Cette contribution sur les questions de l’autogestion comme mode de résistance et projet de société veut partir d’une tension qui traverse bien des débats passés/présents : celle qui semble opposer droits individuels et approches d’ensemble – donc enjeux de pouvoirs. Je partirai d’une conception de l’autogestion comme principe ou droit de base accordé à tous ses citoyens, hommes et femmes dans leur diversité : le droit de participer de façon autonome au processus de production et distribution des richesses (biens et services) avec les moyens de le contrôler pleinement, en cherchant dans les différentes parties abordées à dépasser certains faux-dilemmes. Je proposerai d’abord quelques principes généraux, puis une façon d’intégrer le « passé/présent », enfin je mettrai l’accent sur la centralité d’une reformulation stratégique actuelle des luttes autogestionnaires à partir des « Biens Communs ».
I- Remarques générales et principes de base
1- Pouvoir individuel et collectif
a) Il s’agit d’un “pouvoir” de décision en amont et aval du processus productif, concernant d’une part quoi produire et comment - selon quelles priorités, quels rapports humains, quelles conditions sociales et écologiques de production ; mais aussi comment est “appropriée” cette production - les conditions de sa distribution.
L’évocation ici de l’amont et de l’aval du processus productif indique qu’il y a vérification des résultats et qu’il peut y avoir des rectifications nécessaires, des insatisfactions, tant dans les conditions de production qu’eu égard à la satisfaction des besoins au sens le plus large et inclusif. Il s’agit donc d’ouvrir les débats sur le “comment” répondre à des déséquilibres et insatisfactions de tous ordres (matériels ou plus qualitatifs) sans modèles dogmatiques sur les moyens. Les buts émancipateurs, autogestionnaires, doivent être explicites. Mais il est essentiel d’emblée de reconnaître comme “normaux” des écarts, des tensions et conflits, en cherchant les moyens de les exprimer et de les résorber, sans illusions sur une société sans conflits.
b) Le “pouvoir” autogestionnaire - conçu comme droit de contrôle et décision sur tout ce qui concerne l’individu, de tout genre - est “autonome” : il est d’abord individuel. L’émancipation n’a pas de sens sans libertés et moyens individuels de peser sur tous les choix combinés qui concernent l’individu en question.
Mais chaque individu à diverses facettes : outre son “genre”, son âge, sa culture, sa nation d’origine ; il/elle est impliquéE dans la société dans des activités d’apprentissage, de production, de consommation, de démocratie citoyenne à divers niveaux, etc.
Cette implication dans la société n’est pas “atomisée” et purement égoïste - contrairement à ce que “représente” l’homo-economicus individuel des modèles néo-classique, même s’il est juste de réfléchir de façon “concrète” aux “intérêts” individuels qui forgent les comportements. Mais ne pas les idéaliser (dans leur générosité) est aussi important que de ne pas sous-estimer les transformations profondes de comportements associées à la “praxis” sociale, à la fois aux solidarités ressenties envers les communautés diverses dans lesquelles on s’insère, mais aussi à l’élargissement des horizons de pensée et d’aspiration associé à l’expérience, aux débats pluraliste, à la rencontre des “autres” - aux luttes autonomes.
c) La transformation (imprévisible, complexe, mais souhaitable) des comportements dans un sens altruiste soulève la question des “stimulants” (matériels et immatériels) adéquats à un projet de société socialiste, respectant à la fois pleinement l’autonomie individuelle et la satisfaction solidaire des besoins : j’ai souligné plus haut la nécessité de penser une telle société avec des conflits ; cela signifie que la solution fondamentale de ces conflits, cohérente avec les finalités émancipatrices d’une telle société, doit articuler “buts et moyens” de façon que les buts eux-mêmes deviennent des moyens. Autrement dit, les mécanismes d’expression et de dépassement (provisoire) des conflits, doivent être basés sur les droits autogestionnaires, les libertés : la liberté d’exprimer de façon individuelle et collective des besoins non satisfaits, des critiques sur des rapports de dominations sous-estimés ou imprévus, cette liberté est un “moyen” qui influe sur la perception des enjeux, modifie la conscience individuelle et collective ; elle doit déboucher sur des procédures démocratiques de gestion des problèmes rencontrés. Les conflits exprimés et les débats donnent évidemment un poids essentiel (voire des droits de veto) aux catégories sociales insatisfaites ou qui se sentent opprimées - mais il revient à l’ensemble de la société concernée de trouver à tâtons (et par rectification), les réponses.
Le pouvoir autogestionnaire est donc à la fois individuel et collectif – l’émancipation de chacunE sera la condition de l’émancipation de touTEs, dirions nous pour prolonger le Manifeste Communiste.
2- Pas de “hiérarchie” et de rapports de domination - mais responsabilités mutualisées.
a) Dès qu’on s’éloigne de l’individu (et du local ?) on prend le risque de tomber dans une hiérarchie au sens d’un rapport de domination, rapport d’exploitation ou encore bureaucratisme : il y a alors, dans divers domaines, ceux/celles qui exécutent et ceux/celles qui décident ; mais aussi ceux/celles qui sont cantonnéEs dans des tâches ingrates, et les autres. Ces rapports-là, sous leurs diverses formes (exploitation de classe, rapports d’oppression nationale, de genre, ou autres rapports de domination bureaucratiques), doivent être évidemment explicitement combattus comme contradictoires avec des finalités et droits autogestionnaires. L’analyse concrète de l’apparition, du maintien de tels rapports renvoie au point évoqué précédemment : la société ne sera jamais “parfaite” et sans conflits. Il n’y a pas d’autres moyens de “garantir” un “sens” (direction et finalité) émancipateur de l’organisation sociale qu’en garantissant le droit d’organisation et d’expression pluraliste des conflits, d’une part ; mais aussi en explicitant - de façon “constitutionnelle” - ces finalités, ces droits, pour mettre au cœur des réflexions, les moyens de “surveiller” et combattre toute résurgence ou apparition de rapports de domination.
Mais toute “division du travail” si elle est cristallisée durablement, toute spécialisation excessive, toute inégalité culturelle durable, peut s’apparenter voire s’identifier à une hiérarchie ; elle peut être même valorisée sur le plan matériel ou relationnelle de diverses manières possibles. La rotation et le partage des tâches (y compris au foyer), la révocabilité des élus, la formation permanente pour réduire les distinctions entre travail manuel et intellectuel - la baisse massive du temps de travail dégageant aussi du temps pour la participation aux activités de gestion démocratique, mais aussi un contrôle collectif des critères de rémunération valorisant/compensant plutôt les tâches ingrates : ce sont là autant de mesures qui peuvent être consciemment adoptées pour satisfaire les buts émancipateurs et donc démocratiques évoqués.
Les écarts de revenus et leurs critères doivent faire partie de l’analyse publique et de choix concertés. Au sein même des entreprises de biens et de services ; l’organisation du travail doit refléter ces objectifs - avec élection des responsables, sur la base à la fois de compétences acquises et de relations de confiance, révocabilité et contrôle : les mandats déterminés en assemblés doivent faire l’objet de bilans et rectifications.
b) Mais il faut distinguer donc “hiérarchie” et “responsabilité” dans le cadre d’une réflexion sur l’organisation du travail et les stimulants.
Tout le monde n’a pas envie d’être “responsable” de façon directe, de tout... On peut avoir envie de concentrer son énergie créatrice dans des activités ludiques et hors “emploi” - et se contenter d’un contrôle des responsables sous des formes et selon des périodicités à déterminer collectivement en fonction des domaines à gérer. La prise de responsabilité est, en elle-même, une source de difficultés, certes, mais aussi de valorisation et d’intérêt personnel pour un travail créatif.
La rémunération “selon le travail” n’implique pas de payer moins un “travail simple” sans grande qualification que celui d’une personne qualifiée assurant une activité responsable de direction d’une entreprise ou d’un service. On peut même justifier au contraire des compensations pour un travail ingrat qu’on ne peut immédiatement faire disparaître.
Là encore l’analyse concrète et collective - évolutive - est nécessaire : si la formation permanente, les études, sont assumée financièrement par la collectivité, d’une part et si d’autre part on ne manque pas de personnel qualifié, les écarts de rémunération devraient être réduits. La stimulation de la responsabilité peut être la responsabilité elle-même, son prestige social et convivial acquis. Les stimulants matériels devraient être associés à des efforts collectifs, poussant au partage des connaissances et compétences, à l’entraide solidaire et à la coopération - et non pas à la compétition individuelle : les gains de productivité ainsi acquis devraient être associés à une meilleure satisfaction des besoins et organisation du travail : la baisse et réorganisation du temps de travail/loisir peut être pleinement intégrée dans la réflexion sur les stimulants ayant de telles finalités [4].
c) Des “observatoires” des inégalités, avec dimensions de genre, de race, et autres possibles sources d’inégalités, peuvent être établis à divers échelons et mis au services des associations et des institutions démocratiques.
Ils doivent permettre non pas un “aplatissement” des différences entre individus ou une uniformisation dogmatique et normative des choix, mais au contraire une grande diversité et souplesse. Le but des observatoires des inégalités et des débats publics est d’empêcher que des différences ne se transforment en inégalités et rapports d’oppression - généralement soulignés par des déséquilibres matériels (dans l’accès aux droits reconnus) et des mouvements protestataires.
Des enquêtes réalisées périodiquement, l’analyse pluri-dimentionnelle (quantitative et qualitative) des inégalités, appuyée sur des indicateurs et sondages, doivent être publiques. De même les observatoires doivent pouvoir être sollicités ou contestées par des associations ou institutions pour examiner un problème spécifique.
3- Démocratie directe ou/et représentative - institutions démocratiques socialisées
Il ne faut exclure aucune forme de représentation, mais encadrer chacune d’objectif, de critères explicites et de bilans périodiques. La critique concrète du parlementarisme dans les sociétés capitalistes ne peut être séparée de l’analyse des rapports de classe et des inégalités ainsi que de l’analyse des rapports de production/distribution qui conditionnent et limitent la démocratie politique représentative.
Une démocratie autogestionnaire socialiste ne s’arrête jamais aux portes des entreprises et de tous les aspects de base de la vie sociale. Les formes de contrôle direct ou sociaux spécifiques (chambres ad hoc dotées de droits spécifiques de veto, par exemple) peuvent être articulées à des formes “parlementaires” de représentation des citoyens “en général”.
“La politique” doit prendre un sens plus large - associé aux grands choix de société et aux moyens pour les satisfaire - et ne plus être l’apanage de “partis” ou d’un appareil d’Etat séparé de la société ; elle doit pénétrer toutes ses sphères publiques (et l’arrivée sur la scène publique d’un enjeu “privé” dépend de l’émergence d’une insatisfaction majeure et partagée, ou/et d’un rapport d’oppression, dénoncés par les intéresséEs).
Mais il faut mettre à plat - notamment avec les courants anarchistes, les débats sur les institutions. La critique du parlementarisme n’implique pas forcément qu’il faille supprimer les parlements ; pas plus que la critique du rôle de la monnaie et des rapports marchands dominants dans le capitalisme ne signifie qu’on puisse se passer de toute monnaie et de tout marché. Il en va de même des partis, syndicats, associations et autres institutions qui n’échappent à la bureaucratisation : la remise en cause de cette dernière passe-t-elle par la suppression de ces institutions ? Les réseaux et la démocratie directe ne connaissent-ils pas eux aussi des rapports de dominations (non codifiés et non contrôlables), alors qu’il n’est pas impossible de les combattre consciemment dans les partis, syndicats et associations. Finalement, peut on traiter de la même façon des institutions organiquement associées à la défense répressive de l’ordre bourgeois (son armée, sa police, l’OTAN...) ou de ses rapports de domination financiers (FMI, etc) et des institutions du type parlements ou encore ONU ? La nécessaire analyse critique de ces dernières dans le contexte capitaliste, n’implique pas que l’avenir soit à leur suppression.
Bref il faut distinguer les institutions qui devront disparaître avec l’ordre capitaliste, celles qui seront radicalement recomposées et celles qui pourront être inventées et mise au service de la démocratie directe - qui doit primer en dernier ressort. En mettant à plat le débat sur “les buts et les moyens” de façon non dogmatique mais appuyée sur l’expérience, il faudra aussi penser un “dépérissement de l’Etat” en tant qu’organe répressif de classe, ou au-dessus des sociétés, comme des rapports de marchés avec une combinaison de transformations radicales et de “socialisation” (contrôle social) de toutes les institutions - y compris plan, marché et monnaie, autant que diverses formes de propriété et d’associations [5].
II- Dépasser les faux dilemmes, incorporer les acquis de l’expérience
Synthétiquement ici, il faut distinguer ce qui doit l’être mais rompre avec des oppositions qui demandent à être dépassées sous une forme à débattre.
1- Luttes autogestionnaires dans/contre le capitalisme - et système autogestionnaire global.
Faut-il opposer les unes à l’autre ? Oui, et non.
Oui, parce que l’oubli (ou la sous-estimation) du pouvoir capitaliste réel dans ses déclinaisons institutionnelles et socio-économiques, comme contrainte fondamentale limitant les droits et rapports autogestionnaires, conduit à des impasses contre-productives. L’enlisement dans le capitalisme, la perte de substance de “l’esprit” initial de certaines coopératives, l’auto-exploitation des travailleurs - et parallèlement l’approche négative des résistances non autogestionnaires considérées comme non subversives : ce sont des défauts ou des risques réels. On les retrouverait aussi dans l’absence d’analyse critique des financements dirigés vers les micro-entreprises et ménages défavorisés, éventuellement présentés par la Banque mondiale comme “solution à la pauvreté” tournées vers le “workfare” et autoentrepreneuriat, mais qui sont des pièges : taux d’intérêt qui deviennent usuraire et enfoncement dans une pauvreté et une dépendance sans fin.
L’autogestion dans le capitalisme est si difficile à appliquer qu’il peut être plus pertinent (comme des travailleurs argentins le suggéraient) de revendiquer des nationalisations sous contrôle ouvrier. On risque sinon de se concentrer sur des cas très marginaux ou exceptionnels et de renoncer à des luttes essentielles à la défense des travailleurs et de leurs droits mais qui ne peuvent pas prendre des formes “autogestionnaires” ou coopératives au sein d’une entreprise données (je reviendrai plus loin sur d’autres potentiels à ne pas négliger). Le capitalisme impose sa cohérence de “droit de propriété” et il exige de pouvoir “vendre” des produits - ou d’être auto-suffisant ou “assisté” pour survivre : l’autogestion de territoires et communes agricoles, les petites productions marchandes, les produits finis ayant une clientèle populaire sont des exemples plus favorables à des luttes coopératives/autogestionnaires. Mais les firmes multinationales ont appris à compartimenter leur production et à délocaliser des “ateliers” ou sous-traitances, à briser la cohérence du processus de production local : vendre une pièce de moteur n’a pas de “sens” autogestionnaire...
Non, parce que l’attente du “Grand Soir” de la révolution pour expérimenter des alternatives ébauchées dans/contre le capitalisme serait un autre suicide ; parce qu’aussi des cas même partiels peuvent devenir populaires et démontrer d’autres possibles ; parce qu’enfin la lutte contre la bureaucratisation des expériences révolutionnaires sera d’autant plus efficace que le nouveau pouvoir s’enracinera dans des expériences d’auto-organisations/autogestion les plus longues et poussées possibles.
Il s’agit aussi d’une composante du rapport de force social et idéologique contre le capitalisme, une base d’une contre-hégémonie contestataire des critères dominants.
Mais la conscience des limites imposées par le capitalisme peut être un facteur de radicalité de l’expérience : elle doit être en permanence explicitée et développée - pour radicaliser les exigences, ne pas accepter comme “idéaux” des rapports sociaux très imprégnés des rapports d’argent et de concurrence marchande, chercher à tout prix les liens externes - territoriaux, sociaux, de branche, internationaux - qui aident à résister et à penser autrement.
2- le passé/présent.
Il faut certes réinventer le langage des luttes dans l’horizon des expériences actuelles - et il n’est heureusement pas nécessaire de connaître et partager le bilan des expériences passées pour remettre en cause le système capitaliste et s’engager vers d’autres possibles.
Pourtant, loin de dénigrer l’expérience passée globalement présentée comme “échec”, il est essentiel d’en incorporer les leçons comme “nôtres” : l’attitude de bien des militants et intellectuels anti-staliniens, rejetant en bloc le “socialisme réel” a le danger paradoxal de faire le jeu du rejet en bloc “anti-communiste” qui fait du capitalisme le seul horizon de pensée et d’expérience possible.
L’écart entre le “socialisme réel” et les idéaux émancipateurs socialistes et autogestionnaires ne doit pas être pensé comme “extérieur” à l’expérience anti-capitaliste, mais interne : la cristallisation bureaucratique stalinienne est certes “exceptionnelle” dans sa dimension totalitaire et le rôle international u stalinisme au sein du mouvement ouvrier ; mais le bureaucratisme est un problème “organique” du mouvement ouvrier (politique, syndical, associatif) au cœur même du capitalisme et après la prise de pouvoir. Ne pas le comprendre revient à ériger en “nouvelle classe” ou en simple “bourgeoisie” (donc externe au mouvement ouvrier) un problème d’abord endogène, que “nous” devons maitriser dans nos propres rangs... Il menace toute organisation révolutionnaire, si anti-stalinienne et anars soit-elle.
Dire cela n’empêche pas d’analyser le fait que ce processus bureaucratique peut certes tendre vers la cristallisation d’une nouvelle classe ou bourgeoisie et qu’il recouvre des relations de conflits ET d’intérêts communs avec la “bourgeoisie réellement existante” et son système. Mais cela impose d’une part une plus grande profondeur auto-critique du mouvement révolutionnaire (y compris de la phase pré-stalinienne de la révolution russe), et surtout d’analyser toute une série de conflits et de contradictions comme “nos” problèmes, ceux que toute expérience révolutionnaire devra résoudre.
Cette approche/appropriation de l’expérience passée est particulièrement importante pour la révolution yougoslave : une révolution sociale et politique où un parti communiste (après la stalinisation de l’URSS) est force dirigeante qui introduit l’autogestion généralisée pour la première fois dans le monde. L’approche dogmatique de cette expérience renvoyée au “capitalisme d’Etat” (ou à une “nouvelle classe”) conduit à ne pas analyser comme “nos problèmes” la difficulté d’organisation d’un système d’autogestion - et à rejeter comme sans intérêt les élaborations des courants marxistes autogestionnaires et critiques : il n’y a rien à apprendre de tout cela puisque c’est le capitalisme (un capitalisme stalinien), et les critiques internes sont au mieux des couvertures réformistes d’un système qu’il faut globalement rejeter.
Contre ces comportements intellectuels et politiques, on ne peut bien sûr croire que l’expérience yougoslave pourrait jouer aujourd’hui un rôle direct dans la conscience large des nouveaux mouvements sociaux de résistance au capitalisme - pas plus d’ailleurs que la Révolution d’octobre ou la Commune de Paris : ce sont désormais des expérience d’un passé révolu. Mais elles comptent pour l’éducation et la réflexion politique.
3- Quelques apports de l’expérience yougoslave.
Les principaux apports de la réflexion de l’Ecole de Praxis (courant marxiste menant la lutte dans le cadre du système autogestionnaire mais en le critiquant au nom des idéaux communistes) mis en avant contre les réformes marchandes des années 1960 :
a) Propriété sociale - contre le dilemme propriété nationale étatisée ou autogestion entreprise par entreprise (reliée par le marché et les banques gérant le surplus) : la socialisation de la propriété résiste à la fois à l’aliénation de l’autogestion (et de la propriété) par l’Etat et par le marché. Elle transforme l’autogestion en droit de gestion de cette propriété à une échelle sociétale - et pas seulement d’entreprise. Certes, elle est “à tous et à personne” dit-on parfois pour critiquer l’absence de critères et mécanismes précis de gestion ) divers niveaux articulés - mais c’est un sujet ouvert à l’expérience, à la réflexion et au débat sur lequel je reviendrai à propos de la notion de “Communs” (ou “Biens communs”), plus loin. Les propositions exprimées par le courant Praxis et en partie reprises dans les amendements à la Constitution de 1974 rédigée par E. Kardelj, sont des avancées dans la réponse à cette question. Je les résume dans les points suivants.
b) Les “SIZ” (selon les initiales serbo-croates) ou “Communautés d’intérêt autogestionnaires” associant notamment producteurs, usagers d’un service/produit donné : établis pour la gestion des services de santé, d’éducation, de crèches, de transport notamment et à diverses échelles territoriales, ces “Communautés d’intérêt” autogèrent donc un budget commun et la façon de produire un bien commun - notamment un service. C’est le dépassement nécessaire d’une approche purement centrée sur la production et qui permet une pression des usagers sur la qualité et l’organisation du service, en dialogue avec les travailleurs de ce service. Le SIZ peut intégrer aussi des représentants des pouvoirs publics de l’échelon considéré et des associations ou syndicats.
c) Les chambres de l’autogestion à divers niveaux territoriaux. Ces chambres ad hoc en pratique introduites dans la Constitution de 1974 seulement au niveau des communes et des républiques, auraient eu une pertinence importante au plan fédéral pour élargir l’horizon de gestion dans une approche articulée des besoins d’un territoire donné. La composition de ces Chambres doit permettre des liens avec les divers centres de production autogérés de biens et services sur le territoire concerné ; elle peut combiner des formes de délégation des travailleurs, usagers, syndicats, associations diverses socio-économiques : on peut imaginer l’intérêt d’une approche écologique, féministe, etc. Ces chambres sont évidemment articulées sur le dernier aspect de la “mutualisation” des droits autogestionnaires : la planification.
d) La planification autogestionnaire ; elle peut se concevoir à divers niveaux territoriaux avec des modalités de coordination. Par essence elle vise à réaliser plusieurs dimensions évoquées concernant la nature du statut/des droits autogestionnaire/s.
• Les droits individuels de décision et contrôle autogestionnaires ne doivent pas être tributaire du hasard d’un emploi dans une entreprise ou service donné : tous ceux et celles qui sont concernéEs par la production et la gestion d’un bien et service ont leur mot à dire (priorités, répartition des financements, critères, etc.) : tous les membres de la société peuvent être impliqués dans les procédures de discussion de la planification autogestionnaire - et l’on peut concevoir un creuset spécifique de réflexion et élaboration dans le cadre des Chambres basées sur des représentations de collectifs, même si les grands choix sont ensuite soumis à tous les citoyens.
• Réciproquement, il n’est pas juste que les problèmes rencontrés dans une entreprise ou un secteur donné ne soit de la responsabilité ou à la charge que des travailleurs/leuses de cette entreprise : ces dernierEs ont une responsabilité première dans les choix de gestion de leur entreprise. Mais ceux ci peuvent être dépendant de choix sociétaux (produire ou pas du nucléaire, assurer un équilibre d’emplois et d’activités sur un plan régional, assurer la conversion écologique des transports, etc...) et d’un principe de refus du chômage.
• Aujourd’hui il va de soi que la planification autogestionnaire doit à la fois incorporer des droits sociaux et des objectifs de reconversion radicale des production en fonction de finalités écologiques [6].
4- Les droits sociaux doivent être dissociés en partie de l’emploi - ceci peut être prise en compte dans le cadre d’une démarche transitoire anti-capitaliste vers une société autogestionnaire.
L’expérience yougoslave autogestionnaire s’est heurtée à une contradiction et un échec majeurs : l’incompatibilité d’un système de droits autogestionnaires liés à l’emploi avec les exigences de restructuration de l’emploi et de plein-emploi.
Le “chômage socialiste” qu’a connu la Yougoslavie, doit être analysé comme tel et non pas avec les concepts et critères d’une société capitaliste. C’est à nouveau “notre problème” un des problèmes essentiels à résoudra dans une société sociale, et non pas la preuve que la Yougoslavie titiste était capitaliste.
Pour résoudre ces problèmes, il faut affirmer simultanément : le droit au travail (distingué d’un emploi spécifique) et la remise en cause radicale du rapport de domination (donc du statut) de salarié : donc des droits associés au statut d’autogestionnaire donc au contrôle des moyens de production par les travailleurs/usagers eux-mêmes.
La remise en cause du rapport salarial comme rapport de domination de la propriété capitaliste, ne signifie pas la fin d’un “revenu” monétaire (appelé ainsi pour le distinguer du “salaire”) associé au travail ; elle ne signifie pas non plus le rejet d’une souplesse nécessaire dans l’emploi (à la condition qu’elle soit recherchée par les travailleurs) : on peut vouloir changer de poste et d’organisation du travail ; mais on peut aussi souhaiter la permanence d’un poste de travail. Ceci relève à la fois de choix individuels et collectifs : la réorganisation du travail peut être socialement fondée ou contestée comme un gaspillage ou en fonction de tel ou tel aspect négatif impliquant des reconversions.
La compatibilité de ces objectifs simultanés implique que les reconversions sont assumées socialement, collectivement (donc organisées) et que les revenus et droits sociaux de base (protection de la santé, droits à l’éducation permanente sur toute la durée de vie, protections familiales, etc) ne sont pas perdus quand on change d’activité. On peut d’ailleurs envisager la notion d’emploi (social) ou d’activité sociale au sens large reconnu par la société intégrant le temps de formation (qui peut être étalé sur toute la durée de vie), le temps nécessaire aux activités démocratiques de gestion, le temps imparti aux tâches domestiques et de prise en charge des enfants, etc. Le revenu de base et les droits sociaux peuvent être associés à cette “activité sociale” qui peut passer d’un emploi à un autre - ou à une formation, ou encore une autre tâche collectivement reconnue.
Ces enjeux se posent aussi dans les luttes anti-capitalistes, contre la précarité imposée qui vise (du point de vue capitaliste) à diminuer les avantages sociaux versés. Il faut au contraire (avec les juristes du travail) élaborer un code du travail qui supprime le “stimulant” capitaliste de la précarité : celle-ci doit coûter (en terme de protection sociale) à l’employeur autant qu’un emploi non précaire...
La lutte anti-capitaliste au plan social et idéologique doit remettre en cause le traitement inhumain des travailleurs comme marchandises “jetables” (pour comprimer les coûts) : un “droit” de propriété et un statut social alternatif doit être ébauché contre le droit bourgeois, pour le délégitimer. Mais il s’agit d’une lutte d’ensemble qui se heurte aux pleins pouvoirs institutionnels, militaires, juridiques, économiques du capital à divers échelon. Le “contrat” de travail est évidemment profondément biaisé et inégal face à ces droits de propriété juridiques et réels du capital. Il faut contester ces droits. Des avancées sont possibles.
Mais il est clair qu’une des transformations radicales que vise et permet la prise de pouvoir révolutionnaire est d’établir une nouvelle Constitution par une assemblée constituante : celle-ci doit changer “les règles du jeu”, les droits sociaux de base, les statuts des êtres humains. C’est là que doivent être concrétisées et défendues les finalités autogestionnaires, telles que des expériences partielles les auront ébauchées.
III- Reformulations stratégiques du combat autogestionnaires
Les “Biens Communs” enjeu stratégique, du local au planétaire...
1- Chaque période historique doit trouver ses références et ses “mots” pour dire de nouveaux projets qui se dissocient des échecs passés sans briser les liens de continuité des grandes luttes émancipatrices et des utopies concrètes. L’enjeu principal est celui du rapport de force en mesure d’établir une contre-hégémonie à celle qui domine, en l’appuyant sur des “blocs historiques” de résistance.
On ne peut penser une alternative et stratégie autogestionnaires, de fait “communiste”, au monde actuel en s’appuyant sur ce que fut le “communisme réel” qui n’est pas un “modèle” ; mais la simple accumulation d’expériences partielles profondément contraintes et étouffées par un environnement redoutable est également une impasse, une voie peu crédible où les efforts militants risquent de s’essouffler rapidement.
Il ne faut pas y renoncer pour autant. Mais il faut ne pas opposer des cheminements multiples et apparemment contradictoires (pratiquement difficiles à concilier quand on n’a guère de forces). Quelle que soit la difficulté, nous devons “penser” le passé/présent, l’individuel/collectif, le local/planétaire et agir en cohérence avec la nécessité de maîtriser ces tensions.
2- L’enjeu des “Biens Communs” aide à cela - et à reformuler, avec des mots “nouveaux” d’anciennes et durables utopies “communistes” - y compris à comprendre les échecs passés. Il permet d’élargir les terrains et thèmes de mobilisations, dans une optique autogestionnaire au sens large défini plus haut : usagers et producteurs, à diverses échelles territoriales, et articulant explicitement une remise en cause de statuts sociaux inhumains. Il exprime l’exigence du XXIè siècle de droits sociaux universels fondamentaux en y intégrant l’exigence d’être co-propriétaire, pleinement responsable des richesses humaines produites, co-solidaires dans la protection de l’environnement. Il ne s’agit pas d’abstractions mais d’enjeux concrets.
La notion de “Communs” (en anglais), ou de “biens communs” émerge de plus en plus à la fois des recherches théoriques [7] – comme celles d’Elinor Ostrom sur les communautés indigènes – et des expériences tournées vers la gestion démocratique de biens naturels – comme l’eau ou les terres – ou de biens (matériels ou immatériels comme les services) créés par l’activité humaine. Ces réflexions qui se répandent actuellement sous tous les continents dans les mouvements de résistance, se dressent contre les interprétations néo-libérales qui ont cherché à “démontrer” que seule la propriété privée des biens génère une gestion efficace. La “tragédie des biens communs” [8], article écrit par Garrett Hardin en 1968, associait ainsi à toute propriété collective une supposée inefficacité organique. Cette “tragédie” serait due à la “déresponsabilisation” qu’impliquerait toute propriété sociale (“à tous et à personne” comme on disait en Yougoslavie) - chacun se renvoyant à d’autres la charge de prendre soin de la propriété commune. Et bien des critiques libérales de l’expérience yougoslave, et plus largement du “socialisme réel” ont mis l’accent sur des comportements réels de gaspillage ou absence d’entretien des biens publics illustrant en effet cette “tragédie”. Elle n’est pourtant pas fatale et ses causes sont au cœur de la réappropriation nécessaire du bilan critique de ce passé : l’absence de responsabilité des autogestionnaires, des travailleurs et usagers de la propriété collective, théoriquement “propriétaires”, mais pratiquement subordonnés à la gestion appartenant au parti/Etat régnant au nom des travailleurs, sur leur dos.
Mais il n’y a là rien de fatal, et les expériences étudiées notamment par Elinor Ostrom permettent de dégager des critères qui entrent en résonance avec les remarques faites précédemment : les comportements irresponsables peuvent être maîtrisés si émergent ce que l’on pourrait appeler en reprenant le vocabulaire yougoslave évoqué plus haut, les “communautés d’intérêt autogestionnaires” qui déterminent les critères mêmes de la gestion et en contrôlent l’application. Cette idée générale peut s’étendre à divers niveaux d’application. Elle implique que toutes les personnes concernées par la gestion d’un bien donné soient responsabilisées dans la détermination des choix, leur contrôle, leur ajustement à diverses échelles territoriales.
Certes, il faut une analyse concrète des situations concrètes. Les problèmes de gestion ne sont pas les mêmes si le bien à gérer est “partageable” et matériel (comme une terre ou des ressources naturelles d’eau ou d’énergie) - et épuisable ; ou s’il est d’autant moins coûteux à produire qu’il est approprié par touTEs sans que l’usage individuel empêche l’usage collectif : la satisfaction de chacunE augmente au contraire avec un logiciel libre collectivement géré par exemple. Les caractéristiques de la “propriété intellectuelle” sur les connaissances scientifiques et médicales, ou culturelles, soulignent que la privatisation est contre-productive pour l’intérêt collectif. Mais on peut aussi montrer des articulations positives entre intérêt individuel et collectifs en trouvant les stimulants et mode de gestions adéquats des entreprises autogérées, des services publics, voire d’une “communauté sociétale” toute entière (dans une région, avant de pouvoir s’emparer d’un pouvoir plus large...). Autrement dit la “gestion des Communs” permet aussi d’articuler la réflexion et l’action des luttes dans/contre le système capitaliste. Ce faisant, il s’agit d’inventer concrètement d’autres possibles. Ils ne peuvent trouver leur cohérence et efficacité sans que les luttes soulèvent - et déterminent - la question du "pouvoir” donc des droits reconnus.
3- Cerner l’enjeu stratégique des privatisations généralisées du XXIè siècle.
L’expérience du capitalisme actuel montre que rien, aucun bien naturel, aucun produit voire aucun être humain voire morceau d’être humain, n’est en soi (ou “par nature”) protégé des menaces de l’appropriation prédatrice, individuelle du “brevetage” capitaliste. La privatisation par ”dépossession” a été dénoncée par David Harvey comme nouvelle phase et multiplication de nouvelles “enclosures” (évoquant les clôtures associées à la privatisation des terres, en Angleterre aux 16è-17è siècles). Cette nouvelle vague prédatrice marquant la phase néo-libérale du capitalisme financier depuis les années 1980 s’est étendue dans toutes les sphères et régions du monde en s’articulant sur les caractéristiques de base de la “reproduction élargie” du capital pour plus de profit.
Cette logique s’est imposée d’abord au cœur même des pays impérialistes, sous le slogan “TINA” (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher, avec la destruction de l’Etat social et les vagues de privatisations : celles-ci se poursuivent contre les protections collectives du code du travail et tout ce qui n’a pas été encore privatisé, “à la faveur” des diverses phases de crise, notamment en Europe. Cette destruction sociale s’appuie sur ce continent sur la destruction de l’ancien système de “Socialisme réel” par des privatisations forcées d’industries entières et de coopératives agricoles accompagnant la transformation du rôle de la monnaie et des marchés. Parallèlement, toutes les ressources naturelles des pays du Sud qui avaient été nationalisées avec la décolonisation, sont devenues la proie des multinationales sous pression du FMI et de l’OMC. Il y a donc bien un enjeu spécifique et historique des “privatisations” aux XXIè siècle - avec ses dimensions dogmatiques néo-libérales appuyées par des institutions puissantes, dont les dimensions anti-sociales sont combinées avec une crise environnementale majeure : les “dépossessions” combinées à la destruction de toute forme de protection sociale collective des travailleurs sont la réalité de ce capitalisme globalisé depuis le tournant néo-libéral du dernier quart du siècle précédent. Répondant à une crise de profit et de l’ordre mondial capitaliste, ce cours néo-libéral a été accentué radicalement par le basculement de 1989-1991 de l’unification allemande et de démantèlement de l’URSS. Ses acteurs (politiques, financiers, idéologiques) assument aujourd’hui plus explicitement les caractéristiques dogmatiques de l’”ordo-libéralisme” imposant ses règles par des institutions fortes radicalement contradictoires avec toute démocratie, tant les effets de ces politiques sont destructeurs de droits sociaux et de l’environnement. La mondialisation de ces logiques anti-sociales, anti-environnementales et anti-démocratiques s’accompagne de révolutions technologiques qui transforment les relations mondiales de production et de distribution. - ce qui rend souvent impuissantes les résistances purement locales.
4- Réponses autogestionnaires en défense des Communs, du local au planétaire
Mais ces transformations créent aussi une mondialisation de liens et de résistances. Certains enjeux fondamentaux sont devenus réellement planétaires - la crise écologique en premier lieu ; mais aussi les enjeux de la faim ; de la pauvreté, de l’accès à l’eau ou à l’éducation comme à la santé ou au logement - des droits fondamentaux acquis dans les luttes du XXè siècle sont remis en cause. C’est pourquoi il faut s’emparer de la lutte pour la délégitimation politico-morale de ce processus de “dépossession”, transformer les révoltes en luttes collectives ancrées sur des “biens communs” associés à des droits : le droit à l’eau, le droit au logement, à la culture, à la santé, à l’éducation – à un revenu et un statut “digne”.
Ces droits se heurtent à la destruction des ressources fiscales des Etats - un autre “bien commun” comme l’est aussi la monnaie en tant que bien public : la transparence des comptes et la subordination des financements au contrôle public, social, doivent s’imposer aussi dans la lutte contre le sauvetage des banques privées par les Etats sur le dos des contribuables, et dans celle contre les crédits toxiques des banques qui piègent les municipalités appauvries ou les ménages précarisés. Les droits de base se heurtent aussi aux spéculations financières sur les matières premières, l’eau, l’immobilier, des produits agricoles ; ils se heurtent aux comportements et discours supposés “responsables” de firmes multinationales hypocrites et tentaculaires comme Vivendi ou Nestlé, protégées par de puissantes institutions et accords de “libre-échange” quand elles privent des millions de paysans pauvres ou d’habitants des quartiers pauvres de l’accès à l’eau.
Le sentiment d’urgence de la crise sociale et environnementale, la révolte contre l’injustice, la perception croissante d’intérêts sociaux conflictuels en jeu du local au planétaire, se sont exprimés notamment lors de la conférence Rio+20 durant laquelle le terme de « communs » est devenu un point de ralliement, exprimé dans le titre-même du « Sommet des Peuples pour la justice sociale et environnementale en défense des biens communs ». Les articulations entre luttes locales, nationales, continentales et planétaires existent aussi dans les combats en cours contre les accords de libre-change transatlantiques [9]. Une même logique est présente dans les combats qui veulent imposer la subordination du droit de la concurrence défendu par l’OMC, le FMI (ou la Commission européenne...) à des droits éthiques supérieurs reconnus dans la Déclaration Universelle des Droits Humains que l’ONU est supposée défendre. Certaines batailles ont été victorieuses contre le droit de la concurrence dans ’UNESCO en défense des biens culturels, ou encore avec l’OMS en défense de la santé contre l’OMC. Les subventions en défense de droits sociaux et environnementaux s’opposent à celles qui soutiennent les firmes agro-exportatrices, ces conflits sont exprimés par les Sans Terre brésiliens et relayés par Via Campesina dans les luttes mondialisées qui mettent aujourd’hui l’OMC en crise - mais avec le danger immédiat des accords bilatéraux destructeurs.
Séparer le local de ces enjeux internationaux est une impasse alors que de tels accords conditionnent étroitement ce que peuvent être les droits sociaux des entreprises, les critères de subventions et les moyens de résistance à la prédation des firmes multinationales. Réciproquement, les luttes “globales” n’auront de portée et de poids qu’en s’appuyant sur des rapports de force ancrés dans des mobilisations de masse des populations locales, nationales - stimulées par des victoires partielles, des résistances multi-formes qui se relient entre elles. De nouveaux “espaces publics” de contre-pouvoirs, de contre-hégémonie, d’invention de nouveaux droits et de nouveaux possibles doivent émerger dans/contre le capitalisme globalisé, reliés du local au planétaire, par le biais d’internet et des rencontres solidaires.
La (re)conquête des “Biens communs” se fera à la fois contre les nouveaux prédateurs et contre la gestion technocratique ou étatique passée ; la défense de la “dignité” comme un de ces “Biens communs”, associée à des droits de base, doit impliquer une pluralité d’acteurs notamment les “exclus” ou précaires du monde du travail. Cet enjeu-là, associé à la recomposition d’un tissu associatif et de vie commune (travail, consommation, loisirs, formation...), passe par la défense de droits humains et d’un statut des êtres humains de co-gestionnaire des richesses existantes aujourd’hui appropriées par le 1% qui gère la planète.
Catherine Samary
http://csamary.free.fr