La volte-face du premier ministre Najib Razak n’augure rien de bon pour les libertés politiques en Malaisie : jeudi 27 novembre, lors d’un discours prononcé lors du congrès annuel de son parti, le chef du gouvernement a déclaré qu’il avait décidé de « maintenir » une « loi antisédition » que ses adversaires affirment être utilisée de manière croissante pour museler l’opposition.
M. Razak avait pourtant affirmé, en 2012, qu’il était en faveur de l’abrogation de cette loi appartenant « à une époque révolue ». Le « Sedition Act » avait été promulgué en 1948, durant la colonisation britannique, à un moment où la Malaisie était aux prises avec une insurrection communiste. Soixante-huit ans plus tard, trois ans de prison peuvent encore être requis en Malaisie contre ceux accusés de « sédition ».
« Culture de la peur »
Il est clair aujourd’hui que les promesses du premier ministre avaient été faites dans le but de s’assurer le soutien des électeurs avant les prochaines élections législatives. Mais ces dernières, tenues en mai 2013, furent marquées par une nette désaffection des votants à l’égard du Barisan Nasional (Front national), au pouvoir depuis l’indépendance de 1957. Cette coalition d’une quinzaine de partis avait péniblement raflé moins de 50 % des suffrages tout en parvenant, grâce à un découpage électoral surreprésentant son électorat traditionnel – l’ethnie malaise des campagnes – à s’assurer une confortable majorité au Parlement.
Plus d’un an après cette victoire, le premier ministre n’avait plus besoin de courtiser un électorat qui l’abandonne. Au lendemain du scrutin, le chef du gouvernement avait reconnu la mauvaise performance de sa formation, qualifiant de « tsunami » le fait qu’une grande partie des membres de la communauté chinoise, qui représente 25 % de la population, avait voté pour ses adversaires.
Devant les membres de son parti qui l’ont ovationné, Najib Razak a ajouté que cette loi serait « renforcée afin de la rendre plus efficace ». Elle sert déjà à régler des comptes politiques : plus d’une trentaine de personnes, la plupart des opposants au « règne » du Barisan Nasional, ont été cette année accusées ou condamnées aux termes de la loi antisédition. Y compris l’ancien vice-premier ministre et ténor de l’opposition Anwar Ibrahim, qui attend par ailleurs son jugement pour actes de sodomie, une pratique sexuelle interdite en Malaisie. La loi servira également, a précisé le chef du gouvernement à « protéger l’inviolabilité de l’islam ».
Le discours de Najib Razak a provoqué de vives réactions dans l’opposition et les milieux de défense des droits de l’homme. Anwar Ibrahim a accusé le premier ministre d’« insuffler une culture de la peur ». « C’est le début d’un règne autoritaire », a-t-il affirmé.
« Puisque cette loi permet au gouvernement de qualifier pratiquement tout de séditieux, il faut s’attendre à de nouvelles répressions contre les militants de la société civile et les figures de l’opposition », a prédit Phil Robertson, responsable pour l’Asie de l’ONG Human Rights Watch.
Certains analystes estiment que la décision de Najib Razak est un message fort envoyé aux non-musulmans, aux Chinois et autres minorités ethniques pour les inciter vivement à ne pas trop s’insurger contre un système politique privilégiant surtout les Malais « ethniques », qui représentent 60 % de la population. Et restent le socle du soutien électoral de la coalition au pouvoir.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Journaliste au Monde