Il est presque amusant de voir des responsables socialistes se féliciter de ce succès, alors que celui-ci s’accompagne d’un effondrement total du Pasok, qui en 2009 obtenait encore plus de 3 millions de voix avec un score de 44 % des voix et 160 sièges... Hier soir, il en a obtenu 290 000, avec 4,7 % des voix, ses régions historiques comme la Crète étant l’exemple extrême de sa chute, avec transfert de ses voix en grande partie sur Syriza. Ainsi, sur Hirakleio, en 2009, le Pasok obtenait 54,6 %, Syriza 4,3 % ; en juin 2012 18,6 %, Syriza 33,6 % et hier le Pasok se retrouve à 5,9 %, Syriza à 47,9 % !
Et c’est là l’un des enseignements du scrutin d’hier : oui, il est possible que, assommée par des politiques d’austérité pendant 5 ans, la population se détourne des partis socialistes sur la gauche, et c’est une excellente nouvelle pour la France, la fuite en avant à droite ou pire n’est pas une fatalité !
Cela dit, en cette première matinée post-électorale, on peut déjà observer quelques résultats importants de ces élections.
La politique de la troïka battue, mais pas de raz-de-marée
Certes le Pasok s’effondre, et la scission récente opérée par Giorgos Papandreou n’obtient que 2,5 %, piquant au passage des voix au leader Venizelos mais aussi à Syriza (ainsi à Hirakleio, il obtient 5,06 %). La droite, quoi qu’en dise l’ex-Premier ministre de droite extrême, Antonis Samaras, est aussi désavouée : alors qu’elle a tout mis sur la polarisation de classe, elle passe de 1,825 million de voix et 29,66 % en juin 2012 à 1,717 million et 27,81 % en 2015. Les critiques internes ont fusé dès hier soir contre une campagne de guerre à peine froide, et seuls les fascistes recyclés dans la Nouvelle Démocratie se félicitaient hier d’un écart avec Syriza qui n’est « que » de 8,5 % des voix !
Un tel écart était pourtant tout à fait inattendu, le plus probable était un très faible écart. On peut déjà dire que cette grande différence entre Syriza et la droite est le produit de 3 facteurs : une campagne à la droite extrême ratée, avec des rassemblements peu fréquentés ; des signes de déverrouillage des instances européennes ; le résultat à la fois des protestations contre les ingérences européennes anti-gauche, mais aussi des contacts rassurants avec des représentants de Syriza ; Et surtout un sentiment populaire croissant qu’il fallait en finir avec les mémorandums et que cela passait par un vote Syriza.
Cela dit, après 5 ans de mémorandums, la situation n’a pas été complètement clarifiée, loin de là : à côté de la droite et du Pasok, il faut ajouter d’autres scores clairement à droite. D’abord, bien sûr, celui des nazis : s’ils perdent un peu (441 000 voix en mai 2012, 426 000 en juin 2012, 388 000 en 2015, passant de 18 à 17 députés), ils sont le 3e parti, après une campagne fort discrète avec la moitié de leurs chefs en prison et une qualification d’organisation criminelle. La mobilisation contre les nazis doit désormais s’amplifier ! A côté de cela, on doit observer que divers regroupements de droite subsistent, parfois en se faisant appeler « centre », en tout cas clairement anti-gauche : cela va de l’extrême droite Laos (1 %) et diverses boutiques comme Potami (le Fleuve, dernier gadget créé et soutenu par les médias : 6 % !), Union des Centres (1,8 %) ou Teleia (1,7 %)...
Un cas particulier est celui d’Anel (Grecs indépendants) de l’ex-député de la droite Kammenos : ce parti, qui obtient 4,75 % (7,5 en juin 2012), est prêt à soutenir Syriza ou même à participer au gouvernement pour en finir avec les mémorandums, mais en prévenant que son nationalisme et ses positions réacs (défense farouche de l’orthodoxie) lui serviront de boussole…
A gauche : premières estimations
On ne peut que saluer le score de Syriza qui a su capter la colère populaire et le traduire en victoire électorale, avec des chiffres impressionnants. En nombre de voix, il passe de 315 000 en 2009, 1,655 million en juin 2012 à 2,244 millions en 2015, avec des progressions selon les lieux qui vont de 7 à plus de 20 %. Il est clair que l’électorat du Pasok s’est en grosse partie reporté sur Syriza, et c’est très bien ainsi !
Cela dit, en dehors des impasses dans le programme d’un parti largement dominé par la direction droitière de l’ex-Synaspismos, la soirée électorale montre des limites inquiétantes que seule la mobilisation des travailleurEs pourra dépasser. La première est justement le chiffre très élevé de l’abstention, le 2e historique depuis 1974 : 29 % en 2009, 34,9 % en mai 2012, 37,5 % en juin 2012, 36,1 % en 2015. Ce résultat est signe à la fois du poids de la crise sur la confiance en des solutions politiques, mais aussi du fait que Syriza n’a pas su convaincre toute une partie des couches populaires dans des régions déshéritées comme celle d’Evros. En même temps, les scores de Syriza dans des banlieues ouvrières sont encourageants : 37,8 % sur la banlieue d’Athènes (31,4 % en juin 2012), 42 % (36,3 % en 2012) sur celle du Pirée…
Hier soir, l’ambiance reflétait d’ailleurs cette situation : ambiance de fête au centre d’Athènes, autour des locaux électoraux de Syriza, mais sans les foules des soirées de victoire sur la droite des années 80 à 2000. Et plus symbolique : dans son discours, Tsipras n’a pas mentionné hier deux ou trois luttes phares sur lesquelles sont attendues au plus vite des solutions de justice sociale : les nettoyeuses du ministère du Travail, les habitants de Skouriès, en lutte depuis des mois contre l’ouverture d’une mine d’or, et la réouverture de la radio télé ERT, réduite à l’écran noir par Samaras et cie. Pour ce dernier cas, une responsable de Syriza est certes allée hier soir rencontrer les travailleurEs qui ont lutté en maintenant une ERT-open, mais c’était surtout un message pour dire qu’il n’y aurait pas ce dimanche soir de rassemblement là bas, alors que bien des militantEs s’y préparaient !
Pourtant, il faut être clair : dans une situation où la gauche est minoritaire (total environ de 47 % des voix), seules les mobilisations pourront faire avancer radicalement les affaires des jeunes et des travailleurs, en faisant tout pour qu’elles soient unitaires !
Et précisément, du côté du KKE (PC grec) , hier soir rien ne semblait avoir changé... Avec un score de 5,5 %, sa direction est presque triomphaliste, en insistant sur le gain par rapport à juin 2012 (4,5 %). Mais ce faisant, elle oublie que l’objectif était d’être le 3e parti (il est 5e), et qu’en mai 2012, son score était de 8,5 %... Et ses premières déclarations ne vont pas dans le sens de l’unité dans les luttes.
Antarsya se tire assez bien d’une épreuve électorale difficile, dans un contexte où pas mal de ses sympathisantEs s’apprêtaient à voter Syriza, sans illusion. Elle passe de 20 500 voix en juin 2012 à 39 400 (0,65 %). Mais bien sûr, elle est loin du seuil de 3 % pour obtenir des députés, et loin aussi des 75 400 voix de mai 2012. Sa première déclaration appelle à la mobilisation pour reprendre tout ce qu’ils nous ont volé, insistant sur le rôle que doivent jouer les forces militantes de la gauche.
Dans cette situation complexe, faite à la fois de l’immense joie d’avoir fait gagner un non de gauche à l’austérité mais aussi de bien des inquiétudes sur la suite, il est clair qu’il n’y a pas une seconde à perdre : tous ensemble, en Grèce et en Europe, pour vaincre la politique des troïkas du capital !
Le 26 janvier 2015
D’Athènes, A. Sartzekis