Le verdict est tombé, mercredi 4 février. D’une sévérité sans précédent. Ahmed Douma, un révolutionnaire de gauche, a été condamné à la prison à vie, avec 229 coaccusés, pour « rassemblement illégal », « possession d’armes », « troubles à l’ordre public », « vandalisme » et « incitation à la violence ». Trente-neuf mineurs ont également été condamnés à 10 ans de prison. Ces militants libéraux étaient accusés d’avoir pris part à des affrontements entre forces de sécurité et manifestants devant le siège du gouvernement au Caire, en décembre 2011, faisant 18 morts. Ils ont également été condamnés à une amende collective de 17 millions de livres égyptiennes (2 millions d’euros) pour les dégâts occasionnés par l’incendie à l’Institut d’Egypte dans lequel ont été détruits des livres et manuscrits rares, datant notamment de la période napoléonienne.
Tous avaient participé à la révolution du 25 janvier 2011 qui a vu la chute du président Hosni Moubarak. Tous étaient déterminés à poursuivre leur combat pour plus de démocratie et de libertés. Ces peines, les plus sévères prononcées contre des militants libéraux depuis 2011, s’inscrivent dans la lignée d’une série de condamnations à mort et de longues peines de prison prononcées parfois lors de procès de masse expéditifs. Depuis juillet 2013, les partisans de la confrérie des Frères musulmans – classée organisation terroriste –, mais aussi les militants révolutionnaires sont les cibles d’une féroce répression. « C’est un verdict extrêmement dur. C’est un verdict contre la révolution, qui montre la haine personnelle du juge pour la révolution et ses militants », a déploré à l’AFP Mohamed, le frère de M. Douma.
Jugements à l’emporte-pièce
Ahmed Douma, 29 ans, avait été arrêté en décembre 2013, après une manifestation contre une nouvelle loi controversée limitant… le droit de manifester. Rejoignant de nombreux compagnons de manifestation sur le banc des accusés, il a été condamné à trois ans de prison. Sa condamnation, comme les autres, avait suscité un tollé parmi les organisations de défense des droits de l’homme égyptiennes et internationales, qui dénonçaient à la fois les termes de la loi antimanifestation et l’absence de preuves pour les charges de « vandalisme » et d’« incitation à la violence ».
Le deuxième procès, pour les événements de décembre 2011, a été une véritable épreuve pour M. Douma. En grève de la faim depuis le 20 août 2014, sa santé s’est rapidement détériorée jusqu’à nécessiter, en octobre, son transfert en soins intensifs. Ses avocats ont dénoncé le « traitement arbitraire » dont il a fait l’objet par le juge Nagy Chehata. Le juge Chehata, aussi connu pour les lunettes de soleil qu’il arbore pendant les audiences que pour ses jugements à l’emporte-pièce – à l’instar de la condamnation, en juin 2014, des trois journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazira ou la condamnation à mort de plus de 188 pro-Morsi à Kerdassa en décembre 2014 –, a longtemps refusé d’autoriser son transfert à l’hôpital de la prison. Obligation été faite à M. Douma d’assister à de longues audiences assis dans un fauteuil roulant.
« A la suite des pressions du juge, Ahmed Douma avait demandé aux avocats de retirer leur demande d’ajouter des éléments de preuves au dossier pour accélérer la procédure. Il y a une interférence du juge entre l’avocat et l’accusé et un sabotage en jouant sur la santé du prévenu, qui craque », indiquait durant le procès Rawda Ahmed, de l’organisation égyptienne Anhri. « Les juges qui officient dans les cellules judiciaires antiterroristes, comme Nagy Chehata, agissent en fonction d’une conception de la justice où tout le monde est d’emblée condamnable », poursuit-elle. Lors d’une audience précédente, le juge avait condamné Ahmed Douma à trois ans de prison pour avoir insulté le pouvoir judiciaire. Le militant, âgé de 26 ans, avait dénoncé un procès politique.
Le Syndicat des avocats a décidé de boycotter le procès pour protester contre les violations des droits de la défense. Avant de se retirer du procès, les défenseurs de prévenus se sont plaints à plusieurs reprises du refus du juge d’accéder à leurs demandes, notamment l’accès au dossier ou la permission de produire des témoins. Cinq avocats ont été signalés au procureur pour irrespect envers le tribunal. Yasmine Houssam Eddin, l’une des avocates de la défense, a indiqué au journal électronique égyptien Mada Masr qu’elle ferait appel du jugement pour absence de défense indépendante.
Hélène Sallon