supprimés entre octobre 2012 et mars 2013, et 10 ouvrières dont des déléguées syndicales sont licenciées. En effet, la révolution de 2011 a permis l’explosion de revendications ouvrières et la volonté de s’organiser dans les entreprises contre un patronat qui bénéficiait sous Ben Ali de l’étouffement des libertés et qui refuse maintenant ces avancées fondamentales.
La détermination des salarié-es et les soutien locaux et internationaux en France, au Canada, au Mexique où un débrayage a eu lieu dans une usine Latécoère, font reculer la direction de LATelec. En mars 2014 six des employées licenciées sont réintégrées.
Les syndicalistes ne lâchent rien. Restées mobilisées, elles continuent de revendiquer la réintégration des quatre ouvrières. Devant le silence de la direction de LATelec, elles ont décidé d’entamer une grève de la faim à compter du 19 juin.
Depuis 10 jours, des débrayages de plus en plus massifs ont eu lieu dans l’usine pour soutenir les grévistes de la faim. Dans la foulée, les ouvrières ont démarré, le 2 juillet, une grève reconductible suivie à 80%.
Un appel au salarié-e-s de LATelec-Fouchana à faire grève pour réclamer la réintégration des quatre salariées a été lancé par L’Union régionale UGTT de Ben Arous.
Nous lançons ici un cri d’alarme : les deux grévistes de la faim, Sonia Jebali sont dans un état critique.
Il est temps pour les directions de Latelec et de Latécoère de négocier réellement.
Comité de soutien aux syndicalistes de Latelec
(1) Outre les soutiens syndicaux, il y a notamment l’UGET (Union générale des étudiants Tunisie), l’Union des diplômés-chômeurs (UDC), l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates)
http://www.humanite.fr/des-ouvrieres-tunisiennes-en-greve-de-la-faim-pour-le-droit-au-travail-547076
Article paru sur Rue 89
Tunisie : derrière le consensus, la lutte sociale continue (6 juillet), par Thierry Brésillon
Depuis le 19 juin dernier, deux ouvrières de la société française SEA-Latelec en Tunisie, mènent une grève de la faim. Elles veulent obtenir la réintégration de quatre salariées, licenciées en avril 2013 avec six autres (dont le cas a été réglées depuis) par cette filiale de Latécoère. Ses deux sites en Tunisie fabriquent les câbles qui équipent certains appareils Airbus et Dassault.
Mais elles veulent donner à leur mouvement une portée bien au-delà de leurs cas individuels. C’est la liberté syndicale et la protection des maigres acquis sociaux de l’après-14 janvier qu’elles entendent protéger.
« Le travail syndical n’est pas un crime », lit-on sur une pancarte brandie régulièrement pendant les manifestations organisées pour soutenir les ouvrières de Latelec devant l’Ambassade de France.
Comme l’explique un manifestant : « L’Etat français est le donneur d’ordre des clientes de l’entreprise, il ne peut pas ignorer qu’elle ne respecte pas les droits de ses travailleurs. »
150 euros par mois
L’affaire commence quelques semaines après le départ de Ben Ali. A cette période, la dimension sociale du soulèvement qui a fait chuter le régime est encore bien présente, les rapports de force ont changé. Les ouvrières, installée en Tunisie depuis 2005, de Latelec créent alors, en mars 2011, une section syndicale dans l’entreprise pour améliorer les conditions de travail, et il y avait de la marge.
Sonia Jebali, l’une des délégués syndicales, se souvient :
« Nous avons été recrutées avec des critères très exigeants : des études au-delà du bac, la maîtrise du français, des capacités élevées de concentration… Mais nous avons découvert après l’embauche que nos salaires n’étaient que de 247 dinars par mois [150 euros à l’époque, ndlr].
Nous étions insultés par les cadres et les agents de maîtrise. Certaines filles ont même été victimes de chantage sexuel, et lorsque trois d’entre elles ont dénoncé le problème, elles ont été sanctionnées. »
Stratégie contre le syndicat
L’arrivée d’un syndicat affilié à la puissante UGTT (le syndicat historique), va changer la donne. Les insultes cessent et après un an de négociations, un accord est obtenu en mai 2012. Une grille de classification met les salaires en rapport avec les compétences et les ouvrières obtiennent 600 dinars par mois, les heures supplémentaires sont encadrées selon le régime légal et les jours de congés payées, respectés.
Le dossier suivant concerne les conditions de sécurité sur certains postes sensibles. Sonia Jebali note, en juin, une remarque étrange alors d’un des directeurs :
« Alors que nous commencions la négociation, le directeur du site de Fouchana m’a dit que nous n’aurions pas le temps de la terminer. J’ai compris plus tard ce qu’il voulait dire. Le 17 septembre, la direction a essayé de nous imposer une autre section syndicale pour les cadres. Nous avons refusé. Le 21 septembre, nous avons trouvé l’usine fermée. »
Elle n’a rouvert que fin novembre, mais sans rien produire. La production a été relocalisée en France, les contrats de plus de 200 intérimaires n’ont pas été renouvelés et une centaine de salariés ont été affectés sur l’autre site de la société.
Pour la déléguée syndical, l’objectif de ces mesures est clair : « La direction a mis en place une stratégie pour se débarrasser du syndicat et pour couper le lien entre nous et les autres salariés. J’ai reçu des menaces, le secrétaire général de l’union régionale de l’UGTT a été agressé. »
Licenciement sans indemnités
En avril 2013, la présence du Forum social mondial à Tunis offre une tribune internationale aux ouvrières de Latelec. Elles manifestent devant l’ambassade de France et font largement connaître leur cause. Ce sera le motif utilisé pour prononcer dix licenciements quelques jours plus tard, le 13 avril : « Atteinte à l’image de l’entreprise. »
Parmi les dix licenciées, les trois déléguées syndicales, Sonia Jebali, Monia Dridi, Rym Sbouai. Une décision effective avant même que l’inspection du travail n’ait rendu son avis sur le licenciement des syndicalistes. Défavorable, tranche-t-elle le 5 mai.
Trop tard. Le licenciement des syndicalistes est donc doublement illégal.
La production reprend en octobre 2013. Mais le dossier n’est pas fermé. Une fois passé le délai d’un an, il n’est plus possible de porter l’affaire devant les prud’hommes, l’inspection du travail s’estime impuissante. Une négociation au somment entre la centrale syndicale UGTT, l’organisation patronale UTICA et le gouvernement est entamée.
Un accord au goût amer
Le 4 mars 2014, un accord est conclu : l’entreprise propose la réintégration d’une seule des trois syndicalistes, Rym Sbouai, une indemnité pour les deux autres, et la réintégration de cinq des sept autres salariées.
Pourquoi seulement cinq sur les sept ? Sonia Jebali a une explication :
« Ces cinq-là avaient un crédit bancaire, c’est la banque qui a fait pression pour qu’elle puisse travailler à nouveau. »
Victoire en demi-teinte donc, d’autant que la réintégration de Rym Sbouai est de pure forme, confie Sonia Jebali : « Un des responsables nationaux de l’UGTT nous a appelées pour nous dire qu’en fait, son nom avait été ajouté pour le principe de la liberté syndicale, mais qu’elle devait prendre l’indemnisation et partir. »
Démotivée par cet arrangement, elle a accepté et s’est retirée de l’affaire.
Concessions
Depuis janvier 2014, les temps ont changé. L’UGTT a parrainé un accord politique qui a mis fin à six mois de crise politique, et abouti au départ d’Ennahdha et de ses alliés du gouvernement, pour mettre en place une équipe de technocrates. Il faut donc garantir la paix sociale.
Abdeljalil Bedoui, économiste, longtemps conseiller de l’UGTT, analyse :
« La dimension politique du travail de la centrale, l’amène à faire des concessions sur le plan social. »
Pour l’UGTT le dossier est clos alors que quatre salariées s’estiment toujours lésées dans leurs droits. Mais elles ne parviennent plus à impliquer le syndicat à leur côté.
Monia Dridi, l’un des trois syndicalistes s’indigne : « L’UGTT parle aujourd’hui le langage de l’UTICA ! »
Toutes les voies de recours étant épuisées, Sonia Jebali et une autre salariée ont donc entamé une grève de la faim, le 19 juin, aux côtés de syndicalistes licenciés par une autre entreprises, Leman Industrie.
Il faudra une manifestation, le 28 juin, devant le siège national de l’UGTT et un « Dégage ! » retentissant adressé à ses dirigeants, pour que l’Union régionale s’implique à nouveau. Les salariées ont entamé un débrayage et un préavis de grève a été déposé pour le 16 juillet. Depuis les tentatives de dégager une solution se succèdent. Pour l’instant, SEA-Latelec refuse d’envisager une réintégration.
Des acquis fragiles
L’affaire est révélatrice de la fragilité des acquis sociaux de la révolution. Comme en témoigne Monia Dridi : « Les insultes ont repris, le cadre légal n’est plus respecté pour les heures supplémentaires, les jours de congés payés sont imposés. »
Le rapport de force a changé. La société est épuisée par trois ans de troubles sociaux permanents. Tout le monde, gouvernement, institutions, et même le syndicat, craint d’effrayer les investisseurs, davantage que de provoquer un soulèvement social.
Pour Abdejalil Bedoui, c’est toute la gestion sociale des entreprises qui peine à s’adapter à la nouvelle donne : « Les chefs d’entreprise ont du mal à passer d’une gestion paternaliste, qui garantissait une certaine discipline, à une gestion partenariale, avec des syndicalistes qui ne sont pas toujours bien formés. »
Après deux semaines sans s’alimenter, la santé de Sonia Jebali s’est considérablement dégradée.
Article paru dans l’Anticapitaliste
Tunisie : Grève de la faim de salarié-e-s licencié-e-s (22 juin)
Dans la banlieue de Tunis, un conflit social a lieu depuis plus d’un an et demi à Latelec-Fouchana, entreprise dont 80% des salariéEs sont des femmes. Suite à cela, la direction a décidé de détruire le syndicat UGTT constitué dans l’usine depuis 2010.
Pour y parvenir, elle a notamment fait un chantage à la fermeture de l’usine, en relocalisant temporairement en France une partie des activités. Latelec est en effet la filiale de la multinationale française Latécoère qui fournit des équipements aux plus grandes compagnies de l’aéronautique comme Airbus et Dassault.
Simultanément, la direction a engagé 10 procédures de licenciement contre des ouvrières en lutte, dont les deux principales déléguées UGTT.
Grâce à la mobilisation, les salariées de Latelec-Fouchana ont obtenu en mars 2014 des premières avancées.
Mais la direction a maintenu le licenciement de quatre ouvrières.
Face à cela, deux d’entre elles étaient en grève de la faim lundi 23 juin depuis quatre jours.
Elles ont été rejointes par un salarié licencié dans une entreprise voisine, Leman industrie.
Les grévistes de la faim reçoivent régulièrement la visite de militant-e-s associatifs, syndicalistes et politiques dont certains se mettent en grève de la faim pour 24 heures. Une manifestation était prévue lundi 23 à Tunis devant l’ambassade de France.
Pour se tenir au courant et signer des pétitions de soutien en ligne :
https://www.facebook.com/ComiteSoutienSyndicalistesLatelecFouchana?ref=hl
https://www.facebook.com/CSLPT