Depuis que la bataille Testet a commencé, plein de questions m’interrogent.
D’abord, ces 40 hectares de terres qui vont disparaître sous l’eau. 40 hectares de très bonne terre, des terres d’alluvions qui pourraient faire de très beaux jardins…
A la vue de cette vallée, je dirais simplement que sur ce terrain nous pourrions installer une vingtaine de maraîchers qui à eux seuls nourriraient la ville de Gaillac et même plus.
Noyer cette vallée est un crime. Nos enfants nous le reprocheront…
Je reviendrai tout à l’heure sur l’agriculture mais je voulais parler aussi de cette violence que les gendarmes emploient contre depuis début septembre. Entre nous, ils ont l’air plus à l’aise sur le bitume que dans les champs ou les forêts. Mais, les coquins ils s’adaptent très vite : quand ils courent avec leurs bottes jusqu’aux genoux, on dirait des pingouins !!
Plus sérieusement, ces gens là me font peur. Moi même, j’ai été plaqué au sol pendant un certain temps. Et pour que je ne parte pas, un de ces costumés a été désigné pour me garder. Personnellement, je n’avais pas tellement envie d’engager la conversation mais au bout d’un moment, c’est lui qui se met à parler. « Je vais quitter ce métier » me dit-il. Me voyant étonné, il poursuit : « on nous demande de faire des actes de plus en plus durs, je veux partir ».
Mais rassurez-vous !!! Il va en rester !! J’ai rencontré aussi ce chef qui m’empêchait de passer et qui, lui, n’est pas prêt de partir !! Je lui ai dit que nous ne sommes pas des brigands, que nous défendons la nature. Et il me répond : « nous sommes ici pour faire respecter l’ordre et nous sommes aux ORDRES ».
Quand ce chef m’a dit « nous sommes aux ordres », je suis revenu 50 ans en arrière : c’était la guerre d’Algérie. Nos chefs étaient aux ordres et quels ordres !! Tuer, torturer, brûler, violer : ils étaient aux ordres…. !
Le temps a passé mais les ordres sont toujours les ordres et si demain ces messieurs ont l’ordre de nous tirer dessus avec des balles réelles, cela fera plus mal que les balles de caoutchouc. D’autant plus que ces gens là n’ont pas le droit de réfléchir. A la guerre, on nous disait : chercher à comprendre, c’est commencer à désobéir.
Et tout cela m’aide à comprendre comment pendant la guerre de 45 la police a pu faire des rafles des indésirables : ils étaient aux ordres.
Revenons à l’agriculture. Si nous continuons à cette cadence à détruire de la terre agricole pour faire des golfs, des autoroutes, des barrages, des zones industrielles, dans 100 ans, cette terre agricole aura disparu. Car tous les 7 ans, l’équivalent d’un département français est volé à l’agriculture.
Et d’ailleurs, aujourd’hui, pourquoi veulent-ils ce barrage ?
La réponse n’est pas très claire.
La plus vraisemblable serait pour arroser le maïs et faire quelques quintaux de plus à l’hectare. Faut-il faire plus de rendement : les derniers quintaux sont toujours les plus chers et les plus polluants. Et puis, faut-il faire plus de maïs ? Nous faisons déjà trop de maïs, trop de céréales. Nous les exportons et ainsi nous ruinons les paysans de ces pays. Comment ces paysans pourraient-ils lutter contre nos prix ? Comment pourraient-ils lutter contre notre agriculture subventionnée et mécanisée ?
Les paysans sont donc obligés de quitter leurs fermes et vont souvent grossir les bidonvilles.
Revenons au barrage.
De tout temps ou du moins du temps que je me souvienne, les paysans n’ont pas attendu que les conseillers généraux leur disent qu’il fallait stocker l’eau : ils faisaient des citernes et des marres. Alors messieurs les petits technocrates, laissez nous avec notre sagesse et notre savoir faire. Nous sommes assez grands pour savoir ce que nous devons faire. Et si nous nous réunissions, les paysans de la vallée du Tescou et décidions ensemble si nous avons besoin de retenues d’eau collectives ou individuelles. Mais que l’on ne vienne pas d’Albi, de Paris ou de Bruxelles pour nous dire ce que nous devons faire.
A travers le refus de ce barrage, nous disons aussi non à cette agriculture productiviste. Cette agriculture qui nous interroge sur plusieurs points :
A partir des années 1960, la France agricole avait assez de denrées : légumes, céréales, lait, fruits, viandes pour nourrir ses habitants. Pourquoi nous n’en serions pas restés à ce stade : les paysans étaient nombreux, les fermes étaient moyennes, pas trop polluantes. Nous ne vivions pas trop mal sans prime ni subvention. Alors pourquoi cette marche en avant a continué : tout simplement parce que la machine profit était en marche !! Cette machine s’appelait Crédit Agricole, INRA, industrie agro-alimentaire, marchands de machines, d’insecticides, de pesticides, et tout ce monde voulait continuer à s’enrichir sur le dos des paysans.
Les paysans, poussés par la grande FNSEA ont été pris dans la tourmente. Ils ont contribué à enrichir tout ce monde qui tournait autour de l’agriculture ; mais eux, on les a poussé à s’endetter au point d’en crever : tous les 2 jours, un paysan se suicide en France.
La FNSEA en accord avec les gouvernements a bien contribué à vider les campagnes. Aucun syndicat n’a été aussi fort pour éliminer ses adhérents ou les envoyer en ville. Durant les années 70, elle a même inventé l’IDV (Indemnité Viagère de Départ). Une prime pour que les paysans arrêtent d’exploiter dès l’âge de 55 ans. Par contre, aucun encouragement de ce même syndicat pour que des jeunes s’installent à la terre. Eh oui ! A l’époque on avait besoin de main d’œuvre dans les usines et d’une main d’œuvre endurante, travailleuse et docile…
Et pendant ce temps, les fermes sont devenues des usines et le monde paysan a disparu.
Plutôt que de faire encore un barrage, faisons pression pour redistribuer cette terre nourricière.
Faisons pression, même si ce mot fait peur, pour une réforme agraire.
Celui qui a 100 hectares, il serait le même si on lui en prenait 10 pour installer 10 maraîchers.
Pour conclure, je voudrais dire à ceux qui veulent tout gérer que nous sommes là et que nous aussi nous avons notre mot à dire.
Nous allons décider ensemble s’il faut un barrage ou pas.
Nous voulons décider avec vous comment nous voulons vivre, et comment nous devons entretenir cette nature, cette planète.
Nous voulons, avec vous, voir si les richesses eau, air, terre, argent, peuvent être mieux partagées entre riches et pauvres.
N’attendons surtout pas que les élus nous proposent des solutions. Les solutions, c’est nous, le peuple, qui devons les trouver, les proposer et forcer la main à nos élus pour changer ce monde.
Rémy Serre