Ce n’était certainement pas l’intention première de l’exécutif, mais le recours par le gouvernement à l’article 49-3 de la Constitution pour faire passer la loi Macron a réussi à diviser le Front de gauche. Si ce dernier critique depuis des semaines d’une seule voix le projet de loi du ministre de l’économie, il n’en va pas de même à l’heure de se prononcer en faveur ou non de la motion de censure déposée par l’UMP, qui doit être examinée, jeudi 19 février, à l’Assemblée nationale.
Mardi soir, André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) – qui accueille les dix députés du Front de gauche, presque tous issus du Parti communiste –, annonçait que ses troupes voteraient cette motion portée par la droite. « C’est notre seul moyen de dire que nous sommes contre le texte », justifiait alors le député du Puy-de-Dôme, gêné de joindre sa voix à celles de l’UMP, de l’UDI et du FN.
Déposer une motion de censure suppose de réunir au moins 10 % des députés, soit 58 élus. Or, les écologistes comme les frondeurs socialistes, bien qu’opposés, eux aussi, à la loi Macron, ont annoncé d’emblée leur refus de faire tomber le gouvernement. Compliqué, dès lors, de porter une motion de censure « de gauche ».
« Pas “entendable” de voter avec l’UMP, l’UDI et le FN »
Mercredi matin, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle de 2012, critique la décision de ses camarades communistes. « Je n’aurais pas procédé comme ça (…). Qu’est-ce qu’on va se fourrer avec la droite dans une aventure pareille ? », s’interroge-t-il sur France Info. Selon lui, il convenait de mettre tout le monde autour de la table pour parvenir à réunir le nombre suffisant de parlementaires. « Personne ne m’a demandé mon avis, ni cette fois-ci ni les autres. Le groupe à l’Assemblée pense qu’il est normal de faire ce qu’il veut sans consulter personne », se plaint le député européen. « Jean-Luc Mélenchon n’a jamais admis l’autonomie de décision des groupes parlementaires », réplique André Chassaigne.
Mardi soir, dans un billet de blog, M. Mélenchon appelait pourtant, lui aussi, à « censurer le chantage ». « La seule façon de bloquer la loi (…) c’est de voter la censure. Soit celle déposée par la droite (…) soit en en déposant une autre, de gauche », écrivait-il alors, dans une apparente contradiction avec ses propos du lendemain.
Sa sortie a en tout cas eu pour effet de pousser André Chassaigne à rédiger le texte d’une motion de censure « de gauche » et de partir à la recherche de 58 signatures. En vain. Certains élus communistes, tels Nicolas Sansu, député du Cher, ont de plus fait valoir qu’ils n’entendaient pas censurer le gouvernement. « Ce n’est pas “entendable” de voter avec l’UMP, l’UDI et le FN », explique ce dernier.
« Un cartel de partis sans ancrage »
Pour simplifier les choses, des dissensions ont aussi vu jour au sein du Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon. La conseillère de Paris, Danielle Simonnet, juge ainsi qu’« il faut tout faire » pour « s’opposer à la loi Macron ». « Il faut assumer », dit-elle à propos du vote de la censure. « Si j’étais à l’Assemblée nationale, j’essaierais de m’opposer jusqu’au bout », abonde Eric Coquerel, coordinateur du Parti de gauche. « Les attendus de la motion de l’UMP demandent encore plus de réformes libérales », rétorque de son côté Alexis Corbière, secrétaire national du PG, qui partage l’opinion de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet.
Ces dernières semaines, les relations sont houleuses au sein du Front de gauche, ce « cartel de partis sans ancrage de masse ni volonté d’en avoir (…) sans organe représentatif, ni volonté d’en avoir » comme l’a défini récemment M. Mélenchon.
« Personne ne peut croire que le Front de gauche arrive à s’imposer », expliquait ce dernier en privé, justifiant sa volonté de rapprochement avec Europe Ecologie-Les Verts et l’émergence de son mouvement pour la VIe République. Des bravades qui agacent au sein du PCF, où l’on raille la volonté du député européen de devenir un Alexis Tsipras français. « Quand Tsipras parle, il a l’air sympathique. Quand c’est Mélenchon, on a l’impression de se faire engueuler », juge un élu communiste.
Olivier Faye