Plusieurs militants ont pris récemment position contre le fait de tenir un meeting commun contre l’islamophobie avec des organisations réactionnaires se revendiquant de l’islam. Le nom de l’UOIF a été beaucoup cité [2]. Cela va tout à fait dans le sens de ce que je dénonce depuis plusieurs années auprès de mes camarades s’agissant de la présence régulière parmi les signataires de ce type d’appels de l’association réactionnaire Participation et Spiritualité musulmanes (PSM), encore annoncée au meeting du 6 mars. Je vous propose donc de découvrir ce qu’est vraiment cette organisation, et pourquoi il n’est pas possible de s’allier avec elle dans le cadre d’une lutte antiraciste qu’il est pourtant en effet primordial de mener.
Manif pour Tous et Alliance Vita
Participation et Spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui représente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abdelassame Yassine (1928-2012) qu’elle considère comme « un père intellectuel et spirituel » [3]. PSM est essentiellement à l’œuvre en France pour mettre en lumière, auprès d’un plus large public, l’homme qu’il fut et ses « enseignements ».
Cependant, tout comme l’UOIF, PSM n’est pas une organisation à vocation purement religieuse et n’hésite pas à s’impliquer activement dans les débats de société, défendant des positions tout à fait réactionnaires. Elle a ainsi appelé à manifester le 24 mars et le 26 mai 2013 aux côtés de la droite et l’extrême droite lors de « La Manif Pour Tous » [4] et affiche sans vergogne sa sympathie pour l’Alliance Vita, l’un des principaux lobbys français anti-IVG. PSM a d’ailleurs participé à son université d’été 2013 [5].
[Photo non reproduite ici : Le Collectif des Citoyens Musulmans pour l’Enfance à la Manif pour Tous, image tirée du site de PSM dans un article évoquant sa participation à ce collectif lyonnais.] [6]
Un mouvement influent au Maroc
Al Adl Wal Ihsane assure son implantation (recrutement, collectes d’argent…) en Europe à travers de nombreuses associations comme PSM. Il est également présent au Canada et au États-Unis. Parmi ses sections, on compte par exemple l’Observatoire canadien des droits de l’homme ou L’Organisation nationale pour le dialogue et la participation en Espagne. Ce mouvement n’est pas uniquement la plus grande force politique organisée au Maroc, mais aussi une organisation très implantée dans les pays où il y a une forte présence d’immigrés marocains.
Au Maroc, Al Adl Wal Ihsane s’est fait connaître en s’investissant dans les mobilisations contre les guerres en Irak et pour la Palestine. Pendant le mouvement du 20-Février, Al Adl Wal Ihssane était la plus grosse organisation avant son retrait pour ne pas nuire à l’autre parti islamiste, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), entré au gouvernement en novembre 2011. S’il est impossible d’avoir des chiffres exacts concernant les effectifs et le budget de ce mouvement, il semblerait bien qu’il soit soutenu financièrement par une partie de la bourgeoisie commerçante [7]. Il collecte aussi des sommes auprès de ses adhérents et de ses sympathisants à l’étranger.
Du sang sur les mains
Même si le mouvement dit bannir la violence, deux meurtres politiques ont été attribués à Al Adl au Maroc. Les milices des disciples de Yassine ont ainsi été impliquées directement dans l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche et militants de l’UNEM (Union Nationale des Étudiants du Maroc) : en novembre 1991 à Oujda et Mohamed Aït Ljid Benaïssa en mars 1993 à Fès.
[Photo non reproduite ici : En haut : Maâti Boumli. En bas : Mohamed Aït Ljid Benaïssa]
En octobre 1991, Maâti Boumli a été enlevé puis assassiné à l’université d’Oujda. Douze étudiants adlistes ont été arrêtés puis condamnés à 20 ans de prison pour homicide. Malgré cela, le groupe n’a jamais reconnu sa responsabilité, arguant que ses militants ont été « injustement emprisonnés pendant d’aussi longues années ». Le deuxième crime attribué à un militant d’Aldl Wa Ilhsane remonte au 25 février 1993. Benaïssa Aït El Jid a été assassiné près de l’université de Fès [Voir encart ci-dessous]. La confrérie a été une nouvelle fois montrée du doigt mais il a fallu attendre 13 ans pour qu’en octobre 2006, Omar Mouhib, un de ses militants, soit enfin arrêté pour sa participation au meurtre d’Aït El Jid. Le procès s’est soldé par une condamnation en appel de Mouhib à dix ans de prison [8].
Ce sont les mêmes criminels d’autres groupes islamistes, qui partagent la même formation politico-religieuse que Adl wal Insane, qui ont assassiné Omar Benjelloun au Maroc, Mehdi Amil et Hussein Marwa au Liban, Faraj Fouda en Égypte, Tahar Djaout et Abdelkader Alloula en Algérie, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie.
Une alliance impossible
Ce mouvement réactionnaire et obscurantiste, comme tous les mouvements de l’islam politique, ne cesse de répéter le slogan creux « l’islam est la solution » comme réponse aux questions concrètes dans le domaine social et politique, et d’exiger un retour pur et simple au passé pour appliquer la « Charia » et les lois du « véritable islam », celui de l’époque du prophète ! Ce courant politique, ayant profité antérieurement de la faiblesse de la gauche et de la montée des mouvements de même filiation idéologico-politique depuis que les Ayatollah se sont emparés du pouvoir en Iran, est devenu la plus grande force organisée au Maroc. De toute évidence, tous les mouvements islamistes réactionnaires comme celui de « Justice et bienfaisance » rejettent la laïcité et la séparation entre religion et politique et s’opposent à l’égalité des droits et à la liberté d’expression. Les membres de PSM n’ont aucun intérêt à dévoiler leur projet politique, et ont la capacité de cacher leurs vraies idées en pratiquant une certaine dissimulation reposant sur la « taqiya ».
C’est hallucinant de voir des organisations comme le NPA, le PCF, Ensemble, Les antifas du Capab fréquenter des associations réactionnaires comme PSM et l’UOIF ! Ces deux associations ne peuvent en aucun cas être des partenaires d’organisations de gauche.
S’il est juste de mener la bataille contre le racisme et contre TOUTES les oppressions, il ne faut la mener qu’avec des partenaires ayant une certaine crédibilité, et non avec des organisations réactionnaires et obscurantiste comme PSM et l’UOIF !
Hassan Aglagal
Contre les étudiants, les islamistes au service de la répression étatique
D’un point de vue historique7, l’extrême gauche avait une certaine hégémonie (vis-à-vis des partis réformistes) au sein de l’UNEM depuis la fin des années 1960. Lors du 15e congrès du syndicat en 1972, le Front Uni des Étudiants Progressistes qui réunissait les trois organisations révolutionnaires des années 1970 (Ila Al Amame – En avant, 23 mars et Servir le Peuple) est arrivé à sa présidence.
Le congrès a appelé à la lutte pour une éducation populaire, arabe, démocratique, laïque et unifiée. Une semaine seulement après ce congrès le président de l’UNEM Abdelaziz Mnebhi et son vice-président ont été arrêtés le 2 Août 1972, ce qui provoqua en 1972-1973 une rentrée scolaire chaude pour leur libération. Une campagne de répression a alors été mise en place, des étudiants de l’UNEM ont été emprisonnés, exclus de leur établissement scolaire. Le 24 Janvier 1973, l’UNEM a été officiellement interdite. Malgré la répression, les luttes ont permet la libération du président et vice-président de l’UNEM et la levée de l’interdiction de l’UNEM en novembre 1978.
Depuis l’échec de son 17e et dernier congrès en 1982, l’UNEM a connu un vide organisationnel. Ce qui n’a pas empêché les militant-e-s de mener des luttes victorieuses dans presque toutes les facs à l’exception de l’École Mohammedia d’Ingénieurs (bastion de l’UNEM et de l’extrême gauche), parce que le régime a imposé un système paramilitaire dans l’École8. Mais les vagues d’arrestations se sont poursuivies.
A partir de la fin des années 1980, la priorité est devenue celle de la lutte pour la levée de l’interdiction de fait de l’UNEM. Les militants restants ont alors tenté une réorganisation par la base. C’est aussi et surtout à cette période que le régime dépressif a trouvé dans les islamistes un moyen d’écraser l’extrême gauche dans les universités, notamment au travers de deux factions des islamistes, Al Adl Wa lhssane et le PJD, utilisées pour contrecarrer la présence et la puissance de l’extrême gauche dans les universités, dans un climat de montée de l’islamisme au Maroc. Cette reprise en main ne s’est pas faite sans violence, la période ayant été marquée par des affrontements sanglants entre étudiants des deux bords. C’est à cette époque que les deux militants d’extrême gauche membres de l’UNEM Mohamed Aït Ljid Benaïssa et Maâti Boumli ont été assassinés par les islamistes.