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En 2013, sept ans après l’irruption de la crise en 2007, jamais autant de voitures n’auront été produites et vendues dans le monde. Mais l’on n’est pas revenu pour autant à la situation antérieure.
L’industrie capitaliste automobile mondialisée a opéré un basculement vers la Chine et les autres pays émergents devenus les premières zones géographiques de production, de vente et de réalisation des profits. Les États-Unis, renouant avec les variations cycliques de forte amplitude qui s’y observent depuis les années 1950, ont récupéré leurs niveaux de production et de vente d’avant la crise, les firmes automobiles US générant à nouveau des profits. En 2013, par rapport à l’année 2012, les ventes d’automobiles ont augmenté de 11 % en Chine, et de 7 % aux États-Unis, alors qu’elles ont baissé en Europe. L’augmentation des ventes observée en Europe au premier trimestre 2014, due largement au niveau très bas du premier trimestre 2013, ne permet toujours pas d’envisager un retour proche aux niveaux d’avant crise. Même en tenant compte des différences entre le sud et le nord du continent, l’Europe est le maillon faible du « monde » automobile.
Voitures particulières et utilitaires | 2010 | 2013 | Écart (en %) |
---|---|---|---|
Chine | 8 862 000 | 21 583 000 | + 144 |
Union européenne | 19 980 000 | 14 738 000 | – 26 |
USA | 10 782 000 | 10 887 000 | + 1 |
Japon | 11 596 000 | 8 829 000 | -24 |
Monde | 73 260 000 | 85 193 000 | +16 |
Les mêmes firmes mondialisées continuent d’opérer sur tous les continents, ajustant leur politique au basculement géographique en cours. En 2013, le japonais Toyota, l’américain General Motors et l’européen Volkswagen ont continué d’occuper les trois premières places des constructeurs mondiaux, chacun ayant vendu environ 10 millions de véhicules [1].
Les contradictions qui avaient contribué à amplifier dans l’automobile les effets de la récession de 2008-2009 ne sont pas résolues. La pollution et les dégâts de la circulation automobile d’un milliard de véhicules continuent d’empoisonner l’environnement. La ressource pétrole n’a pas encore trouvé de substitut à l’échelle de la production mondiale d’automobiles. Les politiques d’austérité salariale et la montée des inégalités dans les pays les plus développés entravent la possibilité d’acheter des voitures neuves pour une part croissante de la population.
C’est pourquoi l’industrie automobile mondialisée, après la crise de 2008-2009, n’est pas revenue à une situation stabilisée. Les fermetures d’usines en Europe, les restructurations entre firmes européennes, chinoises et américaines, et un nouveau développement de luttes dans les usines de nouveaux pays industrialisés, en témoignent.
Alors que l’industrie automobile continue d’employer au plan mondial des millions de salariés, nouvelles usines et créations d’emplois ont majoritairement lieu dans des pays nouvellement industrialisés. Les usines y deviennent des lieux de mobilisation où les ouvriers, par le recours à la grève, commencent à gagner des augmentations de salaire importantes. C’est l’une des caractéristiques de ces dernières années. Sous la double influence des offensives patronales dans les pays développés et du succès des mobilisations ouvrières dans les pays émergents, la tendance est au resserrement des écarts de salaires entre les vieux pays automobiles et les autres.
La Chine, eldorado confirmé des groupes capitalistes automobiles mondialisés
Chine et autres BRIC ont continué d’être en 2013 la zone géographique où les constructeurs automobiles ont augmenté le plus leur production et accumulé le plus de profit. Pour l’industrie automobile mondialisée, la Chine constitue un cas singulier, tant du point de vue de la taille de ce pays continent, que des liens qui se nouent entre entreprises chinoises et firmes impérialistes.
Dans le domaine de l’automobile, la Chine n’est pas l’atelier du monde. La production d’automobiles chinoises, durant les dix dernières années, est essentiellement destinée aux ventes en Chine. En 2013, seulement 5 % du total des voitures produites en Chine a été exporté alors que le rapport est de 50 % pour la Corée du Sud. Les exportations d’automobiles chinoises ne représentent que 1 % du total des voitures exportées dans le monde. La Chine n’est pas non plus un débouché très significatif pour les voitures fabriquées dans les usines européennes ou nord-américaines puisque les voitures importées n’y représentent que 5 % du total des ventes.
Quatre types d’entreprises automobiles coexistent en Chine : les entreprises publiques chinoises appartenant à l’État ou à des institutions chinoises régionales, les co-entreprises associant des entreprises chinoises aux firmes japonaises, européennes ou nord-américaines, les firmes occidentales intervenant seules sur le territoire chinois et enfin les entreprises chinoises privées. La majorité de la production d’automobiles, aux environs de 70 %, est aujourd’hui fabriquée dans des usines dépendant de joint ventures aux contours et combinaisons variées.
La même entreprise chinoise peut conclure des accords distincts avec différentes firmes occidentales. C’est le cas du groupe chinois Shanghai Auto qui a conclu des accords séparés avec Volkswagen, en 1984, et avec General Motors en 2002. Le dernier exemple est fourni par Dongfeng, propriété de l’État chinois , qui négocie simultanément des accords distincts avec PSA et Renault, après un accord passé avec Nissan depuis 1993. De façon symétrique, une firme « occidentale » peut conclure des accords avec différentes firmes chinoises : Volkswagen a ainsi passé des accords distincts avec deux des principales firmes chinoises, Shanghai Auto et FAW. Ce réseau de participations croisées est fondé sur une répartition du capital 50/50, les profits étant partagés à proportion.
Rapportées à la taille du continent Chine, production et ventes d’automobiles ont fait de la Chine le premier pays producteur du monde, atteignant 7 millions de véhicules en 2013. Pour les principales firmes mondialisées, la Chine est devenue leur premier marché. Ainsi, en 2013, Volkswagen a vendu 3,27 millions de voitures en Chine, contre 1,16 million en Allemagne et 3,65 millions pour la totalité de l’Europe. La firme américaine General Motors a vendu 3,16 millions de véhicules en Chine contre 2,8 millions aux États-Unis.
Ce mode d’insertion de la Chine dans le marché capitaliste automobile mondial connaît une nouvelle phase avec le rapprochement en cours de négociation entre PSA, deuxième firme automobile européenne, et Dongfeng, deuxième firme automobile chinoise. L’entrée de Dongfeng dans le capital de PSA, c’est bien d’avantage qu’une co-entreprise limitée au seul territoire chinois. En 2012, la « petite » firme privée chinoise Geeley avait racheté la firme automobile suédoise Volvo. L’opération entre PSA, l’État français et Dongfeng est d’une tout autre ampleur, associant le deuxième constructeur chinois à la deuxième firme européenne. Elle peut annoncer une intervention plus active de l’industrie chinoise bousculant l’oligopole structurant le monde automobile depuis des décennies. Le président de Dongfeng a indiqué : « Nous sommes présents au conseil de surveillance au même titre que les deux autres partenaires, avec le même poids décisionnel. » [2] Les capitalistes chinois ne sont pas nécessairement condamnés à jouer les seconds rôles dans des co-entreprises qui remplissent la trésorerie des firmes occidentales.
Aujourd’hui, la fraction la plus aisée de la population chinoise qui peut acheter des voitures neuves n’est qu’une petite minorité. Il y avait en Chine, en 2011, 68 voitures pour mille habitants, dix fois moins qu’aux États-Unis (800 voitures pour 1 000 habitants) et en Europe (600 pour 1 000). L’automobile y est pourtant déjà facteur de la dégradation de l’environnement, et les dégâts en sont suffisamment ressentis pour que les autorités politiques chinoises restreignent par les prix l’usage de l’automobile. Pour ce faire, il a été mis en place un système de quota de nouvelles plaques d’immatriculation (environ 10 000 plaques sont mises en vente aux enchères chaque mois dans la ville de Shanghai). Une plaque est ainsi nécessaire pour acheter une voiture neuve comme une voiture d’occasion. Et les prix sont dissuasifs à la mesure des ségrégations recherchées : 15 000 dollars pour obtenir la plaque d’immatriculation d’une voiture moyenne aux enchères de la ville de Shanghai en mars 2013 !
La production de ce bien de luxe, au regard des conditions de son usage en Chine, mobilise une force de travail très nombreuse. L’OICA évalue à 1 600 000 le nombre de salariés travaillant dans le secteur de la construction automobile. Les salaires de la main-d’œuvre ouvrière progressent de 20 % par an en moyenne, et plus rapidement dans les régions les plus actives. Les conditions objectives du travail dans les usines automobiles favorisent partout les capacités d’organisation et de résistance des travailleurs. On se souvient comment dans l’usine de Foshan (province de Guangdong) les fournisseurs de Honda avaient dû accorder des augmentations d’au moins 30 % à la suite d’une grève en 2010.
Recette classique, suite aux augmentations de salaire obtenues et concédées, une nouvelle pression sur les salaires s’exerce grâce à des implantations industrielles dans les régions continentales de la Chine, là où les salaires peuvent être moins élevés en fonction des rapports de forces sociaux, qu’ils s’expriment directement ou non. Et après la Chine, de nouveaux territoires de conquête se présentent en Asie pour l’industrie automobile, en premier lieu l’Inde et l’Indonésie.
Le retour automobile des États-Unis
La crise de 2008-2009 avait entraîné la faillite de General Motors et de Chrysler, qui s’étaient plus exactement placés « sous la protection du code américain des faillites », et la suite de l’histoire a montré que les deux firmes avaient été effectivement bien protégées. L’automobile américaine « renaît » et l’exploitation à grande échelle des gaz de schiste a temporairement desserré la contrainte d’un pétrole rare et cher. La production d’automobiles a retrouvé en 2013 son niveau de 2007, à savoir 10 millions de véhicules.
Mais ce sont les salariés, les retraités ainsi que les petits sous-traitants et fournisseurs qui ont payé les frais de la crise. La prétendue renaissance de l’industrie automobile américaine a été obtenue au travers de dizaines de fermetures d’usines, de centaines de milliers d’emplois supprimés, d’amputation de salaires pour les nouveaux embauchés, de pertes de garantie en termes de couverture santé et de retraites, de délocalisations en dehors de Detroit.
Les effectifs salariés sont inférieurs de 190 000 à ceux de 2007 passant de 960 000 à 770 000. La purge de 2009 avec 330 000 emplois supprimés n’a donc pas été compensée. La baisse est encore plus importante dans le nord des États-Unis, avec une division par deux des effectifs, car le déplacement de l’emploi vers le sud s’amplifie. Les constructeurs européens et japonais présents aux États-Unis ont construit leurs usines dans les États du sud, du Mississipi à l’Alabama, là où, faute de syndicalisation, les salaires peuvent être jusqu’à deux fois moins élevés qu’à Detroit. Et même dans cette région historique, les salaires des nouveaux embauchés sont la moitié de ce que gagnent les ouvriers plus âgés.
La nationalisation temporaire de General Motors et de Chrysler par l’administration Obama a permis cette politique en faisant payer le prix des restructurations aux salariés. Cette casse de l’appareil de production a aujourd’hui permis aux firmes américaines automobiles de renouer avec les profits et devient un modèle pour toute l’industrie automobile, particulièrement en Europe.
L’Europe « maillon faible » du monde automobile
Contrairement aux autres continents, en Europe, et principalement en Europe du sud, production et vente d’automobiles n’ont pas rattrapé leur niveau d’avant crise. En 2013, fermetures d’usines et suppressions d’emplois ont continué.
Ventes automobiles | 2007 | 2013 | Écart (en %) |
Allemagne | 3 148 000 | 2 962 000 | – 5,9 |
France | 2 084 000 | 1 790 000 | – 14,1 |
Italie | 2 493 000 | 1 902 458 | – 23,7 |
Espagne | 1 611 000 | 722 067 | – 55,2 |
Europe (15 pays) | 14 364 000 | 11 102 000 | – 22,7 |
Europe (27 pays) | 15 574 000 | 11 841 000 | – 23,9 |
Les baisses de la production, automobiles et véhicules utilitaires additionnés, sont encore plus importantes [3].
Production véhicules | 2007 | 2013 | Écart (en %) |
Allemagne | 6 213 000 | 5 718 000 | – 8 |
France | 3 015 000 | 1 740 000 | – 42 |
Italie | 1 284 000 | 858 000 | – 33 |
Espagne | 2 890 000 | 2 163 000 | – 26 |
Angleterre | 1 750 000 | 1 597 000 | – 9 |
La production automobile en France s’est établie à 1,74 million d’unités en 2013. La production a ainsi atteint son plus bas niveau depuis les années 1996-97. La France, qui occupait traditionnellement en Europe le deuxième rang derrière l’Allemagne, est maintenant dépassée par l’Espagne et est talonnée par la Grande-Bretagne.
Si la tendance est générale en Europe, les pays de l’Europe du sud sont particulièrement touchés et la France fait partie pour l’automobile de cette Europe du sud. Les variations observées sont considérables tant par leurs niveaux que par leur durée puisque cinq ans se sont écoulés depuis le déclenchement de la crise. Même l’Allemagne a connu pendant cette période une baisse de la production et des ventes d’automobiles, moins importante qu’en Europe du sud, mais en contraste avec les évolutions observées dans le reste du monde. Les faits sont là : l’industrie automobile est toujours en récession.
Selon les prévisions des constructeurs automobiles eux-mêmes, les ventes d’automobiles en Europe ne reviendront pas à leur niveau de 2007 avant cinq ans. À prendre au sérieux ces prévisions, dix ans seraient nécessaires pour revenir aux niveaux d’avant crise. Le plus probable est en fait que l’on ne retrouve jamais en Europe les niveaux d’avant crise. Plus précisément, la production automobile ne retrouvera jamais ses niveaux d’avant crise en Europe du sud, notamment dans les deux vieux pays « automobiles », la France et l’Italie.
La croissance ininterrompue connue jusqu’en 1975 relève d’une histoire qui ne s’est pas renouvelée. Entre 1975 et 2007, les évolutions ont été beaucoup plus chaotiques, marquées par la réinsertion dans un marché libéralisé de l’Espagne, du Portugal, puis des pays de l’Europe centrale et orientale. Les variations cycliques propres à l’automobile, signe de marchés automobiles en voie de saturation, n’étaient pas simultanées dans tous les pays européens, permettant de lisser les productions européennes des principales firmes. Il n’empêche que les augmentations de production et de vente d’automobiles sur le total Europe étaient en tendance de plus en plus faibles.
Dans le même temps, la productivité du travail augmentait et la concurrence s’aiguisait avec la présence en Europe depuis les années 1990 des principales firmes mondiales, Japon puis Corée du Sud inclus. Les causes d’une surproduction d’automobiles en Europe sont actives depuis cette période, se traduisant depuis les années 1980 par des pertes massives d’emploi. La permanence des restructurations caractérise ainsi l’industrie automobile européenne depuis les années 1975.
Il n’empêche que la crise ouverte en 2008 consacre une rupture avec presque un siècle d’augmentation de la production automobile en Europe. Attaques contre la force de travail et réorganisation du capital s’amplifient, comme en témoigne l’année 2013 avec des fermetures d’usine décidées dans toute l’Europe par les principales firmes européennes.
Baisse des ventes et de la production d’automobiles sont d’autant plus violentes que l’Europe condense, d’avantage que les autres continents, en conjoncture et en tendance de moyen terme, des facteurs de crise tenant à l’environnement économique , à la stratégie de firmes mondialisées, à l’intensification du travail, et à l’usage de l’automobile.
Baisse des ventes, austérité et saturation des marchés automobiles en Europe
La baisse des ventes d’automobiles observée en Europe s’inscrit dans une tendance de long terme marquée par la tendance à la saturation des marchés automobiles. Le fait que les achats d’automobiles soient à 90 % le renouvellement d’automobiles déjà possédées est une donnée établie depuis plusieurs décennies en Europe et aux États-Unis. Cela entraîne une très grande sensibilité des ventes de voitures aux aléas de la conjoncture qui peuvent conduire à retarder ce renouvellement. C’est l’origine des fortes variations cycliques de ventes de voitures aux États-Unis, amplifiant pour ce secteur les variations économiques.
En Europe, de nouveaux facteurs structurels interviennent pour expliquer cette dépression d’au moins dix ans. Le nombre de voitures possédées par habitant atteint un seuil maximum stabilisé à un niveau inférieur à celui des États-Unis en raison d’une offre de transport collectif, moins dégradé qu’en Amérique du Nord, et de modes de vie plus collectifs.
Conséquence de l’austérité salariale, l’achat de voitures neuves concerne une fraction de plus en plus réduite et riche de la population. Si l’usage généralisé de l’automobile continue d’être contraint pour la majorité de la population des zones rurales et périurbaines, il est de plus en plus déconnecté de l’achat de véhicules neufs. En France, en 2013, dans un marché en baisse, la moitié des voitures neuves ont été vendues à des entreprises, compagnies de location incluses. Quant aux acheteurs « particuliers », leur âge moyen approche maintenant cinquante-cinq ans. L’automobile neuve est de plus en plus un luxe réservé aux minorités les plus riches qui prospèrent avec la croissance des inégalités au sein des pays les plus développés. Plus le nombre de voitures vendues neuves baisse, plus en proportion seuls les plus riches restent acheteurs. La ruée des constructeurs automobiles vers la « montée en gamme », c’est-à-dire des voitures plus chères à l’achat et à l’usage, s’explique ainsi, mais la concurrence pour se disputer ce gâteau aux volumes réduits n’en est que plus vive.
Les réorganisations géographiques amplifient la crise de surproduction en Europe de l’ouest
La crise a accéléré les réorganisations géographiques mises en œuvre par la plupart des firmes opérant en Europe. Cette réorganisation à l’échelle d’une zone continent n’est pas propre à l’Europe comme en témoignent les exemples déjà cités des États-Unis, ou même des mouvements à l’intérieur de la Chine. Dans le cas de l’Europe, ce mouvement s’opère dans une situation globale de baisse de la production, aggravant la situation des capacités de production déjà installées.
L’insertion des pays de l’est européen dans le marché capitaliste mondialisé après 1989 a ouvert des territoires où toutes les firmes vendent et investissent dans de nouvelles capacités de production qui s’ajoutent à celles déjà installées dans les vieux pays européens.
Les augmentations de production dans ces nouveaux pays industrialisés sont très importantes. Aujourd’hui les niveaux atteints dans chacun des pays, République tchèque, Slovaquie et Pologne, dépassent la production effectuée en Italie.
Production véhicules | 1999 | 2007 | 2012 |
République tchèque | 376 000 | 939 000 | 1 179 000 |
Slovaquie | 127 000 | 571 000 | 900 000 |
Pologne | 575 000 | 793 000 | 648 000 |
Roumanie | 107 000 | 242 000 | 337 000 |
Slovénie | 118 000 | 198 000 | 131 000 |
Toutes les firmes européennes, japonaises et coréennes disposent d’usines dans l’est européen. Fiat, présent en Pologne, possède en Serbie, à Kragujevac, une usine d’une capacité de 200 000 véhicules par an, ce qui représente près du tiers de la production de Fiat en Italie. Le groupe PSA a choisi la Slovaquie où l’usine de Trnava a produit plus de 200 000 véhicules en 2013.
Après avoir étendu leur zone de production vers l’est de l’Europe, les firmes automobiles tiennent vers la périphérie méditerranéenne de l’Europe une nouvelle zone d’expansion. La Turquie est déjà une base ancienne avec des usines implantées par Renault, Fiat et Ford.
Le Maroc est un nouveau territoire de conquête pour Renault avec l’installation à Tanger d’une nouvelle usine de production dont la capacité aujourd’hui de 340 000 véhicules par an devrait atteindre à terme 400 000 voitures par an, ce qui représente les deux tiers de la production totale en France. Cette usine est en fait une enclave du groupe Renault Nissan au Maroc. Le site est directement relié par liaison ferrée à un terminal portuaire Renault. Plus de 90 % de la production est ainsi exportée principalement vers l’Europe.
La réorganisation des appareils de production s’effectue ainsi au plan de zones continents élargies dont les contours sont propres à chaque firme. Pour Renault, le terrain de réorganisation géographique est une zone euro-méditerranéenne où la mise en concurrence entre entreprises et salariés est la règle. Dans le cas de l’implantation au Maroc, la mise en concurrence s’est opérée avec le site roumain de Dacia, Renault annonçant que les coûts salariaux sont deux fois plus élevés en Roumanie qu’au Maroc. La recherche de la meilleure rentabilité n’a ni frontière ni limite.
Cette politique aboutit à une sous-utilisation considérable des capacités de production installées en Europe de l’ouest. Les chiffres publiés par les sociétés de consultants convergent tous vers les mêmes indications. Ces ratios supposent bien sûr une « certaine » utilisation des machines, incluant le travail posté et les conditions de travail « normées » par les règles mondialisées de la rentabilité. Dans le cadre de l’organisation capitaliste de la production, les usines automobiles européennes sont estimées tourner à 75 % de leur capacité de production et à 90 % aux États-Unis. Les usines automobiles tourneraient à 78 % de leur capacité en Angleterre, à 70 % en Allemagne, à 63 % en France et en Espagne, et à 46 % en Italie.
À la fin de l’année 2013, le stock de voitures produites en Europe et non vendues a atteint 5 millions de véhicules, frôlant le record atteint au plus fort de la crise en 2008 avec 5,5 millions de véhicules. Les marques d’une crise de surproduction sont bien là en Europe.
Modification des flux d’échanges de voitures entre pays et réorganisation géographique visent toute l’Europe élargie à sa périphérie méditerranéenne. Pour les usines d’assemblage, le terme de redéploiement géographique qualifie mieux le phénomène que celui de délocalisations car le transfert de production d’un même modèle de voiture d’une usine vers une autre usine d’un autre pays est une opération encore exceptionnelle, le déménagement des outils de production affectés à un modèle restant complexe, lourd et onéreux. En fait, les firmes opérant en Europe installent de nouvelles usines à la faveur du lancement de nouveaux modèles, profitant de l’occasion pour y investir dans de nouvelles machines plus productives.
Les nouvelles affectations géographiques de production mettent en cause les privilèges que s’étaient accordés les plus vieux des pays impérialistes. Les relocalisations éventuelles ici sont des délocalisations ailleurs. Par exemple, le PDG de Fiat, Sergio Marchionne, s’est vanté de la « relocalisation » de la fabrication des voitures Panda dans l’usine de Pomigliano d’Arco, dans la banlieue de Naples. Le transfert de voitures fabriquées dans l’usine polonaise Fiat de Tichy, est une relocalisation en Italie et une délocalisation en Pologne.
Au moment où PSA et Renault ferment et suppriment des emplois en France, dans ce même pays, Mercedes-Smart et Toyota installent des usines à Hambach en Moselle et à Onnaing dans le Nord. La production de voitures effectuée par ces deux firmes représente déjà 10 % de la production totale d’automobiles en France. Cela illustre comment le salaire des ouvriers n’est que l’un des paramètres de choix des firmes. Alors que Renault produira la remplaçante de la Twingo en Slovénie, Mercedes produira la nouvelle petite voiture Smart sur la même base châssis, mais en France.
Autre preuve que les écarts de salaire ne sont pas la cause principale des échanges d’automobiles intra-européens : la France affiche en 2013 un déficit du commerce extérieur de 7,6 milliards d’euros et celui-ci est principalement dû aux échanges avec l’Allemagne, pays aux salaires globalement équivalents dans l’industrie automobile. En ce qui concerne les échanges d’automobiles avec l’Afrique et l’Amérique du Sud, pays où les salaires sont les moins élevés, le solde positif en faveur de la France approche les trois milliards d’euros.
La réponse des patrons capitalistes de l’automobile est double : supprimer des capacités de production jugées excédentaires dans les vieux pays automobiles, et investir de nouvelles usines aux marges territoriales de l’Europe, quitte à amplifier les surproductions dans les pays plus anciens. La crise de surproduction est locale, circonscrite aux pays de l’ouest européen, au regard des impératifs de la rentabilité capitaliste. C’est une crise de surproduction capitaliste, car ce qui cause le déséquilibre est la volonté des firmes automobiles de vendre leurs produits à un prix qui garantisse le profit escompté par les actionnaires. Faute de ce profit, ils préfèrent ne pas vendre, accepter des stocks d’invendus considérables et casser des usines.
Leur productivisme est capitaliste, leurs niveaux de production étant bornés par la capacité à réaliser les profits escomptés. Les capitalistes ne sortent pas d’une crise de surproduction sans détruire capacités de production et force de travail. À l’inverse, il n’y a pas d’issue favorable pour les travailleurs sans incursion dans le pouvoir du capital.
Une nouvelle distribution des rôles entre constructeurs automobiles, fournisseurs et équipementiers
Ces dernières années, l’essentiel du processus de concentration dans le secteur automobile concernait les équipementiers avec l’émergence de groupes aux dimensions mondialisées. En effet, les fusions-rachats entre firmes automobiles mondialisées avaient connu une pause, et cela avant les opérations de cette fin d’année 2013.
Les équipementiers occupent une part croissante dans la production des voitures. En 2013, les achats de composants à des fournisseurs extérieurs représentent 70 % du prix de fabrication d’une voiture, alors qu’il était de 50 % il y une dizaine d’années.
Les usines des constructeurs automobiles assemblent de plus en plus de pièces fabriquées ailleurs. L’externalisation des tâches autrefois intégrées sous la houlette de la même entreprise dans le même site est une tendance à l’œuvre depuis de nombreuses années. Alors que, en 1960, l’ancien site Renault de Billancourt comprenait ses propres fonderies et ses ateliers de fabrication de machines-outils, les constructeurs automobiles se sont progressivement dépouillés de toutes les parties amont de la production. Le nouveau pas dans l’externalisation actuelle : des pans entiers de la voiture finie sont conçus et produits ailleurs, pièces de carrosserie, tableaux de bord, sièges, organes mécaniques et électroniques.
Cela devrait s’amplifier avec les changements techniques en cours : de nouveaux moyens de propulsion, véhicules hybrides et électriques commencent, lentement, à être expérimentés, ainsi que de nouveaux dispositifs d’aide à la conduite, dans la perspective de la « voiture sans conducteur ».
Les équipementiers et de nouvelles firmes vont y trouver de nouveaux gisements de profit. Ils deviennent plus rentables que les constructeurs automobiles. C’est pourquoi le secteur connaît une nouvelle phase de concentration. Certains se développent de façon indépendante, à l’exemple de Bosch ou de Valéo, et d’autres dépendent encore de groupes automobiles, à l’instar de Faurecia, filiale de PSA, ou de Magneta Marelli, filiale de Fiat. Mais dans ce cas, la tendance est à leur autonomisation vis-à-vis des groupes automobiles d’origine. Aujourd’hui, PSA veut mettre Faurecia à l’abri d’une possible déroute de PSA automobile, pour préserver cette source de profit pour les actionnaires. C’est donc un changement de rapport de forces entre firmes du secteur qui s’opère aujourd’hui.
En France, par exemple, le secteur de l’équipement automobile apporte un excédent de 3 milliards d’euros au commerce extérieur contre un déficit de 8 milliards d’euros pour la construction automobile au sens strict. La concentration-restructuration en cours dans le secteur est classiquement un procès « sauvage » qui laisse beaucoup de petites entreprises soit en faillite, soit à la merci de la délocalisation des outils de production.
Les conséquences sont importantes pour l’organisation de la force de travail dans l’industrie automobile qui se précarise et se fragmente de plus en plus [4]. Le secteur automobile est de moins en moins, en France et en Italie notamment, le fait de quelques constructeurs. Les équipementiers de plus en plus concentrés en terme de capital sont entourés de sous-traitants, petites et moyennes entreprises ligotées par les impératifs du juste-à-temps et dépendantes de leurs donneurs d’ordre. Le développement des équipementiers automobiles se fait autour d’établissements dont la taille dépasse rarement 2 000 salariés. Les chemins de la convergence des luttes doivent tenir compte de cette situation.
La tentation de la fuite en Amérique, en Chine ou au Japon
Le fait que l’Europe soit aujourd’hui pour l’industrie automobile un « maillon faible » conduit les firmes automobiles à choisir des investissements dans des zones plus profitables. Parmi les quatre groupes de constructeurs d’origine européenne fabriquant des voitures de toutes les gammes – Fiat, Renault, PSA et Volkswagen –, les trois premiers sont engagés dans des processus de rapprochement qui peuvent les amener à s’autonomiser d’avec leur nationalité d’origine pour s’insérer dans de nouvelles alliances.
Le groupe Fiat est celui qui a rompu le plus clairement les amarres européennes et italiennes. En effet, Fiat vient de racheter au mois de janvier 2014 la totalité du capital du troisième constructeur américain Chrysler dont il détenait déjà plus de la moitié. L’opération a été qualifiée de « pillage de diligence » par le journal patronal les Échos, le montage financier aboutissant à faire payer l’achat par la firme achetée. Le président affairiste Marchionne agit au nom de la famille Agnelli encore actionnaire de référence du groupe. Celle-ci, d’accord pour ce voyage transatlantique, se retrouve donc à la tête d’un groupe américain nommé Chrysler-Fiat et qui sera coté à la Bourse de New York. Le groupe ainsi constitué tire 54 % de ses revenus de l’Amérique du Nord et seulement 9 % de l’Italie. Déjà, en 2012, le groupe Fiat avait affiché un bénéfice de 1,4 milliard d’euros grâce au capital investi dans Chrysler, alors que Fiat Automobile connaissait une perte de 1 milliard d’euros. Il est probable que Fiat automobile joue dans le groupe ainsi constitué le même rôle qu’Opel, la filiale européenne de General Motors. La nationalité du passeport de l’héritier Agnelli ne compte guère en ce domaine.
Le parcours de l’alliance entre Renault et Nissan n’est pas encore arrivé à ce point d’aboutissement, mais, avançant depuis 1999 à pas plus comptés, le groupe resserre des liens que la direction de Carlos Ghosn voudrait rendre irréversibles. Il a d’ailleurs précisé en janvier 2014 : « Avec la multiplication actuelle des synergies, et la création de ces nouvelles structures, les entités Renault et Nissan deviennent indissociables. » À bon entendeur pour qui voudrait remettre en cause ses décisions !
Les bénéfices affichés par Renault en 2012 proviennent des dividendes encaissés grâce à ses participations au capital de Nissan, d’Autovaz – la firme russe détenue par Renault –, et de Volvo poids lourds. L’activité automobile Europe de Renault est globalement dans la même situation que celle de Fiat ou PSA.
Grâce à ses implantations en Chine et aux États-Unis, Nissan produit et vend deux fois plus de voitures que Renault alors que leurs résultats étaient équivalents en 1999. Renault écrit avec Nissan la même histoire que Fiat avec Chrysler. Ici aussi, le holding Renault-Nissan installé aux Pays-Bas – merci l’optimisation fiscale ! – cherche à gagner son autonomie par rapport aux pays d’origine pour encore mieux investir là où les meilleurs profits sont attendus.
La famille Peugeot, actionnaire propriétaire de PSA, est aujourd’hui devant les mêmes difficultés que ses compères et concurrents, Fiat et Renault. Mais loin de nouer des alliances capitalistiques avec d’autres firmes, la famille Peugeot a voulu continuer à s’asseoir sur son magot vieux de plus d’un siècle, l’exploitation des ouvriers dans toutes ses usines européennes devant suffire à garantir la rente pour toute leur famille élargie, cousins y compris. Alors que l’Europe de l’ouest automobile est la partie du monde la plus atteinte par la récession, PSA est celui des groupes automobiles dont les activités sont les plus concentrées sur l’Europe et en subit donc plus que les autres les conséquences. La fermeture de l’usine d’Aulnay et le plan de réduction de 10 000 emplois annoncés en 2013 étaient des mesures d’autant plus violentes que, à marche forcée, la famille Peugeot voulait reconstituer des marges pour investir ailleurs, notamment en Chine.
En même temps, la famille place ses capitaux dans d’autres secteurs de l’économie. La famille Peugeot dispose ainsi d’investissements répartis dans un millier de filiales et il est d’autre part avéré qu’au moins 2,5 milliards d’euros sont conservés en Suisse. Et cela sans compter ni les placements dans les paradis fiscaux, ni les lingots d’or, à l’exemple – cela ne s’invente pas – des 500 000 euros découverts en 2009 dans la salle de bains de l’un des héritiers de la famille. Malgré les travaux honnêtes des expertises mandatées par les syndicats, il n’y a eu ni ouverture des livres de comptes, ni enquêtes contrôlées par les salariés sur la diversification et l’ampleur de la fortune de la famille Peugeot.
À mesure que les difficultés augmentaient dans l’automobile, une partie de la famille s’est engagée dans la diversification de ses actifs. À leur échelle, les Peugeot ont mis en pratique la péréquation des taux de profit, allant vers des activités plus profitables aujourd’hui que l’automobile. Un exemple : la famille contrôle la société Lisi, firme divisée en 3 branches, équipement automobile, pièces pour l’aviation et fourniture de matériel médical. Pour un chiffre d’affaires de un milliard d’euros en 2012, le bénéfice a été de cent millions d’euros, soit 10 % de rentabilité ! Et le pourcentage est de 15 % pour la seule division Lisi Aeropsace.
Avec trente ans de décalage, la famille Peugeot veut suivre le même chemin que celui des héritiers de la sidérurgie faillie des années 1980. Les ouvriers par milliers ont été licenciés et des villes entières condamnées à péricliter. En revanche, les héritiers des maîtres de forges ont été généreusement remboursés par le gouvernement PS de l’époque, celui de Mitterrand. Aujourd’hui, un ancien président de l’organisation patronale Medef préside le holding financier qui gère la fortune préservée des De Wendel.
L’État français et Dongfeng renflouent PSA en apportant à eux deux 1,6 milliard d’euros. Et cela va permettre à la famille Peugeot de sauver sa mise. Restant actionnaire d’un groupe recapitalisé avec d’autres concours, elle continuera ainsi de toucher des dividendes. À l’exemple des « nationalisations temporaires » de General Motors et de Chrysler par l’administration Obama, les firmes privées championnes de la libre entreprise savent trouver le chemin des pouvoirs publics pour sauver leur mise. Privatisation des profits et socialisation des pertes, la recette s’applique toujours.
À l’heure de l’industrie automobile mondialisée et de ses mercenaires dirigeants sans frontière, la nationalité des capitaux et des firmes sert d’assurance tout risque et de dernier recours. La famille Peugeot s’en est souvenue. Le gouvernement français maquille son recours avec des trompettes chauvines, « Pour que PSA reste français », mais comme dans le sauvetage des banques de 2007, il offre les portes de sortie les plus profitables au patronat failli.
Le mouvement ouvrier est peu préparé à affronter ces situations où les patrons, après avoir obtenu le maximum de l’exploitation des ouvriers dans un pays ou une branche d’industrie, décident de fermer boutique au sens strict du terme. Cette pratique était réputée celle des patrons voyous de petites entreprises qui filent avec bagages, machines et comptes bancaires vidés. Et voilà que dans des vieux pays capitalistes, les héritiers Agnelli et Peugeot se comportent de la même façon. S’en servir pour dénoncer les mœurs capitalistes est une évidence. Mais pour traduire en termes politiques cette dénonciation, remarquons que le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a été bien seul à poser la question de l’expropriation de la famille Peugeot face à un patron qui organise ainsi sa fuite.
Le contre-exemple de Volkswagen
Le groupe allemand Volkswagen connaît une autre trajectoire. Il est sorti de la crise de 2008 pour disputer le rang de premier constructeur mondial d’automobiles à Toyota et General Motors. La famille Porsche, un fonds financier du Qatar et le Land de Basse-Saxe en sont les principaux actionnaires. Les ventes de Volkswagen se répartissent entre un tiers pour l’Europe, un tiers pour la Chine et un tiers pour le reste du monde, avec une centaine d’usines installées dans le monde dont 12 en Chine. Tant sa production que ses ventes se sont affranchies des limites du pays d’origine. Ventes et production du groupe en Allemagne ne représentent plus qu’environ 15 % du total de l’activité monde du groupe. Mieux que les autres firmes, Volkswagen a pu échapper aux conséquences de la récession qui concerne particulièrement l’Europe.
Cette réussite de Volkswagen s’est construite à partir de défaites du mouvement ouvrier sur les terrains de la flexibilité et des salaires. Devenue une référence pour les dirigeants des firmes automobiles, ce ne devrait pas l’être pour les salariés ! [5]
Dès 2001, Volkswagen crée une filiale Auto 5 000 employant 5 000 salariés avec salaire et statut différents des autres ouvriers couverts par la convention collective. Les équipes travaillaient à l’objectif avec des horaires flexibles pouvant aller jusqu’à 45 heures hebdomadaires pour le même salaire. Et un accord signé avec IG Metall a consacré la flexibilité pour tous. Les horaires de fin de journée deviennent flexibles, en fonction du programme à accomplir. Le temps de travail des salariés est de 35 heures, mais en moyenne, sur une base annuelle. Les nouveaux employés pourront ainsi être amenés à travailler jusqu’à 42 heures par semaine. Le maître d’œuvre de cette politique est le chef du personnel du groupe, Peter Hartz, le futur conseiller de Schröder qui sera l’auteur des lois « Hartz 1, 2, 3 et 4 » étendant à tous les salariés allemands déréglementation et flexibilité. Père des « mini-jobs » à un euro de l’heure, c’est chez Volkswagen qu’il a fait ses classes.
Armé de tels outils, Volkswagen a affronté la récession commencée en 2008. Début 2009, la suppression de la totalité des personnels précaires et intérimaires du groupe a concerné 16 500 personnes en Allemagne et dans le monde. Tri-annualisation du temps de travail, fluctuation du temps hebdomadaire moyen entre 25 et 35 heures (hors heures supplémentaires), roulement des équipes, mobilité territoriale, recours au chômage technique : tout ce dispositif est appliqué.
Si cette politique est un modèle, allons jusqu’au bout du modèle. Pour parvenir à ces accords de flexibilité avec IG Metall, Peter Hartz a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir versé à un responsable du syndicat 2,6 millions d’euros en prestations de voyages exotiques et de prostituées. La paix sociale a un coût !
Les compromis introuvables de l’industrie automobile européenne
Le moment n’est pas au compromis, et force est de constater que le patronat de l’automobile, en Europe, est à l’offensive tant dans les entreprises sous-traitantes que dans les usines des constructeurs.
Suppressions d’emplois et fermetures d’usines se sont succédé. Après la fermeture de l’usine Volkswagen de Forest en Belgique (3 500 salariés), Opel-General Motors a fermé l’usine d’Anvers en juillet 2010 avec 2 600 salariés, et Fiat l’usine sicilienne de Termini Imerese en novembre 2011 avec 1 500 salariés. Ford a fermé celle de Genk (4 300 salariés) en Belgique à la fin de l’année 2013. PSA ferme l’usine d’Aulnay (3 500 salariés) et Opel prépare celle de son usine historique de Bochum en Allemagne avec 3 000 salariés. Certes, restructurations, fermetures et création de nouvelles usines jalonnent l’histoire de toute l’industrie automobile. La fermeture de l’usine de l’île Seguin à Billancourt en 1992 en porte témoignage. L’élément nouveau de la situation en Europe de l’ouest est que ces fermetures impliquent tous les groupes et tous les pays dans un contexte généralisé de baisse de la production d’automobiles. Toutes ces mesures n’ont pas permis jusqu’ici aux firmes automobiles installées en Europe de récupérer les profits escomptés par les actionnaires. À les laisser faire, ce sont de nouvelles attaques qui se préparent.
À l’exemple de Volkswagen en Allemagne, la flexibilité est partout à l’ordre du jour. Les salariés doivent s’adapter aux aléas de la conjoncture, en termes de volumes d’emploi, d’horaires, de conditions de travail, et de niveau des salaires. Le chantage à l’emploi et aux fermetures d’usines est partout utilisé pour faire avaliser ces mesures de régression sociale soit par les syndicats, soit par les salariés au moyen de « référendums ». Chez Fiat, à Turin, la direction Marchionne a ainsi réussi à arracher un vote, se permettant ensuite d’exclure de l’usine les activités syndicales de la FIOM, celle-ci ayant appelé à voter contre le diktat patronal. Chez Renault et PSA, des accords de compétitivité organisant la flexibilité ont été signés par les syndicats qui ont choisi d’accompagner les mouvements de restructuration patronale.
Le mot compromis, tel qu’il est ressassé par le social-libéral Hollande, sert aujourd’hui de couverture à tous les renoncements. Certains secteurs qui proclament pourtant leur opposition aux politiques patronales continuent d’en appeler à un compromis social fondé selon eux sur des échanges possibles de concessions entre patronat et mouvement ouvrier. Ainsi dans une interview à l’Humanité, quotidien publié par le Parti communiste, à la question « Vous soulignez le fait que Volkswagen a conclu un accord avec les syndicats allemands préservant emploi et salaires – au contraire de ce que font Renault et PSA aujourd’hui –, et que cela a été un facteur de stimulation pour l’innovation », Michel Freyssenet répond : « Tout à fait. Cette contrainte, qui serait considérée comme scandaleuse en France par le patronat, a obligé VW à être très rigoureux dans le développement de sa stratégie, combinant économies d’échelle et diversité de l’offre. Les études historiques sur l’automobile le montrent : à la source de la compétitivité, il y a toujours un compromis social. » [6]
Michel Freyssenet, un chercheur souvent cité par le syndicat CGT Renault comme une référence, illustre la trajectoire d’un courant critique qui en arrive aujourd’hui à présenter Volkswagen comme exemple, alors que c’est le laboratoire européen des accords de compétitivité Renault et PSA – ainsi que de l’Accord national interprofessionnel (ANI) qui déréglemente en France tout le marché du travail.
Il n’y a pas de troisième voie entre l’accompagnement des restructurations et l’affrontement avec le patronat. L’exemple de la FIOM à Fiat-Turin qui s’était opposée à la politique de Marchionne sans se donner les moyens d’une véritable centralisation des luttes l’illustre. La FIOM a perdu tant vis-à-vis du patronat que parmi les travailleurs combatifs cherchant d’autres voies pour des luttes alternatives et efficaces. Aucune hypothétique solution industrielle n’est à la mesure des offensives aujourd’hui en cours dans toute l’Europe. Face aux baisses de production, c’est la répartition du travail disponible entre toutes les usines et la réduction massive du temps de travail qui est à l’ordre du jour, et pas l’illusion du retour à un passé que les impératifs du capital ont détruit.
La mondialisation de la force de travail dans l’automobile
En Europe, seul continent où la récession de l’industrie automobile continue, le patronat de l’automobile est à l’offensive, et les travailleurs connaissent des échecs et reculs. Les résistances comme celle des grévistes d’Aulnay avant la fermeture de l’usine incitent à d’autres mobilisations, mais ne parviennent pas à empêcher l’application des plans patronaux. La situation est différente dans les autres zones géographiques où les firmes mondialisées implantent de nouvelles usines. En Chine, en Inde, en Afrique du Sud, en Roumanie, au Maroc, des grèves massives renouent avec la tradition séculaire du mouvement ouvrier. Elles obtiennent des succès importants, notamment en termes d’augmentations de salaires qui se répercutent sur les conditions de travail et les salaires des usines avoisinantes. Et l’on ne peut que constater et condamner le peu d’empressement avec lequel ces luttes sont popularisées par la plupart des syndicats européens.
Alors que dans l’industrie automobile les salaires stagnent en Europe et aux États-Unis et sont parfois orientés à la baisse avec le recrutement de précaires et de salariés hors conventions collectives traditionnelles, la tendance est à la hausse des salaires dans les nouvelles implantations industrielles.
Les salaires et les cotisations sociales augmentent en Chine, le coût de la main-d’œuvre ouvrière progressant de 20 % par an en moyenne, et plus rapidement dans les régions les plus actives. À Foshan dans la province de Guangdong, les fournisseurs de Honda ont dû accorder des augmentations d’au moins 30 % à la suite d’une grève.
En 2005, le coût moyen d’un ouvrier chinois représentait 22 % de celui d’un ouvrier américain. En 2010, on en était à 31 %, et même à 41 % en tenant compte du différentiel de productivité. En 2015, le ratio sera supérieur à 60 %, selon des évaluations citées cité par le site militant Labor Notes [7].
Cette différence de 40 % en faveur de la Chine ne joue que sur la partie salaires qui ne représente environ 20 % du prix de revient d’une automobile (salaires de la force de travail constructeurs et équipementiers). Il convient d’y ajouter frais de transport et tarif douaniers.
Les industriels regardent donc vers le sud des États-Unis, véritable zone « low cost ». Le syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) a accepté des baisses substantielles des salaires et des avantages sociaux pour faire revenir les emplois. Pour le même travail, une heure payée 29 dollars dans une usine du Michigan ne vaut plus que 14 dollars dans l’Alabama.
Cette tendance dépend bien sûr des rapports de forces sociaux qui s’établissent dans les différents continents de la planète, mais elle indique que le futur des sociétés n’est pas défini par la stratégie de quelques firmes. Avec la concentration de l’industrie automobile en un oligopole d’une dizaine de firmes, les millions de salariés de l’automobile s’affrontent aux mêmes états-majors patronaux. Ces derniers veulent attiser la concurrence entre salariés, mais ils créent aussi les bases objectives à une solidarité active entre travailleurs de différents pays et continents. La mondialisation de l’industrie automobile, c’est aussi la mondialisation de la force de travail.
La résistible ascension de l’automobile
Au plan de la planète, l’usage de l’automobile n’a cessé d’augmenter. La crise déclenchée en 2008 n’a rien changé, la Chine et les nouveaux pays industrialisés ayant pris le relais de l’Europe et des États-Unis. Même si les voitures y demeurent des biens de luxe, au total le nombre d’automobiles en circulation continue de croître.
Le chiffre du milliard de véhicules motorisés en circulation a été dépassé en 2010 selon les données publiées par l’organisation internationale de la construction automobile. N’ayant rien appris et tout oublié des catastrophes passées, les constructeurs automobiles continuent de se faire les propagandistes du tout-voiture. Le salon automobile de Detroit tenu en janvier 2014 a encore été le prétexte à célébrer le retour de la voiture et la « nouvelle chevauchée fantastique » de Ford, pas le cinéaste, mais la firme automobile américaine.
Force est de constater que les mobilisations d’un mouvement social portant les exigences d’un contrôle de l’usage de la voiture sont encore très limitées. Les espoirs que la crise déclenchée en 2008 ouvrirait la voie à une diminution de l’usage de l’automobile sont démentis par les faits.
Les contradictions internes à la production et à l’usage de l’automobile telles qu’elles s’organisent aujourd’hui sont les facteurs plus immédiats de crise. La question du pétrole, devenant de plus en plus contraignante du point de vue de sa rareté prévisible dans les prochaines années et de son prix, est de plus en plus prise en compte par l’industrie automobile. Sauvegarder l’usage automobile comme moyen de transport individuel, dans ce contexte, tel est l’objectif.
Mais le développement annoncé de véhicules utilisant d’autres ressources que le pétrole avance à pas de tortue. La possession et l’usage des véhicules électriques demeurent confidentiels en Europe puisqu’ils ne représentent en 2013 que 0,2 % du total des voitures vendues. La pile à combustible à hydrogène n’est pas encore industrialisée.
En sus de questions techniques non encore résolues quant à l’autonomie de ce type de voitures, le développement des véhicules électriques est bridé par le coût de fabrication de produits pas encore de grande série entraînant des prix de vente prohibitifs, y compris pour les acheteurs aisés d’automobiles neuves « classiques ». Pour envisager un usage autre que confidentiel, la rareté des infrastructures en bornes de chargement, dont la généralisation suppose des investissements publics massifs, constitue un obstacle supplémentaire.
Les nouveaux modes de propulsion se substituant au pétrole reposent tous sur une consommation d’énergie en amont de l’utilisation directe des voitures. En Europe, cette énergie provient soit de centrales nucléaires, soit du recours au charbon. C’est le cas du véhicule électrique, mais aussi de la pile à combustible à hydrogène, car pour obtenir de l’hydrogène, il faut dépenser de l’énergie.
L’échec était prévisible [8]. Renault, notamment, a trouvé le bouc émissaire, les pouvoirs publics : « Cela va moins vite parce que nous avions anticipé un développement des infrastructures plus rapide. Le problème principal, ce sont les infrastructures », a déclaré Carlos Ghosn dans une interview au Financial Times. Et il annonçait le décalage de cinq ans du programme de Renault, abandonnant ainsi toute prétention de Renault à une « avance » en ce domaine.
Toute l’industrie automobile mondialisée est confrontée aux mêmes obstacles. Les périodes d’opulence ont été utilisées à servir des dividendes aux actionnaires, et à enrichir les voitures individuelles en vains gaspillages. Et elle demande aujourd’hui aux pouvoirs publics, appliquant l’austérité, de nouveaux investissements socialisés pour préserver l’usage des voitures individuelles.
À laisser faire l’industrie automobile, il n’y aurait pas de limite au développement de l’usage et de la possession de l’automobile. Ce laisser-faire est intolérable au sens strict du terme. Quelles que soient les solutions techniques retenues, moteur à combustion, hybride, électrique ou pile à hydrogène, il faut bien produire l’énergie nécessaire pour déplacer la carapace de plus d’une tonne que pèse en moyenne chaque automobile en circulation. Cela est incompatible avec plusieurs milliards de véhicules en circulation sur la planète.
Pour l’industrie automobile capitaliste, les voitures sont des « marchandises » dont la vente a pour finalité un profit accaparé par propriétaires, hauts dirigeants et actionnaires. La satisfaction des besoins sociaux en termes de déplacement des personnes préservant l’environnement est aussi peu leur souci que l’emploi. Voilà ce que ce que continuent de démontrer les firmes automobiles. L’emploi ne sera pas défendu par un retour illusoire à un âge d’or révolu de l’automobile, mais par une répartition en Europe du travail disponible entre tous les sites de production, et par une réduction massive du temps de travail s’appliquant à toutes et tous.
Jean-Claude Vessillier