La semaine qui vient de s’écouler marque un pas de plus pour la Chine dans le jeu afghano-pakistanais. En visite au Pakistan, le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, a clamé haut et fort, jeudi 12 février, la détermination chinoise de « soutenir le gouvernement afghan dans l’effort de réconciliation entre les différentes factions politiques, dont les talibans ». « La Chine est prête à jouer un rôle constructif », a ajouté le ministre, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse conjointe avec Sartaj Aziz, le conseiller du premier ministre pakistanais sur la sécurité nationale et les affaires étrangères. Elle « fournira l’aide nécessaire chaque fois qu’elle est requise par les différentes parties en Afghanistan ». M. Wang a également annoncé la visite cette année au Pakistan du numéro un chinois Xi Jinping, un déplacement prévu initialement en 2014 mais qui avait été reporté en raison de manifestations anti-gouvernementales. La présence de M. Wang Yi à Islamabad est intervenu quelques jours après la tenue de la première session du dialogue stratégique tripartite entre la Chine, le Pakistan et l’Afghanistan, le 9 février, à Kaboul.
Cette réunion, menée par le ministre assistant aux affaires étrangères chinois, Liu Jianchao, constitue l’embryon du processus de réconciliation sous l’égide de Pékin qui s’ébauche depuis plusieurs mois. Soucieuse de sécuriser son voisin afghan (les deux pays ont 100 kilomètres de frontières) sur fond d’une poussée de fièvre djihadiste au Xinjiang, la région autonome ouïgoure aux confins de l’Asie centrale, la Chine s’intéresse de plus en plus au théâtre afghan. Après le retrait des troupes de l’OTAN en décembre 2014, la question de son rôle à venir n’a cessé d’être ouvertement débattue par les experts chinois.
La visite à Pékin en octobre, pour son premier déplacement à l’étranger, du nouveau président afghan, Ashraf Ghani, a confirmé le désir de celui-ci de jouer la carte chinoise, en impliquant davantage une Chine alliée du Pakistan. Quelque 1,5 milliard de yuans (210 millions d’euros) d’aide à l’Afghanistan avaient alors été annoncés. L’enjeu pour les trois pays est bien sûr les sanctuaires d’insurgés talibans dans les zones tribales à la frontière afghano-pakistanaise. La Chine est d’autant plus concernée que la seule « franchise » terroriste ouïgoure avérée, le Turkestan Islamic Party (TIP, Parti islamique du Turkestan), opère dans cette région et serait passée côté afghan depuis l’offensive de l’armée pakistanaise au Nord-Waziristan en juin. En Chine, une partie de la minorité ouïgoure conteste le « colonialisme » de Pékin.
Discussions secrètes
En octobre 2014, à l’occasion de la visite de M. Ghani à Pékin, Li Keqiang, le premier ministre chinois, avait appelé les différentes factions politiques afghanes à « mettre de côté leurs griefs et à prendre part au processus de réconciliation politique ». En novembre, deux représentants des talibans afghans se rendaient à Pékin, pour des discussions secrètes. « La Chine a des cartes à jouer. Il faut se souvenir qu’avant la chute du régime taliban en 2001, les Chinois avaient maintenu un canal de communication avec les talibans, ils les connaissent », souligne Jean-Pierre Cabestan, de l’Université baptiste de Hongkong.
La réunion tripartite du 9 février à Kaboul entre l’émissaire chinois et ses homologues pakistanais et afghan est l’aboutissement de cette démarche. Le 10 février, la porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Hua Chunying, a confirmé que suite à cette première rencontre, la Chine inviterait dans le courant de l’année cinq délégations d’Afghanistan et du Pakistan composées de différentes « personnalités amicales », de représentants du Parlement, des médias et de diplomates. Et que la Chine prêterait son soutien à toute une série d’initiatives visant à « renforcer les connexions autoroutières et de voie ferrée, l’interconnectivité et les interactions économiques entre le Pakistan et l’Afghanistan », dont le projet de barrage pakistanais sur la rivière Kunar. C’est la première fois, ont relevé les médias chinois, que la Chine annonce son implication sur ce dossier. Les infrastructures de transport concernées seraient une autoroute Peshawar-Kaboul et un chemin de fer entre Chaman (Pakistan) et Kandahar.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au Monde