A l’écran, même la musique semble noyée dans les paillettes or. Place au générique de la soirée la plus kitsch de l’année : l’élection de Miss France. Trente-trois aspirantes livrées sur un plateau (télé) parmi laquelle il faut choisir la plus belle. Car malgré les dénégations d’usages (« il n’y a pas que le physique » qui compte, récitent-elles parfaites en maillots sur la plage) aucune n’a été choisie pour sa connaissance approfondie des théories kantiennes.
Organisée à Orléans (ville natale de la précédente Miss France), la soirée tient toutes ses promesses. Sur scène un escalier lamé hypertrophié rappelle les grandes heures de Champs Elysées ; mais c’est Jean-Pierre Foucault, au teint « terre de soleil » qui tient le micro de présentateur d’un gala sur le thème du cinéma.
Les filles défilent en héroïnes du grand écran ou plutôt en seconds rôles décoratifs. Arrivent d’abord les hôtesses de saloon en corset et jupe à maxi panier aux volumes de pièces montées ; leurs succèdent les hôtesses de bar à cocktail de Science Fiction (les fans de Star Wars hyperventilent) en bustier argent puis les hôtesses façon club Mickey (annoncées comme les danseuses de West Side Story) paradent en jupettes à pois piquées à Minnie. Le défilé en costumes régionaux revisités par des créateurs locaux tient du ballet conceptuel hallucinatoire relevé de clichés douteux (Miss Corse en Napoléon ? Même pas peur).
KITSCH DISTRAYANT ET VÉRITÉ DÉPLAISANTE
« L’épreuve du maillot » est encore plus douloureuse pour le spectateur sensible au ridicule : des modèles une pièce rose Barbie à tête de tigre sur les fesses portés avec des oreilles de chat poussent la métaphore féline dans le ravin. Le marathon de clichés clinquants s’étire. Les mâchoires et les bras sont ankylosés à force de sourire mains sur les hanches. Plus que 12. Plus que 5. Et Miss France 2015 est : Camille Cerf, Miss Nord-Pas-de-Calais, une blonde de 20 ans étudiante en école de commerce et fan de natation. Difficile de trouver à redire : rien ne la distingue vraiment des autres.
Derrière le kitsch distrayant se cache une vérité déplaisante. Ce concours est une machine à formater la féminité. Ces filles ont le même physique sain et propret : 1,70 m minimum, une silhouette fine, des seins pas trop gros, des cheveux longs. Elles ont le même profil : elles aiment le sport, la famille, l’humanitaire, veulent exercer des professions dites féminines (professeurs, éducatrice, directrice marketing dans la cosmétique). C’est une armée de clones aseptisés qui vient d’occuper la soirée. Et délivre un bon vieux message sexiste : sois belle, sois sage et tais toi, toi aussi tu auras une couronne en strass.
Finalement ce spectacle est beaucoup plus nocif pour les petites filles qu’un clip de Rihanna. Elle aussi porte des tenues douteuses mais elle gagne des millions en désobéissant et n’a pas déclaré à toute la France qu’elle lisait Marc Levy.
Carine Bizet (M le magazine)
Journaliste au Monde