Dragon asiatique redouté pour son dynamisme économique, la Corée du Sud connaît en ce début d’année 1997 une crise politique et sociale sans précédent. C’est une véritable épreuve de force qu’ont engagée les syndicats contre le gouvernement du président Kim Young-sam, à la suite de l’adoption à la sauvette, le 26 décembre, à 6 heures du matin, par l’Assemblée nationale d’une série de mesures de régression sociale. Depuis lors, grèves et manifestations de rues se succèdent sans discontinuer à Séoul et dans les grandes villes industrielles, affectant particulièrement le secteur automobile et les chantiers navals, mais aussi certains services publics.
La nouvelle loi sur le travail autorise les entreprises, en cas de conflit social, à remplacer les salariés grévistes par des intérimaires, elle facilite les licenciements, assouplit la flexibilité et les horaires de travail ; elle interdit, enfin, jusqu’au-delà de l’an 2000 la création de nouveaux syndicats. Dans la foulée, les parlementaires ont adopté, en l’absence de l’opposition, une série de réformes, parmi lesquelles un texte qui renforce les pouvoirs des services secrets, qui furent, sous la dictature, l’instrument de l’arbitraire. Les syndicats redoutent que ces pouvoirs accrus octroyés à l’Agence de sécurité nationale ne soient utilisés contre eux.
Les grèves ont déjà causé des pertes qui se chiffrent par centaines de millions de dollars. Elles se produisent à un moment où l’économie sud-coréenne aborde une phase d’adaptation délicate, marquée par la volonté de ses dirigeants d’approfondir l’insertion du pays dans l’économie mondiale. La démocratisation, entamée depuis 1987, s’est traduite par une flambée de revendications ouvrières, longtemps étouffées par les régimes dictatoriaux précédents. Les fortes augmentations de salaires obtenus en 10 ans (en moyenne, + 15 % par an) ont entamé la compétitivité des industries exportatrices, dont les coûts salariaux sont désormais plus élevés que ceux de Taiwan et de Singapour. Conséquence : en 1996, le déficit du commerce extérieur s’est considérablerment creusé.
Cette crise survient, d’autre part, alors que la Corée du Sud doit faire face aux conséquences de son adhésion, en décembre 1996, à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : levée de certaines barrières tarifaires pouvant entraîner la perte de 170 000 à 400 000 salariés, mais aussi nécessité de plus grandes libertés syndicales.
C’est un syndicat non reconnu légalement, la Confédération coréenne des syndicats (KCTU, en anglais), qui est, depuis le début, le fer de lance de la contestation. Son leader, Kwon Young-kil, un ancien journaliste - il fut correspondant à Paris de 1981 à 1988 - ne cache pas qu’au-delà de l’objectif immédiat de l’abrogation de la « loi scélérate » son combat est plus global. La lutte des salariés sud-coréens, assure-t-il, vise à « une réforme globale de la société » dans le sens de la démocratie.
Depuis le 10 janvier 1997, Kwon Young-kil, qui a déjà fait quatre mois de prison, est, avec vingt autre syndicalistes, sous le coup d’un mandat d’arrêt. Son syndicat n’étant pas reconnu, ses actions sont illégales. La mobilisation ouvrière a toutefois conduit la Fédération des syndicats coréens (FKTU), une organisation légale forte d’1,2 million de membres (contre 300 000 à la KCTU) à soutenir le mouvement et à appeler à la grève générale, mardi 14 janvier. Le mouvement a, en outre, reçu l’appui de l’Eglise catholique : le cardinal Kim, évêque de Séoul, a demandé au gouvernement de reprendre le débat sur la loi controversée.
Premier président démocratiquement élu, le président Kim Young-sam a progressivement renoué avec les méthodes autoritaires de ses prédécesseurs. On compte autant de syndicalistes en prison que du temps des généraux-dictateurs. Invoquant la « survie nationale » du pays et la nécessité de mesure d’urgence dans le contexte de globalisation de l’économie, M. Kim affirme sa volonté de passer outre à la contestation. Après trois semaines de conflit, la détermination, dans chaque camp, paraît égale.