Gohar était réveillé à présent ; il venait de rêver qu’il se noyait. Il se souleva sur un coude et regarda autour de lui, les yeux emplis d’incertitude, encore hébété par le sommeil. Il ne rêvait plus, mais la réalité était si proche de son rêve qu’il demeura un instant perplexe, fortement conscient d’un danger qui le menaçait.
(Albert Cossery, Mendiants et Orgueilleux)
Le dernier desin de Charb dans « Charlie »
D’ordinaire, Mustapha venait dans les locaux de Charlie le lundi, pour le bouclage, correcteur. Ce mercredi, il y était aussi, à la table de la conférence de rédaction. Mauvais jour, bien mauvais jour, les armes se mirent à crier, plus de Mustapha, d’un coup devenu l’un des douze assassinés.
Marc, qui le connut au Livre de Paris,
Claude, qui travailla dix ans avec lui, notamment chez Viva Presse,
Marie-Do, actuellement à MetroNews, qui le rencontra aussi à Viva,
Sylvie et Claire, secrétaires de rédaction chez Viva,
Linette et Lea, des amies de longue date...
baignés d’un chagrin profond, les mots vont et reviennent : tact, discret mais brillant, acuité, humour, pertinence et élégance dans le travail, maîtrise et amour de la langue, la poésie, la littérature, délicatesse, on pouvait compter sur lui. “Quand j’avais besoin d’un conseil sur la langue, dit Marie-Do, c’était toujours un interlocuteur subtil.” Autodidacte lettré né en Algérie (où il avait vécu à la dure), dans un village des montagnes de Kabylie, Mustapha Ourrad, que Marie-Do ressentait comme un “athée soufi”, aimait parler par paraboles, raconte-t-elle. Telle celle-ci : Deux hommes ont un différend, ils vont alors consulter un sage soufi pour les départager. Le premier expose son cas ; le sage lui dit : “Je te comprends, tu as raison.” Le second donne alors sa vision des choses ; “Oui, je te comprends, lui dit le sage, tu as raison.” Un témoin de la scène vient s’étonner face au sage : “Comment peux-tu dire à chacun qu’il a raison ? ce n’est pas possible...” “Tu as raison”, répond le sage.
Jaime, qui fut responsable du service correction au Livre de Paris, se rappelle l’arrivée dans le cassetin d’“un homme longiligne, modestement vêtu, très digne dans ses vêtements fatigués”. “A la fin de la journée de travail, on rentrait de Bagneux à plusieurs en voiture, raconte Jaime. J’avais imposé comme tarif du voyage qu’on chante, raconte des histoires… Mustapha, c’était la poésie. Il disait du Victor Hugo, du Rimbaud et surtout du Baudelaire, jamais les mêmes vers.”
“Face à cette ironie de l’histoire, dit Linette, il aurait peut-être trouvé une phrase de Baudelaire.” Mustapha aimait aussi lire Albert Cossery, il avait 60 ans, deux enfants, une fille, Louisa, et un garçon, Lounis.
Martine Rousseau et Olivier Houdart
* Pour soutenir “Charlie” et les familles des victimes de l’attentat,
une collecte est lancée
https://www.leetchi.com/c/solidaritecharlie