La ville à majorité kurde de Kobani en Syrie est sous la menace directe depuis plusieurs semaines de l’Etat Islamique (EI). Depuis le début de l’offensive de l’EI le 16 septembre 2014, plus de 550 personnes sont mortes, dont 298 militants de l’EI, 236 combattant-es kurdes et une vingtaine de civils. Plus de 12 000 civils sont encore dans certaines parties de la ville de Kobani, tandis que depuis le début de l’offensive de l’EI sur la ville de Kobani et les villages avoisinants a provoqué le départ forcé d’environ 200 000 personnes.
La ville serait d’ailleurs tombée depuis longtemps si cela n’avait été pour la résistance organisée par le parti Union démocratique kurde (YPD qui est lié au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), et ses forces militaires, les Unités de protection du peuple (YPG), et également de la participation active d’au moins trois bataillons de combattants arabes présents dans la ville : bataillon « révolutionnaire de Al Raqqa », bataillon « Soleil du nord » et bataillon de « Jirablis ». Le 4 octobre, l’Armée syrienne libre avait aussi décidé l’envoi de mille combattants pour défendre Kobani.
La ville de Kobani a un aspect stratégique pour l’EI. Tout d’abord la ville se trouve entre les villes de Cerablus et Tell Abyad sous occupation de l’EI et sa capture permettrait de relier cette zoneet ensuite la ville constitue un point de passage vers la Turquie que l’EI voudrait occuper.
Kobani et Rojava
La ville de Kobani, qui est la troisième ville Kurde de Syrie, fut la première ville à majorité Kurde à être libéré du régime Assad le 19 Juillet 2012.
Kobani est le centre d’un des trois cantons (avec Afrin et Cizre) qui se sont constitués en “régions autonomes démocratiques” à partir d’une confédération de “kurdes, arabes, assyriens, chaldéens, turkmènes, arméniens et tchétchènes”, comme le dit le préambule de la Charte de Rojava (nom du Kurdistan occidental ou syrien). Des expériences d’auto-administrations très intéressantes , particulièrement au niveau des droits des femmes et des minorités, mais avec également nombreuses contradictions, notamment l’autoritarisme des forces du PYD qui n’ont pas hésité à réprimer des activistes ou bien à fermer des établissements et institutions qui lui sont critiques.
Il ne faut pas oublier en effet que le PYD, tout comme son organisation mère le PKK, à un manque de référence démocratique que ce soit dans son fonctionnement interne ou externe face à ses rivaux ou de simple groupes. Il faut par exemple se rappeler des mouvements de protestations au début de l’été 2013, fin juin, dans certaines villes de Rojava, comme à Amouda et Derabissyat, contre la répression et l’arrestation par les forces du YPD d’activistes révolutionnaires kurdes. [1]
En l’occurrence, le PYD est loin d’être la seule organisation dans ce cas en Syrie, et au sein de l’opposition syrienne.
Cela ne nous empêche pas d’apporter un soutien total au mouvement de libération national kurde dans sa lutte pour son autodétermination en Irak, Syrie, Turquie et Iran face à des Etats autoritaires qui les oppriment ou les empêchent de réaliser leur auto-détermination. C’est pourquoi également qu’il faut demander le retrait du PKK de toutes les listes des organisations terroristes en Europe et ailleurs.
Nous pouvons en effet critiquer le leadership du PKK ou du PYD pour certaines de leurs politiques, mais comme nous l’avons dit auparavant, un principe fondamental des révolutionnaires, est que nous devons d’abord soutenir toutes les formes de luttes pour la libération et l’émancipation lutte de manière inconditionnelle, avant d’être en droit de critiquer la façon dont ils sont dirigés.
La coalition et la Turquie : contre les Kurdes
Les bombardements de la coalition internationale dirigée par les USA et avec la collaboration des monarchies réactionnaires du Golfe n’ont pas permis l’arrêt de l’offensive de l’l’EI depuis le 23 septembre, puisque ce dernier qui était alors à soixante kilomètres de Kobani… occupe à l’heure où nous écrivons plusieurs quartiers de la ville. L’EI a d’ailleurs détruit plusieurs habitations et bâtiments administratifs.
Cela démontre à nouveau que cette intervention militaire n’a pas pour but d’aider les populations locales mais bien de servir les intérêts des puissances occidentales impérialistes, avec l’accord de l’impérialisme russe, et des régimes régionaux, participant directement (Arabie Saoudite et Qatar) ou pas (Turquie) dans la coalition, ou ne s’y opposant pas comme l’Iran. Tous ces acteurs ont pour objectifs de mettre fin aux processus révolutionnaires de la région et rétablir une stabilité avec des régimes autoritaires qui serviraient leurs intérêts et non ceux des masses populaires de la région.
De son côté le gouvernement de l’AKP a démontré à nouveau son opposition à tout projet d’auto-détermination kurde qui remettrait en cause ses intérêts politiques.
Le gouvernement turc a d’ailleurs mis dans le même sac les Kurdes du PKK et l’EI, et en les qualifiant tous deux de terroristes. Par ces accusations, les dirigeants turcs entendent couper l’herbe sous les pieds de toutes les formations kurdes opérant sur son territoire ou à sa périphérie, ou du moins les coopter.
Le principal objectif de la Turquie est d’empêcher la création d’une zone autonome kurde le long de sa frontière avec la Syrie et c’est pourquoi le gouvernement d’Ankara a fait de la création d’une zone tampon en Syrie une de ses principales demandes à la coalition et à la communauté internationale, et non comme le gouvernement le prétends pour protéger les secteurs tenus par l’armée syrienne libre qui aujourd’hui combattent aux côtés des forces kurdes contre l’EI.
Dans le même cadre, la Turquie a également empêché et empêche toujours les combattants du YPG de se rendre à Kobani pour aider les forces kurdes sur places, tandis que les autorités turques ont imposé un couvre feu pour la première fois depuis 1992, dans six provinces du pays peuplées en majorité de Kurdes à la suite de manifestations importantes des membres de la communauté kurde contre la politique du gouvernement de ne pas vouloir venir en aide à la ville de Kobani et de refuser le passage des combattants kurdes vers la Syrie.
Au terme de quatre jours d’émeutes, le ministre de l’Intérieur Efkan Ala a présenté un premier bilan officiel très lourd qui fait état de 31 morts et 360 blessés, plus d’un millier d’interpellations et des dégâts matériels impressionnants, principalement dans le sud-est à majorité kurde du pays. Les victimes, blessés et emprisonnés étaient dans leur quasi majorité des Kurdes.
De son côté, le chef du PYD, Salih Muslim, a pressé la Turquie de laisser passer les combattants et les armes pour Kobani, tout en s’en opposant catégoriquement à une entrée de l’armée turque dans la ville, qui s’apparenterait selon lui à une « occupation ».
Le chef emprisonné du PKK Abdullah Öcalan a aussi prévenu que la chute de Kobani signerait la fin des efforts de paix engagés il y a deux ans entre la Turquie et le PKK. Pour rappel il y a toujours plus de 8.000 prisonniers politiques kurdes dans les geôles turques accuser de terrorisme.
Une défaite de Kobani, une défaite pour la révolution syrienne
La chute de la ville de Kobani aux mains de l’EI constituerait une double défaite : pour l’auto-détermination du peuple Kurde et pour la Révolution Syrienne. Soyons clair aussi que cela ne représenterait pas non plus la fin de ces deux processus.
Les régions autonomes démocratiques de Rojava sont une conséquence directe et positive de la Révolution syrienne. Cette autonomie des régions à majorité kurde n’aurait jamais pu voir le jour si cela n’avait pas été pour le mouvement de masse et populaire par en bas des peuples de Syrie (Arabes, Kurdes et Assyriens ensemble) contre le régime criminel et autoritaire des Assad. Ce sont ces mêmes forces populaires qui se sont opposés aux forces islamiques réactionnaires qui ont attaqués et attaquent aujourd’hui les régions autonomes de Rojava. Aujourd’hui, des composantes de l’Armée Syrienne Libre et du YPG combattent côte à côte face à l’EI tandis que de nombreuses manifestations de soutiens à la ville de Kobani ont eu lieu dans des villages et quartiers « libérés » de Syrie par les révolutionnaires.
La révolution par en bas des masses populaires de Syrie, Arabes, Kurdes et Assyriens, est la seule solution contre le communautarisme religieux et le chauvinisme nationaliste.
L’auto-détermination du peuple kurde a été renforcée par la révolution syrienne et cela doit continuer. C’est une relation dialectique.
Une défaite du processus révolutionnaire syrien et de ses objectifs marquerait très probablement la fin de l’expérience des régions autonomes du Rojava et des espoirs du peuple Kurde de décider de son propre avenir face à l’opposition de plusieurs acteurs : les impérialismes occidentaux et russes, le nationalisme chauvinisme turque et arabe et les forces réactionnaires islamiques. Dans l’autre sens, le processus révolutionnaire syrien ne serait pas complet sans la possibilité du peuple kurde de décider librement de son avenir : la séparation ou la participation et la lutte avec tous les démocrates et progressistes pour une Syrie démocratique, sociale et laïque avec ses droits nationaux garantis.
C’est pourquoi nous devons nous opposer à toutes les tentatives de compromettre l’auto-détermination du peuple kurde et la révolution syrienne car leurs destins sont liés, que cela soit du régime d’Assad, des forces islamiques réactionnaires, des différents impérialismes internationaux (Américain et Russe particulièrement) et régionaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie et Iran).
Toutes les formes de la contre révolution doivent être opposés car elles veulent diviser les classes populaires à travers le communautarisme religieux et le racisme.
Vive la fraternité des peuples en lutte pour leur libération et leur émancipation.
Vive l’auto-détermination du peuple kurde
Vive la révolution Syrienne
Vive les peuples en lutte.
Joseph Daher