C’est suite à l’appel le lundi 6 octobre du Parti démocratique des peuples (HDP, parti réformiste de gauche lié au mouvement kurde) de se mobiliser en soutien à la résistance de Kobané, que des dizaines de milliers de Kurdes ont occupé les rues, tant dans la zone kurde que dans l’ouest du pays. Ces manifestations se sont rapidement transformées en une explosion de colère reposant sur l’accumulation de déceptions causées par le refus de l’AKP (parti d’Erdogan au pouvoir) de prendre des mesures concrètes dans le cadre des « négociations de paix » engagées depuis plus d’un an et demi. À ce sentiment de « s’être fait avoir » s’ajoute aussi l’indignation relevant de la conviction largement partagée que l’AKP a soutenu l’EI d’un point de vue logistique.
Si la répression féroce de la police a provoqué une résistance tout autant violente de la part des manifestantEs (avec parfois l’utilisation d’armes à feu), l’entrée en jeu des hordes de nationalistes et islamistes turcs prêt à en découdre avec les Kurdes – que le gouvernement aurait selon eux trop « gâté » – constitue le véritable risque pour l’avenir d’une cohabitation entre les deux peuples. De plus, à Diyarbakir, principale ville kurde, des conflits armés entre manifestantEs kurdes (pro-PKK) et son rival historique, le Hezbollah (sinistre organisation islamiste radicale kurde soutenue par l’État dans les années 90) ont causé des morts des deux côtés, et de véritables tentatives de pogroms ont été entreprises envers les quartiers kurdes dans l’ouest du pays.
Le pouvoir fait la politique du pire...
Face à la tournure des événements, le leader du PKK Abdullah Ocalan et le HDP ont appelé leurs partisans au calme et à ne pas faire usage de violence, mais il semblerait que même les dirigeants du mouvement kurde aient du mal à contrôler cette révolte.
De son côté, tout en ouvrant la frontière pour les aides « humanitaires » et sanitaires, de même que pour le passage de combattants kurdes blessés, l’AKP ne cache presque pas qu’il préférerait que Kobané tombe aux mains de l’EI plutôt que d’avoir à sa frontière un canton autonome kurde sous la direction du PYD (affilié au PKK). Cela pourrait constituer un « mauvais exemple » pour les Kurdes de Turquie...
Face aux événements de la semaine dernière, le président de la République Erdogan et l’état-major de l’AKP dénoncent ces émeutes, les qualifiant de tentative de renversement du gouvernement dans la lignée de la révolte de Gezi et des opérations anti-corruptions de décembre 2013 (visant Erdogan et ses proches). Ils projettent un renforcement de l’appareil sécuritaire et répressif.
Autre problème, la relative sympathie des républicains de gauche turcs envers les Kurdes et le HDP, sympathie qui s’était établie suite au combat commun lors de la révolte de Gezi, a commencé à s’effacer : malgré une opposition commune à l’AKP et à l’EI, les sentiments nationalistes reprennent le dessus... La tâche de l’extrême gauche de forger un vaste mouvement de solidarité avec la résistance de Kobané est tout autant urgente que difficile.
D’Istanbul, Uraz Aydin