Ce 27 janvier, c’est sans doute pour la dernière fois qu’un certain nombre de rescapés sont venus se recueillir devant les rails qui ne menaient nulle part, sous la neige d’Auschwitz. Avec eux un certain nombre de dignitaires de cet ordre mondial que nous refusons, cet ordre qui amène tant de souffrances pour les peuples. Les commentaires des grands médias ne retiendront certainement que cet aspect. Mais l’essentiel, ce sont avant tout ces rescapés de l’enfer nazi venus témoigner.
Car après eux, il nous faudra maintenir la mémoire d’Auschwitz. Même si elle est institutionnalisée aujourd’hui, elle demeure essentielle pour celles et ceux qui veulent changer le monde. Car pour le transformer, il faut d’abord savoir garder la mémoire des oppressions passées. La mémoire des bateaux chargés d’esclaves qui dépeuplèrent l’Afrique pour les profits d’une minorité. La mémoire des Arméniens massacrés par un nationalisme exacerbé, lors d’un génocide perpétré il y aura cent ans en avril prochain. Et tant d’autres mémoires…
Ce que représente à jamais Auschwitz, c’est la volonté de détruire, non pas dans un but économique, non pas dans un but politique. Détruire pour, comme le disait Himmler « faire disparaître ce peuple de la terre ». Pour réaliser cela, les nazis ont fait venir jusque dans ces quelques hectares de terre de Pologne des Juifs de tous les coins de l’Europe. Ils en ont même transporté en avion depuis la Tunisie ! Ils ont mis en place des moyens considérables, soustraits à leur effort de guerre, pour ce seul but : éliminer. Eliminer des êtres dangereux parce que différents. C’est cela la spécificité terrible du nazisme : détruire l’autre, parce qu’il est autre. Et le détruire totalement. C’est en cela que les chambres à gaz ont une signification essentielle : on ne ressort pas de la chambre à gaz… Le remarquable documentaire que diffuse la télévision, basé sur les travaux d’historiens, nous rappelle opportunément ce que fut le nazisme, alors que d’aucuns voudraient le comparer à contresens à d’autres événements, passés ou actuels.
Garder présente la mémoire d’Auschwitz, cela prend un sens particulier en ce début d’année où des fanatiques que nous ne pouvons désigner autrement que comme des fascistes ont massacré, après avoir tué nos amis de Charlie, 4 Juifs, coupables seulement d’être juifs. Comme trois ans auparavant un autre assassin avait pris la vie de 4 Juifs, dont 3 enfants. Sans que l’on s’émeuve et descende dans la rue. En 2014, les actes antisémites ont doublé, les violences physiques ont progressé de 130 %. La tuerie de Vincennes n’est pas qu’un acte isolé, elle repose sur un terreau antisémite inquiétant, alimenté par les délires de Dieudonné, les théorisations fascistes de Soral. Un terreau antisémite qui existe dans les quartiers populaires, y compris dans des milieux eux-mêmes victimes de discriminations. Sans oublier que, si l’extrême droite française s’est choisie pour le moment d’autres cibles, ses adeptes restent aux aguets pour alimenter l’antisémitisme. Plus que jamais, nous devons être vigilants et redire que rien ne justifie la haine des Juifs. Nous devons être à leurs côtés contre les menaces qui les visent.
Non, la mémoire d’Auschwitz n’est pas la « religion civile du monde occidentale ». Elle fait partie intégrante de la mémoire des opprimés, de la mémoire de celles et ceux qui continuent à croire en un avenir socialiste. Oui, elle peut continuer de protéger, non seulement les Juifs, mais aussi toutes les victimes du racisme. Dans la France d’aujourd’hui, nous devons la reprendre à notre compte pour affirmer notre refus des assassinats de la porte de Vincennes, notre refus des attentats contre les mosquées.
La leçon d’Auschwitz, ce devrait être le refus des discriminations, le « vivre ensemble » : nous savons maintenant que le vieux monde n’a pas réussi à l’imposer. A nous d’y réussir. Les rescapés qui étaient à Auschwitz ce 27 janvier nous le demandent. Répondons présent.e.s.
Robert Hirsch