L’indépendance des Philippines concédée par les États-Unis en 1946 ouvre une période de prospérité pour le pays. En raison d’enjeux géostratégiques, après la seconde guerre mondiale, Washington permet au gouvernement philippin de mener une politique qu’il interdit ailleurs.
Le gouvernement philippin peut donc se permettre la mise en place de politiques indépendantes, favorables au développement de l’économie du pays. Cette situation finit par incommoder les États-Unis, et avec le soutien du FMI et de la Banque mondiale, les Conservateurs, majoritaires au Congrès philippin suite aux élections de 1959, imposent à partir de 1962 des politiques très différentes, qui vont provoquer hémorragie des capitaux, surendettement, dévaluation et perte de revenus pour la population. C’est dans ce contexte de crise que Ferdinand Marcos proclame la loi martiale en 1972. La Banque mondiale applaudit le dictateur qui mène une politique conforme aux vœux de Washington. La corruption massive accroît le mécontentement et finit par provoquer en 1986 la chute de Ferdinand Marcos au profit de Corazon Aquino, leader de l’opposition démocratique mais intimement liée aux grands propriétaires des plantations. C. Aquino mène une politique économique néo-libérale intransigeante, dans la meilleure tradition de la Banque mondiale, qui bien sûr déçoit profondément le peuple.
Les Philippines ont été une colonie espagnole jusqu’en 1898, année de la défaite de l’Espagne dans une guerre déclarée par les États-Unis qui occupent à leur tour le pays sauf au cours de seconde guerre mondiale où c’est le Japon qui l’occupe. Les Philippines obtiennent leur indépendance à l’égard des États-Unis en 1946 mais ceux-ci imposent certaines conditions : taux de change fixe entre le peso philippin et le dollar américain afin de prémunir les entreprises états-uniennes contre les effets d’une dévaluation, accords de libre échange, etc. Au début, cela se passe sans trop de heurts car les États-Unis procurent beaucoup de dollars aux Philippines, notamment via une forte présence militaire.
Mais à partir de 1949, le flux des dollars se tarit. Le gouvernement philippin instaure alors un fort contrôle sur le change de monnaie afin d’éviter une hémorragie de devises. On interdit aux firmes privées d’emprunter à l’étranger. Le gouvernement des États-Unis et le FMI tolèrent cette mesure pour préserver leurs bonnes relations avec leur allié philippin. L’introduction du contrôle des changes, des mouvements de capitaux et des importations ouvre une période de vaches grasses pour l’économie philippine avec un développement de l’industrialisation du pays. Cela dure douze ans, jusqu’au moment où les États-Unis, le FMI et la Banque mondiale obtiennent l’abandon de ces mesures de contrôle en 1962.
Au cours de la décennie 1950, le secteur manufacturier connaît une croissance annuelle de 10 à 12%, l’inflation ne dépasse pas 2% par an, les Philippines accumulent des réserves de change et la dette externe est très faible. Mais cela ne fait pas que des heureux : les entreprises états-uniennes et autres se plaignent de devoir réinvestir tous leurs bénéfices dans l’économie du pays. En effet, les capitalistes exportateurs, qu’ils soient philippins ou étrangers, doivent remettre leurs revenus d’exportation en dollars à la banque centrale qui leur rend des pesos à un taux désavantageux. Cela procure d’importants revenus à l’État. Le gouvernement philippin, fort de son succès, exige des États-Unis en 1954 qu’ils modifient les règles du jeu imposées lors de l’indépendance de 1946. Washington accepte et cela consolide la position des autorités philippines.
Bien sûr, il ne faut pas idéaliser le succès philippin : la société est restée capitaliste, elle est marquée par de profondes inégalités, l’industrialisation se fait surtout dans l’assemblage. Cependant, en comparaison de ce qui arrive depuis 1962, on ne peut s’empêcher de penser que la situation des années 1950 était prometteuse. C’est bien cela qui provoque une offensive conjointe des États-Unis, du FMI et de la Banque mondiale en alliance avec les secteurs les plus conservateurs des classes dominantes philippines pour forcer l’abandon de l’expérience.
Les conservateurs, majoritaires au Congrès philippin suite aux élections de 1959, imposent à partir de 1962 l’abandon du contrôle sur les mouvements de capitaux. Le FMI et le gouvernement des États-Unis applaudissent et un prêt de 300 millions de dollars est immédiatement accordé.
L’abandon du contrôle entraîne une hémorragie de capitaux vers l’étranger qui est jugulée à coups d’emprunts extérieurs. La dette externe est multipliée par sept entre 1962 et 1969 : elle passe de 275 millions à 1 880 millions de dollars !
Les exportateurs philippins de produits agricoles et de matières premières ainsi que les transnationales exultent car leurs profits explosent. En contrepartie, le secteur manufacturier travaillant pour le marché intérieur décline rapidement. En 1970, il faut dévaluer très fortement le peso. Les salaires et les revenus des petits producteurs s’effondrent.
C’est dans ce cadre de crise des politiques soutenues par les États-Unis, le FMI, la Banque mondiale et les conservateurs que Ferdinand Marcos instaure en 1972 une dictature dont le but ultime est la consolidation par la force de la politique néolibérale.
Un an plus tard, de l’autre côté du Pacifique, Augusto Pinochet prend le pouvoir au Chili avec les mêmes objectifs, les mêmes maîtres et les mêmes appuis !
Le rôle de la Banque mondiale
Les premiers prêts de la Banque mondiale aux Philippines remontent à 1958 mais jusqu’à l’arrivée de Robert McNamara à la présidence de la Banque en 1968, ceux-ci restent très faibles. Robert McNamara considère que les Philippines, où se trouvent des bases militaires des États-Unis, tout comme l’Indonésie et la Turquie, représentent un tel enjeu stratégique qu’il faut à tout prix renforcer leurs liens avec la Banque mondiale. Prêter de l’argent est un moyen de pression. Les historiens de la Banque mondiale n’hésitent pas à écrire : “McNamara et son équipe étaient préoccupés par les réformes politiques faites par le Parlement philippin. Les Philippines représentaient alors un cas où la loi martiale avait déclenché un grand volume de prêts de la Banque. Marcos a écarté le Parlement et a commencé à gouverner par décrets présidentiels en août 1972. McNamara et les fonctionnaires de la banque ont salué ce changement ». [1] . Un des premiers actes posés par Ferdinand Marcos après avoir instauré la dictature consiste à supprimer le plafond d’endettement public que le Parlement philippin a instauré en 1970. La réglementation abrogée fixait à un milliard de dollars la marge d’endettement du gouvernement avec un plafond annuel de 250 millions de dollars. Ferdinand Marcos fait sauter ce verrou, ce qui ravit la Banque mondiale [2]. Robert McNamara annonce que la Banque mondiale est disposée à multiplier au moins par deux les montants prêtés [3]. Il est trop tard pour augmenter les prêts pour 1973 au grand dam de Robert McNamara. Qu’à cela ne tienne : la Banque met les bouchées doubles et en 1974, elle multiplie par 5,5 le montant de 1973 (165 millions au lieu de 30) [4].
La Banque mondiale et le FMI sont à ce point publiquement derrière la dictature qu’ils organisent leur assemblée annuelle en 1976 à Manille. Cette année-là, Bernard Bell, vice-président de la Banque pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, déclare : « Le risque pris en prêtant aux Philippines est inférieur à celui pris à l’égard de la Malaisie ou de la Corée » [5]. A noter également que la Banque mondiale, en collaboration avec les Fondations Ford et Rockfeller, a implanté aux Philippines un des trois centres de recherche de la révolution verte.
Pourtant, Ferdinand Marcos ne mène pas exactement la politique économique voulue par la Banque. La Banque mondiale est désappointée car elle entretient d’excellentes relations avec le dictateur et les universitaires dont il s’est entouré, certains d’entre eux devenant plus tard des fonctionnaires de la Banque tel Gerardo Sicat, ministre de la Planification puis président de la Philippines National Bank, la principale banque du pays.
La Banque mondiale n’exprime aucun désaccord à l’égard de la politique répressive du régime. Par contre, elle s’inquiète de la lenteur à appliquer des réformes structurelles visant à remplacer ce qui reste du modèle d’industrialisation par substitution d’importation par le modèle de promotion d’exportation qu’elle prône. Pour peser davantage sur le gouvernement philippin, elle décide d’accorder deux importants prêts d’ajustement structurel en 1981 et en 1983, visant notamment la promotion des exportations. Elle sait parfaitement que ces prêts vont finir en grande partie sur les comptes en banque de Ferdinand Marcos et de ses généraux, mais elle considère que c’est de fait un dessous de table nécessaire à payer au personnel politique dirigeant pour qu’il accélère la contre réforme néolibérale.
Sur ces entrefaites, une crise bancaire éclate aux Philippines en 1981 suite à une énorme affaire de corruption touchant à la fois les capitalistes et l’appareil d’État. De proche en proche, la crise s’étend à tout le système financier philippin et les deux plus grandes banques publiques sont au bord de la faillite. La crise s’étend de 1981 à 1983-1984. Elle est exacerbée par la crise de la dette externe qui éclate internationalement en 1982. Les banques privées étrangères stoppent tout crédit aux Philippines. C’est un échec patent pour la Banque mondiale et ses bons amis, Ferdinand Marcos, Gerardo Sicat et le premier ministre Cesar Virata.
Le mécontentement populaire monte abruptement. Des secteurs importants des classes dominantes entrent en conflit avec le régime Marcos. Cela s’accentue avec l’assassinat d’un membre de l’oligarchie foncière opposée à Marcos : le sénateur Benigno Aquino, exilé aux États-Unis, est abattu dès son retour à l’aéroport de Manille en août 1983.
En dépit de la montée de l’opposition à Marcos, la Banque mondiale décide de maintenir son soutien au dictateur. En dérogation avec ce qu’elle a planifié, elle augmente fortement ses prêts : 600 millions de dollars en 1983, soit plus du double de l’année précédente (251 millions de dollars en 1982). Les historiens de la Banque mondiale écrivent qu’elle agit loyalement à l’égard d’un vieil ami [6].
Les mobilisations populaires se radicalisent et avec l’aide des États-Unis, représentés à Manille par Paul Wolfowitz [7], qui a pourtant accompagné le régime de Marcos jusqu’au bout, le secteur d’opposition des classes dominantes et de l’armée se débarrasse de Marcos et le pousse à l’exil [8]. Corazon Aquino, leader de l’opposition bourgeoise et foncière, veuve de Benigno Aquino, prend la direction du gouvernement en 1986.
La Banque mondiale hésite alors sur la conduite à suivre. Le vice-président de la Banque mondiale pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, Attila Karaosmanoglu, écrit une note interne qui n’a rien d’enthousiasmant sur le nouveau régime démocratique : « Nous nous attendons à ce que le processus de décision soit plus compliqué que par le passé, à cause de la nature plus collégiale de la nouvelle équipe, du rôle renforcé du législatif et des tendances populistes du nouveau gouvernement » [9].
Finalement, la Banque mondiale, le FMI et les États-Unis considèrent qu’il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur en misant sur la présidente Corazon Aquino car elle s’engage à maintenir son pays dans le bon camp et même à approfondir l’agenda néolibéral. La Banque mondiale prête 300 millions de dollars en 1987 et 200 millions en 1988 : il s’agit de mettre de l’huile dans les rouages de la privatisation des entreprises publiques. Entre 1989 et 1992, la Banque mondiale prête 1 324 millions de dollars pour poursuivre l’ajustement structurel. Les États-Unis menacent de bloquer ces prêts si les Philippines mettent à exécution le projet de fermeture des bases militaires des États-Unis sur leur territoire.
En ce qui concerne la réforme agraire mise en avant par le puissant mouvement populaire qui a provoqué l’éviction de Marcos et s’est encore renforcé en 1987, Corazon Aquino choisit le camp de l’oligarchie foncière dont elle est issue. Entre 1986 et 1990, l’État n’acquiert que 122 hectares [10] !
Finalement, le gouvernement Corazon Aquino fait mieux que Ferdinand Marcos en termes d’application de la panoplie de mesures néolibérales, à la grande satisfaction de la Banque mondiale.
Éric Toussaint, porte-parole du CADTM international (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), est maître de conférence à l’université de Liège. Il est l’auteur de Bancocratie, Aden, 2014, http://cadtm.org/Bancocratie ; Procès d’un homme exemplaire, Edition Al Dante, Marseille, septembre 2013 ; Banque mondiale : le coup d’Etat permanent, Edition Syllepse, Paris, 2006, téléchargeable : http://cadtm.org/Banque-mondiale-le-coup-d-Etat Voir également Eric Toussaint, Thèse de doctorat en sciences politiques présentée en 2004 aux universités de Liège et de Paris VIII : « Enjeux politiques de l’action de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde », http://cadtm.org/Enjeux-politiques-de-l-action-de Eric Toussaint est coauteur avec Damien Millet de 65 Questions, 65 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, Liège, 2012 (version en téléchargement libre sur internet : http://cadtm.org/65-questions-65-reponses-sur-la,8331 ) ; La dette ou la vie, coédition CADTM-Aden, Liège-Bruxelles, 2011. Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège http://www.cadtm.org/Le-CADTM-recoit-le-prix-du-livre
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http://cadtm.org/BCE-LTRO-Kesako
Série : Les États au service des banques au prétexte du « Too big to fail » (partie 5)
BCE / LTRO : Késako ?
Les investisseurs institutionnels (dont les banques) et des hedge funds se sont attaqués en 2010 à la Grèce, maillon le plus faible de la chaîne européenne d’endettement, avant de s’attaquer à l’Irlande, au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie. En agissant de la sorte, ils ont réalisé de juteux profits car ces pays ont dû leur proposer des taux d’intérêt en hausse pour pouvoir refinancer leurs dettes. Parmi ces investisseurs institutionnels, ce sont les banques privées qui ont fait le plus de profit car elles pouvaient directement se financer auprès de la BCE en lui empruntant des capitaux à 1 %, alors que dans le même temps elles prêtaient sur une durée de trois mois à la Grèce à 4 ou 5 %. En ce qui concerne les titres d’une durée de dix ans, elles n’acceptaient d’acheter des titres irlandais ou portugais que si l’intérêt avoisinait 10 %.
En lançant leurs attaques contre les maillons les plus faibles, ces investisseurs institutionnels étaient également convaincus que l’Union européenne et la BCE devraient d’une manière ou d’une autre venir en aide aux États victimes de la spéculation en leur prêtant les capitaux qui leur permettraient de poursuivre les remboursements. Ils ne se sont pas trompés et des prêts ont été accordés aux pays en difficulté. Les conditions imposées par la BCE, la Commission européenne et le FMI, la fameuse « Troïka », visaient à imposer une austérité brutale, des privatisations, une baisse des salaires et des retraites, des licenciements massifs dans la fonction publique…
Malgré l’aide de la BCE, à partir de juin 2011, les banques européennes sont entrées dans une phase tout à fait critique. Leur situation était presque aussi grave qu’après la faillite de Lehman Brothers survenue le 15 septembre 2008. Nombre d’entre elles ont été menacées d’asphyxie parce que leurs besoins massifs de financement à court terme (quelques centaines de milliards de dollars au jour le jour) n’ont plus été satisfaits par les Money Market Funds américains qui ont considéré que la situation des banques européennes était décidément de plus en plus risquée. [11] Les banques ont été confrontées à la menace de ne pas pouvoir assumer leurs dettes. C’est alors que la BCE, suite à un sommet européen réuni d’urgence le 21 juillet 2011 pour faire face à une possible série de faillites bancaires, a commencé à acheter à ces banques des titres de la dette publique grecque, portugaise, irlandaise, italienne et espagnole afin d’apporter à ces banques des liquidités (en plus des prêts qu’elle leur accordait déjà) et de les délester d’une partie des titres qu’elles avaient massivement achetés dans la période précédente. Il s’agissait également de faire baisser les taux d’intérêt sur la dette des pays de la Périphérie. Cela n’a pas suffi, les cours en Bourse des actions des banques ont poursuivi leur dégringolade et les taux d’intérêt sur la dette italienne ou espagnole sont restés très élevés. Ce qui a été décisif pour maintenir à flot les banques européennes, c’est l’ouverture à partir de septembre 2011 d’une ligne de crédit illimitée par la BCE en concertation avec la Fed, la Banque d’Angleterre et la Banque de Suisse : les banques en manque de dollars et d’euros ont été mises sous perfusion. Elles ont recommencé à respirer, mais c’était toujours insuffisant, le cours de leur action continuait une descente aux enfers. Entre le 1er janvier et le 21 octobre 2011, l’action de la Société générale a chuté de 52,8 %, celle de BNP Paribas de 33,3 %, celle de la Deutsche Bank de 28,8 %, celle de Barclays de 30,5 %, celle du Crédit suisse de 36,7 %. Il a alors fallu que la BCE sorte l’artillerie lourde.
LTRO : qu’est-ce que c’est ?
Appelé LTRO (Long Term Refinancing Operation), l’opération consiste à accorder aux banques des prêts à long terme. Entre décembre 2011 et février 2012, la BCE a ainsi prêté à un peu plus de 800 banques plus de 1 000 milliards d’euros pour une durée de 3 ans au taux d’intérêt de 1 % (à un moment où l’inflation atteignait environ 2 %). En réalité, le cadeau fait aux banques est plus important que le laisse supposer ce taux (pourtant déjà très avantageux). Pourquoi ? Pour deux raisons simples : 1. Les intérêts sur la somme empruntée ne sont à verser qu’au moment du remboursement de cette somme. Donc si une banque emprunte pour 3 ans et ne rembourse pas de manière anticipée, elle ne paie les intérêts qu’à l’issue des 3 ans. 2. Le taux a été abaissé à plusieurs reprises pour atteindre 0,05 % à partir de septembre 2014. [12] Prenons une banque comme Dexia qui a emprunté plus de 20 milliards d’euros à la BCE pour une période de 3 ans au début 2012, elle ne remboursera les 20 milliards qu’au début 2015. A cette somme, s’ajoutera le paiement des intérêts que l’on calculera de la manière suivante : 1 % de taux d’intérêt jusqu’en juillet 2012, 0,75 % pour la période juillet 2012 à mai 2013, 0,50 % de mai 2013 à novembre 2013, 0,25 % entre novembre 2013 et juin 2014, 0,15% d’intérêt entre juin 2014 et début septembre 2014, 0,05% à partir du 10 septembre 2014. [13] Dexia ne paiera ces intérêts qu’au moment du remboursement de la somme empruntée. Que se passera-t-il à ce moment-là ? Il est évident que de nombreuses banques, comme Dexia ou la principale banque italienne Intesa Sanpaolo (ISP.MI) (qui a reçu 24 milliards d’euros dans le cadre du LTRO), ne seront pas en mesure de rembourser la somme empruntée, sauf si elles procèdent à un nouvel emprunt plus ou moins équivalent à l’emprunt précédent. A qui ces banques emprunteront-elles ? A la BCE pardi. Son président Mario Draghi a annoncé en juin 2014 que la BCE octroierait de nouveaux prêts de longue durée (Targeted Long Term Refinancing Operations – TLTRO) [14]l. Au départ, la BCE déclarait que le volume des nouveaux prêts de longue durée atteindrait 400 milliards, on verra ce qu’il en sera exactement quand on fera le point en février ou en mars 2015 au moment où les différentes tranches de crédit TLTRO auront été accordées. Le programme TLTRO a commencé en septembre 2014, une première tranche de 82,6 milliards d’euros a été octroyée. Une deuxième tranche le sera en décembre 2014, ce qui coïncidera avec la première échéance du remboursement que les banques qui ont eu recours au LTRO de décembre 2011 devront effectuer. Soulignons qu’une partie des banques qui avaient eu recours au LTRO en décembre 2011 ont remboursé anticipativement la BCE afin de donner des gages de bonne santé. Ce sont les banques les plus mal en point qui sont encore redevables à la BCE de prêts LTRO. Du coup, les échéances de décembre 2014 (1re tranche LTRO) et de février 2015 (2e tranche LTRO) sont importantes.
Imaginez ce qui se serait passé si Dexia et de nombreuses autres banques en difficulté n’avaient pas eu accès aux prêts de la BCE : elles auraient dû purement et simplement mettre la clé sous le paillasson. En effet, à condition de trouver un prêteur privé (ce qui n’aurait pas du tout été facile vu les montants nécessaires), les banques auraient dû verser des taux d’intérêt supérieurs à 8 % (à payer régulièrement et pas au moment du remboursement du capital emprunté). Ajoutons que la BCE fait d’autres cadeaux de taille aux banques privées : elle leur achète des covered bonds afin de les aider à se financer, [15] elle accepte que les banques déposent comme garantie des produits structurés en échange des nouveaux prêts qu’elle leur concède. Bien sûr, il y a aussi le monopole dont bénéficient les banques privées dans le financement des pouvoirs publics. Dans les mois à venir, vont s’ajouter des achats massifs de produits structurés (fabriqués par les banques sous le nom d’ABS) par la BCE.
Le bilan de la double opération LTRO / TLTRO est clair : il aurait fallu procéder autrement afin de protéger les intérêts des victimes de la crise. Pour cela, mettre en faillite les banques en crise tout en protégeant les dépôts des épargnants, créer une structure de défaisance des actifs toxiques à charge des grands actionnaires et intégrer la partie saine dans une structure authentiquement publique (sans verser d’indemnités aux grands actionnaires). Il fallait socialiser le secteur bancaire et lui donner une authentique mission de service public.
Éric Toussaint