Gaz de schiste : mobilisation écologique inédite en Algérie
« Halte à l’exploitation immédiate du gaz de schiste », peut-on lire dans les rues d’Alger le 24 février. Mais aussi dans d’autres grandes villes comme Oran, Tamanrasset, Boumerdès, Batna et Bouira. « La honte ! La honte ! Le gouvernement a cédé le Sahara pour quelques dollars ! » Cette mobilisation nationale contre les gaz de schiste coïncide avec le 44e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures en Algérie. L’initiative, organisée par plusieurs formations de l’opposition, a été lancée en signe de solidarité avec les populations des provinces sahariennes qui s’opposent à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste.
A In Salah, la ville la plus proche des lieux de forage, des manifestations pacifiques et des blocages de routes ont lieu sans discontinuer depuis deux mois pour exiger l’arrêt des explorations (voir article ci-dessous). Le mouvement citoyen d’opposition pointe en particulier les risques de pollution des eaux et de l’air liés à l’usage de la fracturation hydraulique. La semaine dernière, la société civile d’In Salah a déposé à la présidence, à Alger, une demande de moratoire. Le collectif souligne que {}« les populations du Sud qui ont, par le passé, connu les affres des essais nucléaires et d’armes chimiques, en sont traumatisées ». Et précise que « l’avenir énergétique de l’Algérie n’est pas dans les schistes mais dans l’optimisation de nos ressources conventionnelles, le développement des énergies renouvelables, dans le mixte énergétique et dans les économies d’énergies ».
Mais le gouvernement n’entend pas céder à la pression. Dans un message lu le 24 février en son nom par un conseiller à Oran, le président Abdelaziz Bouteflika a déclaré qu’il fallait « fructifier » et « tirer profit » de tous les hydrocarbures dont le gaz de schiste. Les mobilisations ont par ailleurs donné lieu à des interpellations par la police, omniprésente. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées à Alger où les manifestations sont interdites depuis 2001. Le journal El Watan comptabilise une dizaine d’interpellations de militants à Boumerdès. La répression l’emportera t-elle sur cette mobilisation écologique inédite en Algérie ? Selon Hocine Malti, ancien cadre de la Sonatrach, « les citoyens d’In Salah sont déterminés à se battre jusqu’au bout. » Certains commencent même à envisager une grande marche qui partirait des villes du Sud pour rejoindre Alger.
Sophie Chapelle, 25 février 2015
* http://www.bastamag.net/Algerie-l-opposition-au-gaz-de-schiste-ne-faiblit-pas-malgre-la-repression
Algérie : contestation sociale impressionnante contre les gaz de schiste
Voilà une semaine que le Sahara algérien est gagné par des mobilisations contre l’exploitation des gaz de schiste. Depuis le 1er janvier dernier, journée au cours de laquelle 1 500 personnes se sont rassemblées à In Salah, « la ville est comme paralysée, encore sous l’onde de choc de cette mobilisation extraordinaire », relève le quotidien algérien El Watan. Les commerces, écoles et administrations sont fermés. Initialement lancée par l’ONG environnementale In Salah Sun & Power, la protestation a été rejointe par la population locale, dont beaucoup de femmes et d’enfants.
Un manifestant tué
Le mouvement s’est étendu dans plusieurs localités voisines (In Ghar, Iguestene, Sahla Tahtania...) et plus au Nord dans les oasis sahariennes comme Ghardaïa. Le décès d’un manifestant de 21 ans, Mohamed El Noui, le 4 janvier, après des affrontements avec les forces de l’ordre, a relancé la mobilisation. Le 6 janvier, plus de 2 000 personnes parmi lesquels de nombreux étudiants et enseignants ont participé à une marche dans les rues de Tamanrasset, « en signe de solidarité avec les habitants d’In Salah », note El Watan.
Ces mobilisations font suite aux déclarations du ministre de l’Énergie algérien le 27 décembre 2014, qui a salué le succès du premier forage pilote de gaz de schiste dans la région d’Ahnet – un puits situé à quelque 35 kms de la ville d’In Salah. « Ce forage confirme l’existence de réserves importantes de gaz de schiste dans le bassin de l’Ahnet », s’est réjoui le ministre. Ce qui va selon lui, « ouvrir de nouvelle perspectives économiques pour l’Algérie avec pas moins de 8 000 emplois pour 2015 ».
Sacrifier l’agriculture au profit de la rente gazière
Les travaux d’exploration ont été lancés par l’entreprise publique algérienne Sonatrach, associée à la major française Total qui détient une participation de 49% sur le permis Ahnet [1]. Total estime que ce bassin doit « permettre d’assurer une production gazière d’au moins 4 milliards de mètres cubes par an ». Selon un rapport daté de 2013 de l’Agence américaine US Energy Information Administration (EIA), le sous-sol algérien détient la troisième réserve mondiale de gaz de schiste récupérables, après la Chine et l’Argentine [2].
Les opposants algériens au gaz de schiste pointent les quantités d’eau nécessaires à l’extraction de ces hydrocarbures non conventionnels (nos précédents articles sur cette technique controversée). Or, l’Algérie manque d’eau et est en situation de « stress hydrique » permanent, rappelle l’association Attac et le mouvement Frack Free Europe dans une note commune. En février 2014, le journal El Watan titrait déjà sur « les craintes des agriculteurs du Sud » quant aux menaces de pollutions chimiques liées à l’utilisation de la technique de fracturation hydraulique. « Il existe dans notre région des centaines d’oasis. Elles font travailler des milliers de personnes. Une fois les eaux des nappes polluées, cela signifiera la fin de l’agriculture. Que feront les habitants ? » s’inquiétait notamment un agriculteur.
Le ministre de l’Énergie assure en retour que « la quantité d’eau utilisée dans la fracturation hydraulique n’excède pas les 7000 m3 et est réutilisable pour d’autres opérations de fracturation » [3]. Quant au risque de contamination des aquifères, ce ne serait pas plus dangereux que pour les hydrocarbures fossiles (sic). Des arguments loin de convaincre les manifestants qui réclament un moratoire concernant l’exploitation du gaz de schiste dans le Sahara, et un débat public en la matière. Ils exigent également la venue du Premier ministre Abdelmalek Sellal. Sans cela, ils affirment être déterminés à bloquer des zones pétrolières et à fermer d’importants axes routiers menant vers le bassin d’exploration.
Sophie Chapelle, 9 janvier 2015
* http://www.bastamag.net/Algerie-mobilisations-sociales