Le retour sur la 1re guerre mondiale à l’occasion de son centième anniversaire est, aussi, l’occasion d’une démarche prospective pour tenter d’anticiper l’évolution du capitalisme mondialisé et les menaces de guerre qu’il contient, leur nature et conséquences du point de vue du mouvement ouvrier. La question est d’une brûlante actualité au moment où sous la pression de l’exacerbation de la concurrence internationale les tensions entre les grandes puissances débouchent sur des conflits armées.
Il apparait clairement aujourd’hui que les prétentions des libre-échangistes qui voudraient convaincre les peuples que la démocratie et la paix sont les enfants du commerce sont vaines et mensongères.
Jusqu’où ces tensions et conflits militaires peuvent-ils aller ? Quelles sont leurs conséquences possibles ? Leurs implications sur la vie politique à l’échelle nationale ? Peuvent-elles déboucher sur des conflits régionaux voire une IIIe guerre mondiale ? Comment rompre les logiques militaristes pour construire des relations internationales de coopération et de paix ? Quelle politique donc développer ?
Cette discussion porte sur l’évolution des conflits locaux ou régionaux et sur l’appréciation que l’on a de que l’on continue d’appeler l’impérialisme aujourd’hui. Nous avons eu beaucoup de débats sur l’évolution de la stratégie américaine, le sens de la politique d’Obama, l’évolution des rapports de forces internationaux mais sans discuter sur le fond, l’impérialisme aujourd’hui, c’est quoi ? Peut-on garder comme grille de lecture la notion telle que Lénine la définissait ? Ou telle qu’elle s’est définie durant la guerre froide et les luttes de libération nationale ? Les bouleversements qui se sont opérés depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et, surtout, depuis l’entrée en crise chronique de la domination des bourgeoisies impérialistes depuis la fin des années 60 et la vague des luttes de libération nationale.
La question est d’importance, les réponses fondent notre stratégie. Et force est de constater que nous sommes en retard.
La question prend une acuité plus grande avec « le grand basculement » du monde que nous venons de connaître avec la crise globale de 2008-2009.
Tensions financières, rivalités BRICS-FMI, Ukraine, Israël, l’Afrique du Sahel, Irak, Afghanistan, Mer de chine, Taïwan…la liste des conflits est longue.
L’Afrique est devenu un nouveau terrain de rivalités entre les USA et la Chine sur fond de montée des intégrismes religieux Al–Qaïda, EI, Boko Haram…qui deviennent autant de prétexte pour une intervention des grandes puissances.
Va-t-on vers une nouvelle guerre froide globale accompagnée d’une multiplication des conflits locaux contenus, la menace d’une troisième guerre mondiale est-elle bien réelle où une vue de l’esprit ?
L’histoire ne se répète pas mais les conditions géoéconomiques et politiques qu’elle a forgées conditionnent le cadre des évolutions à venir, il faut donc essayer de tracer les grandes lignes de forces qui ont bouleversé la société à l’échelle mondiale depuis son effondrement en août 1914.
La nouvelle période se définit par un nouveau stade de développement du capitalisme combiné à de nouvelles relations entre les vieux pays dominants et les nations opprimés. C’est cet ensemble qu’il s’agit de définir à la fois par rapport à l’histoire du capitalisme et, en conséquence, par rapport aux possibilités d’avènement d’une nouvelle organisation économique et sociale, le socialisme et le communisme.
Il ne s’agit pas d’une discussion académique autour d’une définition formelle de l’impérialisme encore moins de vouloir rejeter les conceptions marxistes du XIXe siècle pour céder à l’esprit du temps, mais bien de tenter de saisir les évolutions dans leur globalité.
Il n’y a pas d’autre voie pour définir notre propre stratégie pour ne pas nous enfermer dans la seule dénonciation anti-impérialiste.
Cela renvoie à un vaste travail collectif d’autant que ces évolutions ont façonné une multiplicité de situations et de rapports difficiles à saisir dans une définition. Néanmoins n’y-a-t-il pas des forces unificatrices de ces évolutions qui conditionnent les possibilités nouvelles des luttes d’émancipation ? Quelles sont les conséquences de l’intégration au marché mondiales des pays opprimés qui ont conquis leur indépendance ? De la nouvelle division internationale du travail ? De la prolétarisation de millions de paysans ruinés à travers le monde ? De la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale ? Du libéralisme étendu à la planète entière ? Du nouveau mode d’accumulation financière ? Peut-on dégager une unité de ces divers mécanismes à l’œuvre ? N’est-il pas nécessaire de dégager cette unité pour refonder le programme socialiste, lui donner sa dimension universelle ?
Si un début de débat a eu lieu au sein du mouvement révolutionnaire à l’occasion de la guerre en Irak ou autour des conceptions de Negri prétendant que les rivalités entre puissances impérialistes sont obsolètes vu les liens d’interdépendance et d’intégration transnationale, l’empire éclaté, il n’y a pas réellement aujourd’hui de conception acceptée des rapports entre libéralisme et impérialisme.
L’idée selon laquelle la suprématie des USA est telle que les autres puissances sont réduites à un statut de vassal de l’Empire qui gère les intérêts collectifs, l’ordre mondial, d’une certaine façon la réalisation de l’idée de Kautsky d’un super-impérialisme dont l’histoire a démontré la fausseté a pu un moment reprendre de la santé mais l’éclatement de la crise de 2008 l’a ruinée.
Il y a là un réel manque qui participe de la faiblesse globale du mouvement marxiste à construire une compréhension d’ensemble de la période, des perspectives qu’elle ouvre. Une telle compréhension globale ne peut en réalité s’élaborer qu’à travers une pratique internationaliste.
Ce texte se contente d’essayer de mettre le débat actuel en perspective par rapport au développement du capitalisme pour poser la question de la pertinence, aujourd’hui, de la notion d’impérialisme et discuter des évolutions possibles que peuvent connaître les tensions actuelles.
Le livre de David Harvey, « Le nouvel impérialisme », un récent article de Michel Husson « Notes sur l’impérialisme contemporain » [1]
1) Le cadre de lecture hérité des discussions sur la mondialisation impérialiste ou coloniale, l’impérialisme colonial
La première idée héritée de cette période est le lien indissociable entre le capitalisme et la guerre, entre la guerre et la lutte de classe que Jaurès avait démontré et illustré avec sa célèbre formule.
Mais c’est à Lénine qu’il revient de faire la théorie de cette idée, « la connexion inévitable entre les guerres et la lutte de classe ». Pour lui, plus que de dénoncer les rapports dits Nord-Sud, ou le pillage du tiers monde, il s’agit de démontrer que le développement impérialiste est lié à la nature même du capitalisme. On peut ironiser aujourd’hui sur la caractérisation de stade suprême, qui est l’expression d’une volonté révolutionnaire, sans doute la caractérisation de Anna Harendt de première phase de la domination de la bourgeoisie à l’échelle mondiale est-elle plus juste au regard de la suite.
Mais c’est Lénine qui en a donné le tableau le plus achevée avec « L’impérialisme, stade suprême » :
« Il nous faut maintenant essayer de dresser un bilan, de faire la synthèse de ce qui a été dit plus haut de l’impérialisme. L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général. Mais le capitalisme n’est devenu l’impérialisme capitaliste qu’à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d’une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur. Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique dans ce processus, c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste. La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général ; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence ; mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu’elle a fait et qu’elle fait surgir le monopole : les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d’une dizaine de banques brassant des milliards. En même temps, les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus ; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.
Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels ; et, d’autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s’étendant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d’un globe entièrement partagé.
Mais les définitions trop courtes, bien que commodes parce que résumant l’essentiel, sont cependant insuffisantes, si l’on veut en dégager des traits fort importants de ce phénomène que nous voulons définir. Aussi, sans oublier ce qu’il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d’un phénomène dans l’intégralité de son développement, devons-nous donner de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :
1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique ;
2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce « capital financier », d’une oligarchie financière ;
3) l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière ;
4) formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et 5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financiers, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes.
Nous verrons plus loin l’autre définition que l’on peut et doit donner de l’impérialisme si l’on envisage, non seulement les notions fondamentales d’ordre purement économique (auxquelles se borne la définition citée), mais aussi la place historique que tient la phase actuelle du capitalisme par rapport au capitalisme en général, ou bien encore le rapport qui existe entre l’impérialisme et les deux tendances essentielles du mouvement ouvrier. Ce qu’il faut noter tout de suites, c’est que l’impérialisme compris dans le sens indiqué représente indéniablement une phase particulière du développement du capitalisme. Pour permettre au lecteur de se faire de l’impérialisme une idée suffisamment fondée, nous nous sommes appliqués à citer le plus souvent possible l’opinion d’économistes bourgeois, obligés de reconnaître les faits établis, absolument indiscutables, de l’économie capitaliste moderne. C’est dans le même but que nous avons produit des statistiques détaillées permettant de voir jusqu’à quel point précis s’est développé le capital bancaire, etc., en quoi s’est exprimée exactement la transformation de la quantité en qualité, le passage du capitalisme évolué à l’impérialisme. Inutile de dire, évidemment, que toutes les limites sont, dans la nature et dans la société, conventionnelles et mobiles ; qu’il serait absurde de discuter, par exemple, sur la question de savoir en quelle année ou en quelle décennie se situe l’instauration « définitive » de l’impérialisme. »
Voilà résumée brillamment par Lénine lui-même sa conception.
Un siècle après, les choses ne sont pas restées égales, qu’en est-il de l’impérialisme aujourd’hui ? Deuxième phase d’expansion mondiale du capitalisme sous la houlette des USA ?
Le développement impérialiste a débouché sur une guerre mondiale de trente ans suivie d’une guerre de 20 ans contre le soulèvement des peuples coloniaux.
D’une certaine façon, la victoire du peuple vietnamien clos cette période de l’impérialisme, liquide le partage des territoires entre les puissances impérialiste.
Une nouvelle phase s’ouvre dès la fin des années 70, celle du libéralisme impérialiste, ou de l’impérialisme libéral, la deuxième mondialisation en réponse à la baisse du taux de profit qui voit le capitalisme s’imposer comme mode de production universel atteignant les limites de la planète.
On peut dire aujourd’hui que cet impérialisme domine après la fin des empires coloniaux et de l’ex-URSS dans le cadre d’une libre concurrence à l’échelle mondiale. La lutte pour le partage du monde a cédé la place à une lutte pour le contrôle des circuits commerciaux, des lieux de production, l’approvisionnement en Energie… Les logiques capitalistes et de contrôle territorial selon la formule de Harvey se combine sous d’autres formes.
Les monopoles se sont transformé en multi ou transnationales qui, si elles gardent une base nationale, sont engagés dans des relations d’interdépendances à l’échelle mondiale.
Le capital financier est devenu un capital spéculatif qui se détourne de plus en plus des investissements productifs
L’exportation des capitaux a pris un contenu particulièrement parasitaire avec la généralisation de la dette, la financiarisation de l’économie
Les cartels et unions internationales monopolistiques ont cédé la place à une libre concurrence à l’échelle mondiale
Le partage du monde a été remis en cause pour céder la place à une sorte de capitalisme de libre concurrence à l’échelle internationale structurée par les multinationales.
On pourrait essayer de définir l’impérialisme libéral ainsi :
a) un développement parasitaire du capital financier qui a donné naissance à une masse considérable de capitaux spéculatifs accompagné d’une diminution des investissements productifs. L’exportation des capitaux est passée au second plan au regard des investissements spéculatifs à travers le monde.
Ce caractère parasitaire s’exprime dans une économie de la dette et dans le fait que les USA sont importateurs nets de capitaux ainsi que les autres vieilles puissances impérialistes à des degrés variables.
Un développement d’une classe ouvrière mondiale avec une mise en concurrence des salariés à l’échelle de la planète remettant en cause les acquis de « l’aristocratie ouvrière » des vieilles puissances impérialistes.
Une nouvelle division internationale du travail à travers le développement économique des anciens pays coloniaux ou dominés, en particulier les émergents, mondialisation de la production et non simple internationalisation, « une économie mondiale intégrée » (Husson).
Les monopoles se sont développés en sociétés transnationales à l’activité industrielle, commerciale, financière diversifiée avec une concentration considérable au point que 147 multinationales possèdent 40% de la valeur économique de l’ensemble des multinationales du monde entier. Emergence d’une classe capitaliste transnationale ?
Le partage territorial du monde a été démantelé par les deux guerres mondiales et la vague de mouvements de libération nationale. La libre concurrence s’est développée à l’échelle d’un nouveau marché mondiale créant des liens d’interdépendance.
Les rivalités entre les vieilles puissances impérialistes sans cesser d’exister se sont adaptées à ce nouveau cadre sous la domination de l’hégémonie américaine.
b) L’instabilité croissante du monde qui en résulte conduit à une montée des militarismes, à des tensions croissantes qui contraint les USA à la fois à se redéployer militairement tout en cherchant à associer à leur politique de maintien de l’ordre mondial les vieilles puissances, l’Europe, le Japon et les pays émergents. Le redéploiement de l’Otan.
Dans le même temps qu’il atteint les limites de la planète, le capitalisme mondialisé provoque une crise écologique inédite d’une ampleur considérable qui pose la question de l’avenir de l’Humanité.
Depuis la crise financière de 2008, cette période du libéralisme international tend à céder la place à une phase de réorganisation des relations internationales alors que l’économie mondialisée échappe à toute régulation, aucune puissance n’en étant capable.
Nouvelle contradiction entre l’instabilité engendrée par la concurrence globalisée et la nécessité d’assurer un cadre commun de fonctionnement permettant d’assurer la production et les échanges.
La contradiction entre Etats national et internationalisation de la production, rapports de propriété et développement des forces productives poursuivent leur travail de sape du capitalisme.
Le capitalisme mondial a toujours fonctionné avec comme régulateur une puissance dominante, l’Angleterre puis les USA, le superimpérialisme de Kautsky reste une vue de l’esprit ainsi que l’empire de Negri. Ainsi est posée la question de la régulation du chaos de la concurrence capitaliste à l’échelle internationale. Nouvelle puissance mondiale ? La Chine ? Ou chaos sans fin ou, à la place du théâtre d’ombre de l’ONU, un réel parlement mondial des peuples régulant leur pacifique coopération ?
2) Quel leadership ou quelle gouvernance mondiale ?
En 30 ans, les rapports de force ont été bouleversés, les BRICS et principalement la Chine, l’ensemble des peuples se battent pour participer au développement mondial malgré la crise, même si les USA restent, dans tous les domaines, la première puissance mondiale, ils doivent composer, trouver des alliés. La moitié de la production manufacturière mondiale est aujourd’hui réalisée par les pays émergents.
La fin de l’ère Bush et la période Obama, ont constitué une phase de transition pour construire de nouvelles alliance, élargir l’Otan tout en tentant de mettre fin aux guerres d’Irak et d’Afghanistan.
L’échec des néoconservateurs, c’est la démonstration de l’impossibilité d’un superimpérialisme dont l’Otan aurait été le bras armé. Ce bras armé est devenu l’instrument de la défense des intérêts des grandes puissances occidentales contre leurs nouveaux rivaux.
L’ « Organisation du Traité Nord-Atlantique », après s’être étendue à l’Europe orientale (jusqu’à l’intérieur de l’ex URSS) et à l’Asie centrale, pointe maintenant sur d’autres régions y compris au Moyen-Orient.
En Afrique, après avoir démoli la Libye en 2011 par la guerre, l’OTAN a stipulé en mai dernier à Addis Abeba un accord qui potentialise l’assistance militaire fournie à l’Union africaine, notamment pour la formation et l’entraînement des brigades de l’African Standby Force, à qui elle fournit aussi « planification et transport aéronaval ». Elle a, de ce fait, une voix déterminante sur les décisions concernant où et comment les employer. Un autre de ses instruments est l’opération « anti-piraterie » Ocean Shield dans les eaux de l’Océan Indien et du Golfe d’Aden stratégiquement importants. A l’opération, conduite de concert avec le Commandement Africa des Etats-Unis, participent des navires de guerre italiens y compris avec la mission d’établir des relations avec les forces armées des pays riverains.
En Amérique latine, l’OTAN a stipulé en 2013 un « Accord sur la sécurité » avec la Colombie qui, déjà engagée dans des programmes militaires de l’Alliance, peut en devenir rapidement un partenaire.
Dans le Pacifique est en cours la Rimpac 2014, la plus grande manœuvre maritime du monde, anti-Chine et anti-Russie : y participent, sous commandement USA, 25 000 militaires de 22 pays avec 55 navires et 200 avions de guerre. L’OTAN est présente avec les marines des USA, Canada, Grande-Bretagne, France, Hollande et Norvège, et avec l’Italie, l’Allemagne et le Danemark comme observateurs.
Les USA se veulent offensifs en Afrique : renforcement de la sécurité face à la menace Al-Qaïda et contre-attaque face à l’offensive économique chinoise sur le continent. « Au moment où nous regardons vers l’avenir, il apparaît clairement que l’Afrique est plus importante que jamais pour la sécurité et la prospérité de la communauté internationale et pour les Etats-Unis en particulier », dixit Obama.
Le regain d’intérêt américain pour l’Afrique, initié il y a cinq ans, se confirme à un moment où la Chine accentue ses investissements en direction du continent et cherche à fortifier ses liens diplomatiques. Le commerce entre la Chine et l’Afrique a en effet atteint 120 milliards de dollars en 2011, un bond de 100 milliards en dix ans.
L’instabilité de la situation internationale, le regain de tensions, l’accentuation de la crise obligent Obama à rompre avec sa politique internationale qui disait tourner la page de l’ère Bush. La théorie du chaos reprend ses droits.
Les rythmes et la profondeur des évolutions dépendront des rythmes et de la profondeur de l’évolution de la crise financière et productive. Mais nous n’avons aucune illusion à nous faire ni à entretenir, l’exacerbation des tensions internationales est aussi certaines que l’accentuation de la crise globale du capitalisme.
3) Hypothèse d’une mondialisation de la guerre
Les limites atteintes par l’accumulation élargie financière fondée sur la croissance exponentielle du crédit et de la dette aboutissent au développement de « l’accumulation par dépossession » selon la formule de Harvey. A défaut de développer l’économie pour accroître la masse de la plus-value nécessaire pour nourrir les appétits de la finance, le capitalisme, de plus en plus parasitaire, trouve une issue à ses difficultés dans une double offensive : contre les travailleurs et contre les peuples. Cela débouche sur une lutte de plus en plus acharnée pour la maîtrise des territoires, le contrôle des sources d’énergies, des matières premières, des voies d’échanges... La libre concurrence mondialisée débouche sur une lutte pour le contrôle des richesses, une forme de repartage du monde, mais dans des rapports de forces radicalement différents de ceux de la fin du XIXe siècle et du début du XXIe.
Le développement de la crise depuis 2007-2008 constitue ainsi sur le plan des relations internationales un tournant en provoquant une exacerbation des tensions.
Les USA n’ont plus les moyens de s’imposer aux autres puissances et nations comme le démontre la situation au Moyen Orient. Ils sont contraints à adapter leur politique aux nouveaux rapports de force pour assumer leur rôle de leadership mondial tant pour assurer leur propre hégémonie que pour assurer l’ordre mondial. Les deux sont liés. L’hégémonie des USA est conditionnée à leur capacité à assurer l’ordre mondial, la gouvernance mondiale indispensable version impérialiste. Mais elle suppose que la puissance dominante soit capable de rendre crédible sa prétention à agir dans l’intérêt général, la domination économique et militaire ne peuvent suffire à établir un consentement.
L’émergence de nouvelles puissances ayant des vues impérialistes, l’émergence de nouvelles puissances régionales ayant leurs propres intérêts à défendre dans le jeu des rivalités des grandes puissances rendent de plus en plus fragile le leadership américain, la situation internationale de plus en plus chaotique. Cela s’accompagne d’une montée du militarisme, la production d’armement se porte très bien.
Jusqu’où peuvent aller ces tensions et déséquilibres ? Notre préoccupation n’est pas de le prédire mais d’y répondre car rien n’autorise à ne pas envisager l’hypothèse du pire, de la mondialisation des conflits locaux à un embrasement généralisé, une nouvelle guerre mondiale ou plutôt mondialisée.
Le fond de la question renvoie à la nature des relations Chine-USA et à leurs évolutions possibles.
Comme la crise de 1929 avait été la crise de l’émergence américaine ( Joshua) la crise actuelle est-elle la crise de l’émergence de la Chine ? De la même façon que la politique impérialiste est née de la crise interne du capitalisme anglais une politique impérialiste de la Chine résulterait de ses contradictions internes, de l’incapacité des classes dirigeants chinoises à apporter une réponse à la question sociale ? De là peut-il résulter une lutte pour le leadership mondial ?
La réponse appartient en fait au prolétariat et aux peuples.
L’instabilité croissante des relations internationales résulte autant de l’instabilité des Etats face aux travailleurs et aux peuples que des rivalités entre grandes puissances ou entre grandes puissances et puissances régionales. Les deux se combinent.
C’est à partir de cette combinaison, offensive contre les travailleurs, offensive contre les peuples, que peuvent s’opérer des prises de conscience tant il est vrai qu’il n’y a pas d’issue sans l’intervention des classes opprimées. A travers ces tensions sociales et internationales les Etats se confrontent aux aspirations démocratiques de millions d’hommes et de femmes mis en mouvement par les bouleversements économiques qui ont transformés la planète en particulier dans les anciens pays dominés. De là peuvent naître de nouveaux mouvements révolutionnaires.
Indépendance de classe et internationalisme
Notre position par rapport aux différents conflits est en lien avec notre position dans les rapports de classes, la guerre comme l’avait expliqué Jaurès est partie intégrante, développement sur le marché mondiale, de la lutte de classe pour l’appropriation des richesses, « l’accumulation par dépossession ». Nous voulons aider à la prise de conscience que la paix est incompatible avec le capitalisme, qu’elle exige d’en finir avec le pouvoir des classes dominantes en particulier ici et en Europe.
Nous n’avons pas de réponse, d’issue aux logiques militaristes et guerrières engendrées par la politique des grandes puissances comme de leurs alliés-concurrents locaux hors d’une révolte des peuples, d’une intervention de la classe ouvrière. A défaut de cette intervention directe du prolétariat pour empêcher la guerre et développer sa propre politique nous dénonçons les responsabilités des grandes puissances comme de leurs alliés-rivaux, ou des prétendants locaux au rôle de dictateur, la logique des rapports capitalistes fondées sur l’exploitation et la concurrence.
Le campisme des années 60 et 70 n’a jamais répondu aux intérêts des peuples, aujourd’hui encore plus qu’hier il tourne le dos à une véritable politique internationaliste. Le simple slogan, Non aux guerres impérialistes, est nécessaire mais insuffisant.
Comme nous l’avons vu, la notion d’impérialisme ne répond plus aux besoins de l’analyse des relations internationales même si elle n’a jamais été pour Lénine une vision et une compréhension bipolaire, manichéenne du monde.
Nous gardons de son analyse en particulier la préoccupation de comprendre la phase actuelle dans un cadre général du développement de la société et de la possibilité du socialisme, maturité des conditions du socialisme en particulier avec l’émergence d’une nouvelle et jeune classe ouvrière mondiale. Il ne s’agit pas de nous situer dans une simple dénonciation mais dans une perspective de transformation révolutionnaire du monde.
La question n’est pas de pronostiquer une troisième guerre mondiale, mais une nouvelle période de crise et de révolution qui peut accoucher d’un autre monde. La possibilité d’une troisième guerre mondiale aux conséquences catastrophiques ne peut être écartée, mais elle serait la conséquence de l’échec du prolétariat à transformer le monde.
Notre démarche vise à démontrer les objectifs de la politique de notre propre impérialisme pour la combattre et le jeu des grandes puissances, le lien entre la guerre sociale menée contre les travailleurs par les différentes bourgeoisies et la guerre contre les peuples, entre la concurrence mondialisée et les rivalités entre puissances sur le terrain international. Notre combat pour la paix est indissociable de notre combat pour le socialisme. Il ne saurait faire appel à la prétendue « communauté internationale » ni à l’ONU dont la fonction de plus en plus délaissée est de donner un paravent démocratique à la politique des grandes puissances. A l’opposé nous mettons constamment en valeur la nécessaire solidarité entre les travailleurs et les peuples seule issue aux politiques agressives et militaristes des grandes puissances qui manipulent et dressent les peuples les uns contre les autres. Notre solidarité internationale ne consiste pas à soutenir les peuples et les dirigeants qu’ils se sont donnés. Elle critique sans concessions les politiques nationalistes bourgeoises qui dévoient les révoltes et les aspirations démocratiques. Notre solidarité est une solidarité de classe qui dénonce toutes les formes de domination des travailleurs et des peuples.
Notre internationalisme se définit comme la recherche constante d’une politique indépendante pour la classe ouvrière combinée à la lutte contre notre propre impérialisme.
Yvan Lemaitre