60 voix pour, 92 contre et 5 votes blancs : voilà le résultat obtenu au comité central de SYRIZA par la motion critique sur l’accord entre les créanciers de l’Eurogroupe et le gouvernement grec. Ce texte était soumis par la Plateforme de gauche au sein de SYRIZA aux comité central qui s’est tenu à Athènes, samedi 28 février et dimanche 1er mars. L’amendement critiquait l’accord d’extension des financements internationaux de même que le train de réformes que la Grèce s’est engagée à réaliser.
41% contre l’accord
« Nous exprimons notre désaccord avec l’accord et la liste des réformes convenues avec l’Eurogroupe. Les deux textes représentent un compromis non-souhaitable pour notre pays et l’oriente dans des directions, dans leurs points essentiels, éloignées ou en contraste clair avec les engagements programmatiques de SYRIZA. Dans l’avenir immédiat, SYRIZA, en dépit des accords de l’Eurogroupe, devrait prendre l’initiative de mettre en œuvre progressivement et comme une question de priorité ses engagements et le contenu de sa déclaration gouvernementale programmatique. Pour aller dans cette voie, nous devons nous appuyer sur les luttes ouvrières et populaires, contribuer à leur revitalisation et à l’expansion continue du soutien populaire pour résister à toute forme de chantage et promouvoir la perspective d’un plan alternatif visant à la pleine réalisation de nos objectifs radicaux. La principale conclusion des derniers développements est la nécessité, qui est d’une importance décisive pour la voie que nous allons suivre, que les décisions soient prises à la suite d’une discussion dans les instances dirigeantes du parti, qui doivent, conjointement avec le parti et les sections du parti dans son ensemble, revaloriser leur fonctionnement et jouer un rôle de premier plan dans le nouveau cours progressiste de notre pays. »
L’opposition de la Plateforme de gauche à cet accord n’est pas une grande surprise. Sa motion n’a pas été adoptée, mais elle a obtenu 68 voix (41,2%), ce qui signifie qu’en plus de ses membres, elle a reçu le soutien d’autres membres appartenant à la majorité, comme les représentants de l’Organisation communiste de Grèce (KOE) [maoïste] et ceux du groupe lié à Yannis Milios, chef du département économique du parti, jusqu’ici très proche de l’ex-secrétaire [Alexis Tsipras]. La Plateforme de gauche, à laquelle appartient le Red Network, dominé par DEA (Gauche ouvrière internationaliste), dispose de 60 membres sur un total de 200 (30,5% des votes du Congrès).
Résister aux oukazes européens
Le leader du Courant de gauche et ministre de l’Energie Panagiotis Lafazanis, a critiqué les négociations et a fait des déclarations publiques qui contrastent avec les avis exprimés par d’autres ministres, en particulier en relation avec les privatisations. Tandis que le gouvernement s’est engagé à les poursuivre, Lafazanis a promis de les stopper dans le secteur de l’énergie. Dans la motion de la Plateforme de gauche, on lit ainsi que le gouvernement, « en dépit des accords de l’Eurogroupe, devrait prendre l’initiative de mettre en œuvre progressivement et comme une question de priorité ses engagements et le contenu de sa déclaration gouvernementale programmatique ».
Cette politique a déjà été initiée par Lafazanis à propos de la privatisation de 66% des opérateurs du réseau électrique Admie, pour laquelle l’italienne Terna et la chinoise SGCC avaient manifesté de l’intérêt. Une initiative qui a irrité Berlin, qui exige qu’Athènes arrête de « donner des signaux contradictoires ». Dans tous les cas, Varoufakis est chargé de superviser toutes les privatisations.. Mais la déclaration de Lafazanis, avant même le denier comité central, témoigne du malaise qui règne au sein du parti.
Conservateurs espagnols et portugais au front
De son côté, le Premier ministre grec Tsipras a accusé les gouvernements d’Espagne et du Portugal (qui vont tenir des élections cette année) d’avoir œuvré contre son gouvernement au cours des négociations du 20 février, avec la complicité de l’opposition grecque. S’exprimant devant le comité central du parti, selon les médias grecs, Tsipras aurait révélé qu’« une fronde menée par l’Espagne et le Portugal, pour des raisons politiques évidentes, s’est efforcée de ruiner l’ensemble des négociations » afin de contraindre son gouvernement « à la reddition inconditionnelle, avant même que son travail ne puisse porter ses fruits et que l’exemple de la Grèce n’influence d’autres pays ».
Les Premiers ministres des deux Etats visés, Rajoy et Passos Coehlo, membres tous les deux du Parti populaire européen, ont réagi immédiatement en protestant par une note à la Commission européenne. Une initiative inhabituelle et plutôt étrange, si l’on songe que des contentieux de ce genre, soit des polémiques politiques, sont généralement réglés de façon bilatérale ou au sein des instance européennes (par les Premiers ministres ou le Conseil européen). Le gouvernement allemand a parlé d’une « erreur » de la part de Tsipras : le porte-parole du ministre des Finances a indiqué que sa déclaration « a été une erreur inhabituelle selon les critères européens. [Et que] l’épisode en dit long sur la situation et sur le degré d’isolement de la Grèce ».
Une course de cote pour SYRIZA
Le gouvernement Tsipras, plait cependant de plus en plus aux Grecs qui, s’ils étaient appelés aujourd’hui aux urnes, voteraient pour SYRIZA à 47,6%, contre 36,3% aux élections du 25 janvier. C’est ce qu’affirme un sondage publié par le quotidien Parapolitika, réalisé par la société Metron Analysis, qui souligne qu’aujourd’hui Tsipras n’aurait pas besoin d’une coalition.
La liste des réformes qui a permis de débloquer l’accord avec l’Eurogroupe pour une prolongation de quatre mois du « plan d’aide » international se présente cependant comme une course de cote. Selon un article du Guardian, les principales incertitudes concernent les mesures de lutte contre l’évasion fiscale, grâce auxquelles Athènes prévoit de récupérer 3 milliards d’euros pour alimenter des caisses publiques exsangues, afin de pouvoir financer une part du dit « Programme de Thessalonique », le manifeste anti-austérité chiffré à 12 milliards qui a rythmé la campagne électorale du leader de Syriza. Des promesses électorales qui comprennent l’augmentation progressive du salaire minimum pour revenir à 750€, le versement d’une mensualité supplémentaire pour les retraités qui perçoivent moins de 700€ par mois et diverses prestations sociales pour alléger les souffrances des secteurs les plus fragiles de la population.
L’ennemi du dedans et du dehors
En Grèce, plus des deux tiers de la population, à savoir les employés des secteurs public et privé, paient des impôts normalement, car ils sont prélevés à la source, mais la note en souffrance du Trésor public vient des autres catégories : entrepreneurs et indépendants, en premier lieu. L’évasion fiscale y est évaluée à 5 à 20 milliards d’euros par an. « En retenant même le bas de cette fourchette, soit 5 milliards d’euros, relève le syndicaliste Tryfon Alexiadis, proche de SYRIZA – on peut voir que si on avait été en mesure de drainer dans les caisses publiques 5 milliards d’euros supplémentaires par an au cours dernières années, on aurait disposé de 60 milliards de plus ». Et ceci aurait réduit la dette d’autant.
Selon une source bien informée citée par le Guardian, il semble qu’en 2010, quand la troïka a commencé a s’intéresser aux papiers de l’administration fiscale grecque, elle s’est arraché les cheveux en découvrant « une situation dans laquelle les divers bureaux du fisc opéraient da façon quasi-autonome, de même que de graves problèmes de clientélisme et de corruption ». Ceci a poussé a réduire le nombre de fonctionnaires des impôts de 10 500 a moins de 9000 et à fermer 170 de ses bureaux sur 290, mais ces coupes n’ont pas rendu les choses plus aisées, bien a contraire. Selon l’Organisation intra-européenne des administrations fiscales (IOTA), il y aurait en Grèce un percepteur pour 1127 habitants, alors qu’en Allemagne, il y en aurait 730. Sans doute, l’informatisation des procédures de perception ont contribué à améliorer la situation, relève le syndicaliste, mais la plaie de la corruption demeure profonde.
L’Eurogroupe profère des menaces incessantes : le gouvernement grec ne doit pas s’imaginer que la dite « construction ambigüe » de l’accord pour la prorogation du programme d’aide, dont on parle à Athènes, signifierait que, dans les 4 prochains mois, il pourrait se croiser les bras. C’est ce que scande l’agence de presse Il Sole24ore Radiocor, liée à la Confindustria [faîtière patronale italienne]. Il devrait au contraire s’efforcer d’appliquer le programme précédent avant de conclure les prochaines négociations sur un nouveau programme. Ce qui préoccupe de nombreuses capitales, ainsi que la Commission européenne, c’est que la Grèce se retrouve sans ressources dans peu de semaines, et donc incapable d’honorer le service de sa dette pour le mois de mars, soit 4,3 milliards d’euros, dont 1,4 milliard dû au FMI. La tension autour du cas grec reste donc vive, de même que l’intérêt populaire international pour l’expérience d’un gouvernement qui pourrait bloquer durablement la logique de la peur et de l’austérité.
Gauche de SYRIZA renforcée
Il faut enfin noter que le nouveau secrétaire qui va remplacer Alexis Tsipras a été élu par une majorité très étroite : 102 membres du comité central sur 199 ont en effet voté pour Tassos Koronakis ; 64 ont soutenu Alekos Kalyvis, présenté par la Plateforme de gauche ; 32 autres se sont abstenus. Pour l’élection des 11 membres du secrétariat politique, la composante de Tsipras a recueilli 110 voix (6 représentants), la Plateforme de gauche 63 (4 représentants), la mouvance du KOE 21 voix (1 représentant). Voici la composition du nouveau secrétariat politique de SYRIZA : Nasos Iliopoulos, Alekos Kalyvis, Panos Lamprou, Stathis Leoutsakos, Yannis Bournous, Antonis Davanelos, Sofie Papadogianni, Christoforos Papadopoulos, Panagiotis Rigas, Rudi Rinaldi e Rania Svigou.
Checchino Antonini
Sociologue et journaliste, il étudie les mouvements sociaux depuis une vingtaine d’années.