La bataille qui fait rage autour et dans la ville de Kobanê, où résistent les combattantEs de l’YPG, du JPG et du PKK, a bien sûr pour but militaire la constitution d’une bande sous le contrôle de Daesh qui lui permettrait de relier ses territoires d’Irak au nord du Liban. Mais aussi un but politique… la destruction de Rojava révolutionnaire.
Depuis deux ans la province du nord de la Syrie vit dans une autonomie régie par la Charte de Rojava [1] qui garantit entre autres une égalité totale des hommes et des femmes, des élections au suffrage universel pour toutes les assemblées, législative, locales, et le non-cumul des mandats ! Mais aussi la séparation totale entre les religions et les structures étatiques et le respect de toutes les religions à égalité de traitement. Cette charte est largement inspirée par l’évolution politique du PKK et de son leader Abdullah Ocalan, qui ont depuis plusieurs années renoncé à la revendication d’État-nation pour une vision confédérale de régions autonomes, y compris pour tout le Moyen-Orient. Un programme en actes, inspiré du communalisme libertaire de Murray Bookchin, qui n’a pas échappé aux militants anarchistes qui s’y intéressent beaucoup [2]. Autant dire que pour les salafistes et autres wahhabites, les Kurdes de Rojava sont des envoyés du diable qui attaquent l’État et le lien intrinsèque de la religion avec l’État et qu’il faut les détruire à tout prix.
Mais les djihadistes de Daesh ne sont pas les seuls ennemis mortels de la province autonome de Rojava.
La Turquie qui a positionné ses chars depuis trois semaines sur les collines dominant Kobanê assiégée ne bougera pas tant que la résistance kurde tiendra tête à Daesh. Pendant ce temps, la police et l’armée turques massacrent les manifestants kurdes solidaires de Kobanê dans tout le pays. L’expérience de Rojava est autant une épine dans le pied pour l’AKP, que pour le second pouvoir turc, l’armée, profondément kémaliste et nationaliste tenant de l’expansionnisme turc dans la région, à l’opposé de la Confédération démocratique des peuples du Moyen-Orient avancée par le PKK. Les négociations entamées par Erdogan avec le PKK il y a quelques mois, après un énième cessez-le-feu du PKK, ont été de la poudre aux yeux pendant que les armes, le matériel et les combattants de Daesh transitaient tranquillement par la Turquie sans être inquiétés. Le projet de création d’une zone tampon à la frontière syrienne, dernière trouvaille du gouvernement Erdogan, revient à faire cautionner par la « communauté internationale » l’occupation de Rojava par l’armée turque et son « nettoyage ethnique », le remplacement des exilés kurdes par des réfugiés arabes syriens. Bien entendu François Hollande a tout de suite approuvé !
Quant au gouvernement Barzani de la région autonome du Kurdistan d’Irak, qui écoute depuis longtemps les sirènes du libéralisme, il a établi des liens commerciaux importants avec la Turquie, des liens policiers et militaires avec les USA et Israël, et ne fait évidemment rien pour venir en aide aux héroïques défenseurs de Kobanê.
Défendre Rojava et son emblême Kobanê, ce n’est pas seulement se révolter contre un massacre annoncé, c’est défendre une expérience révolutionnaire populaire de gouvernement féministe et démocratique unique dans tout le Moyen-Orient.
Mireille Court