Si le deuxième congrès du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) avait ouvert un chemin pour sortir du blocage lié à la scission de 2012 [1], le troisième a montré les difficultés du travail entrepris. Le résultat du vote sur les différentes plateformes (Pf) est un bon exemple de ces difficultés : 35,23% pour la Pf-1 (Olivier Besancenot, François Sabado, Christine Poupin, Sandra Demarcq) ; 25,91% pour la Pf-2 (Alain Krivine, Yvan Lemaitre) ; 21,6% pour la Pf-3 (courant Anticapitalisme & Révolution, Gaël Quirante, J-F Cabral) ; 6,74% pour la Pf-4 (courant issu de Lutte ouvrière) ; même pourcentage pour la Pf-5 (ex-lambertistes), et 3,91% pour la Pf-6 (somme des platesformes locales en faveur de l’unification des plateformes nationales 1 et 2).
Ce fut donc une occasion manquée de consolider le parcours ouvert lors du précédent congrès, en raison de la division de la précédente majorité (qui avait obtenu 51%) en deux plateformes : la PF-1 (avec notamment Olivier Besancenot et François Sabado) et la Pf-2 (avec notamment Alain Krivine et Yvan Lemaitre). Et cela malgré l’affaiblissement du courant sectaire Anticapitalisme & Révolution qui recule de 10,4% par rapport au précédent congrès.
La division de la majorité répond à la fois à l’incapacité de la direction d’élaborer un texte commun avec des fenêtres identifiées sur les points divergents qu’à la cristallisation de désaccords qui ne peuvent pas être sous-estimés.
Certains de ces désaccords ont été exprimés avant le congrès au sujet de la solidarité avec le peuple grec. Une nouvelle majorité au sein de la direction du NPA (formée par l’addition contre la Pf-1 des membres des plateformes 2, 3, 4 et 5) s’était, en effet, positionnée à la fois contre la participation au meeting unitaire du 19 janvier à Paris et aussi contre la signature de la déclaration de soutien au peuple grec provenant de l’État espagnol [2]. Ces refus ont été défendus dans le premier cas, en faisant valoir que ce n’était qu’une opération du Front de Gauche (FdG), alors que l’initiative était portée par une plateforme unitaire (Attac, Copernic, etc.) et dans le second cas, parce que le NPA devait marquer les distances avec Syriza, dont le projet politique est basé sur la « collaboration » des classes...
Mais dans ce congrès, ce qui a attiré l’attention des médias a été le projet de résolution sur la politique électorale présenté tardivement par la Pf-2, et qui a été majoritaire (59,9%). Un projet dont l’objectif central est de rejeter tout accord avec le FdG pour les élections présidentielles et législatives en 2017 et qui, en grande partie, a bloqué toute possibilité de rapprochement entre les plateformes 1 et 2. La Pf-1 a présenté un projet alternatif qui se prononçait pour une conférence à la mi-2016 pour décider de l’orientation électorale.
Dans ce contexte, le désaccord entre les deux plateformes était inévitable. Le projet de construction d’un NPA radical, unitaire et indépendant, axé sur la centralité de la construction de l’unité du champ social et politique à gauche, sur la base d’un profil anti-austérité et en refusant tout alliance avec le PS, défendu par la Pf-1, est entré en collision avec le projet Pf-2, plus ciblé sur le renforcement identitaire du NPA. Et du coup, même si l’orientation politique de la Pf-1 a recueilli le plus grand nombre de votes, l’avenir du NPA ne sera pas facile.
Les difficultés de fond
Les difficultés proviennent de loin et ont à voir à la fois avec le contexte social et politique, et avec la tradition fortement identitaire héritée de l’ex-LCR.
En ce qui concerne le contexte social et politique, l’origine des difficultés réside dans la défaite des mobilisations massives en 2010 contre la réforme des retraites, dont le lourd héritage pèse encore. La montée électorale du FDG (11%, un vote de résistance contre le sarkozisme) à l’occasion des élections présidentielles deux ans plus tard (2012) n’a pas marqué (comme on n’aurait pu le croire à l’époque) un tournant vers la recomposition sociale et politique de la gauche. Ce fut plutôt le dernier souffle d’un mouvement qui, ainsi, fermait le cycle de luttes ouvert en 2005 avec la victoire du non au référendum sur le Traité constitutionnel européen.
La victoire et l’arrivée du gouvernement du Parti socialiste (PS) en 2012, a aggravé cette situation. Non seulement parce qu’il a brisé les espoirs de rupture avec le terrible quinquennat de Sarkozy, mais aussi parce que cette victoire a divisé et désorienté le mouvement.
Par la suite, nous avons assisté à une dégradation progressive du rapport des forces sur le terrain social, politique et idéologique et à un mouvement qui, à de rares exceptions (et les luttes environnementales, la mobilisation du 12 avril contre l’austérité, comme celle du 15 novembre, mais déjà en déclin), se trouve impuissant face à la politique réactionnaire et l’escalade sécuritaire du gouvernement et du Medef.
L’expression la plus poignante de cette situation est la montée du Front national (FN) qui dans des récents sondages dépasse la social-démocratie de Hollande et la droite traditionnelle, conduite à nouveau par Sarkozy.
Dans ce scénario de déclin politique et social, le refus d’Europe Ecologie-les Verts (EELV) de participer au gouvernement Valls (contrairement à ce qu’ils l’ont fait avec le premier gouvernement de Hollande) et l’émergence de secteurs critiques du PS (dirigés par deux ex-ministres) contre la politique de choc imposée par Valls, conduisent certains secteurs de la gauche – qui regardent avec envie le succès de Syriza en Grèce et de Podemos dans l’État espagnol – vers l’illusion de possibles alliances politiques et électorales larges (depuis l’extrême gauche aux éléments critiques du PS) comme moyen de sortir de la situation actuelle.
Cependant, la situation politique française est loin de la situation de la Grèce ou de l’État espagnol (même si cela ne signifie pour longtemps, car en ces temps de crise, l’horloge de l’histoire va à un rythme rapide). En ce qui concerne la sévérité de la crise et, en particulier, en ce qui concerne la situation de mouvement. La différence fondamentale est qu’en France l’agitation sociale et la méfiance envers les partis institutionnels (dans les dernières élections européennes et certaines partielles, l’abstention est supérieure à 50%) ne se cristallise pas dans une des alternatives de gauche comme Syriza et Podemos, mais dans le FN, l’extrême droite.
Cet élément est essentiel pour comprendre que le centre de gravité de toute alternative unitaire, de convergence, qui vise à un changement de la situation, devra miser plutôt sur la nécessité de reconstruire la mobilisation sociale et la résistance aux politiques néolibérales. Il s’agit plus de faire en sorte que « le peuple de gauche » puisse se reconnaitre lui-même comme tel dans la mobilisation que de construire des puzzles électoraux dont les limites semblent évidentes.
Ainsi, à ce stade, il semble qu’il faut cibler les efforts en vue de trouver des points de convergence pour stimuler la mobilisation contre la politique du Parti socialiste et le Medef afin de favoriser la cristallisation dans la rue la colère sociale régnante. Entre autres choses, parce qu’en ce domaine, le FN est hors-jeu. Une façon claire aussi de vérifier la dimension réelle des positions critiques d’EELV et des PS critiques face aux politiques du gouvernement.
Sur cette question centrale, les différences entre les Pf-1 et Pf-2 sont manifestes. Pour dire les choses brièvement, la Pf-2 considère qu’étant donné la marge étroite de manœuvre que laisse la crise pour la construction d’un projet réformiste, un espace pour la construction d’un projet anticapitaliste révolutionnaire s’est ouvert ; et donc cela exige de mettre en avant la défense de sa propre identité, plutôt qu’une démarche unitaire et de convergence et recherche d’accords avec d’autres forces sociales et politiques. Orientation qui permet de comprendre, d’ailleurs, les raisons à la fois de l’auto-exclusion du soutien aux initiatives unitaires avant les élections grecques et le projet de résolution concernant l’orientation pour les élections.
En interne, le NPA continue de payer le prix de n’avoir pas réussi à construire une équipe de direction assez forte pour faire face à une période si difficile et complexe. Une période où la fermeté dans la construction du parti n’est pas incompatible – c’est même plutôt le contraire – avec la flexibilité et la capacité tactique pour entreprendre des initiatives unitaires. Une équipe de direction qui dans l’avenir immédiat sera difficile à souder étant donné que tout un secteur (les Pf-3, Pf-4 et Pf-5) travaille sur des propositions alternatives « systématiques », pour déboucher sur une direction alternative.
A la croisée des chemins
Cependant, même si de nombreux prophètes de malheur ont émergé, en particulier dans les milieux du FdG et des médias, pour annoncer l’effondrement inexorable du NPA, en référence notamment à la résolution sur les élections, la réalité du NPA (un corpus militant actif et investi dans les mouvements sociaux qu’on ne peut pas sous-estimer), et le contexte social et politique – en France et ailleurs – appellent à plus de prudence.
D’une part, le poids de la résolution sur les élections sera (est déjà) relatif. Son adoption fait plus partie de la polarisation sectaire entre les plateformes que d’une logique politique. Ainsi, alors que le congrès a approuvé la motion présentée par la Pf-2, des militants qui soutiennent cette plateforme dans le département du Doubs sont parvenus à un accord électoral avec le FdG pour les élections législatives partielles.
Un bon exemple de ce que valent certaines résolutions visant plus à une affirmation identitaire qu’a répondre aux défis politiques concrets.
D’autre part, la Pf-1 a noté dans son bilan : « nous ne doutons pas qu’alors nos camarades [Pf-2] qui ont joué avec le feu du repli sur soi à ce congrès, et ont rendu possible une majorité de circonstances sur la question électorale, sauront, elles et eux aussi, saisir cette possibilité » qu’ouvre la période actuelle, se référant au souffle chaud qui arrive de la Grèce et de l’État espagnol. Elle souligne que « d’ici 2017, nous n’abandonnons pas l’espoir et le combat pour qu’à la chaleur d’une remobilisation, se dégage une issue sociale et politique : une opposition de gauche au gouvernement, qui refuse toutes alliance avec le PS et exclue tout rabibochage de l’union de la gauche, unitaire, porteuse des luttes anti-austérité, contre les grands projets inutiles et pour le climat, antiraciste et anti-sécuritaire, féministe et internationaliste. »
Néanmoins, l’absence d’une majorité qualifiée au niveau de direction empêche de relever ces défis avec la sérénité nécessaire. Et, en partie, beaucoup dépendra de quel côté bascule la Pf-2. Une Pf-2 qui, comme cela fut évident dans les débats de congrès, sera sous la pression constante du reste des plateformes sectaires.
Les prochains mois vont mettre á l’épreuve le NPA : à la fois par rapport à la politique intérieure de Hollande qu’en ce qui concerne la politique de solidarité avec le peuple grec et contre les diktats de la BCE, de l’UE et du FMI. Et, dans ce contexte, il faut souligner que les marges sont étroites : non seulement pour les politiques réformistes, mais aussi pour les politiques sectaires.
Josu Egireun, 02/06/2015