Fin mars 2015, une intervention militaire, nommée « Tempête décisive », massive menée par 9 pays arabe (cinq des six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) (en plus de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Qatar et à l’exception d’Oman), auxquels il faut ajouter l’Égypte, le Maroc, la Jordanie, le Soudan) et le Pakistan, sous le leadership de l’Arabie Saoudite, a commencé contre le Yémen, sous le prétexte de s’opposer à la milice confessionnelle des Houtis (de secte Zaidite proche du Chiisme aussi connu sous le nom d’Ansar Allah). Ce dernier a pris le contrôle totale de la capitale Sanaa en janvier 2015, mais il y avait déjà une présence militaire importante depuis septembre 2014 poussant le premier ministre de l’époque a démissionner, et s’étends depuis fin mars vers le Sud du pays.
Les forces Houtistes seraient soutenues par la République Islamique d’Iran (RII) et auraient reçu l’assistance de ses relais dans la région, dont le Hezbollah qui a fourni une aide logistique militaire. La RII, comme les monarchies du Golfe, n’a en effet cessé d’intervenir dans la région (Syrie, Liban, Iraq et Yémen) pour soutenir des régimes autoritaires ou forces réactionnaires pour étendre son influence politique dans la région, sur fonds de tensions confessionnelles religieuses sunnite vs chiite exacerbé par la RII et les monarchies du Golfe.
Le gouvernement yéménite du Président Abed Rabbo Mansour Hadi, ancien vice président du pays et proche de l’Arabie Saoudite, pays dans lequel il s’est réfugié, et des monarchies du Golfe, a complètement été défait par les avancées des forces militaires houtistes alliés pour l’occasion avec leur ancien ennemi l’ex dictateur Ali Abdullah Saleh, qui les avaient combattu entre 2004 et 2009 (des combats qui avait causé plus d’une dizaine de milliers de morts et plus de 300 000 personnes déplacés) et accusés d’être inféodés à la RII, et également ex allié des monarchies du Golfe et des Etats Unis.
Saleh a été poussé à la sortie par une solution négociée par l’Arabie Saoudite et les Etats Unis en 2011 après le début d’un soulèvement populaire dans le pays, mais qui maintenait le régime en place intacte avec l’inclusion de quelques forces politiques, dont de sympathisants du parti Al-Islah, qui est composé de la branche yéménite des Frères musulmans, salafistes et des leaders tribaux du nord. Saleh continu de bénéficier de l’allégeance d’une part significative de l’appareil de sécurité et de l’armée, tandis qu’il a continué à agir en tant que président du Congrès Général du Peuple, le parti au pouvoir à son époque. Salih a aussi bénéficié à la suite de la solution négociée en 2011 d’une immunité juridique et de garder les fonds accumulés en tant que président, estimé à plus de 60 milliards de dollars selon un rapport de l’Onu de février 2015.
Les conquêtes territoriales des houtistes ont été facilitées par la faiblesse de l’État depuis le soulèvement de 2011, sur fonds de problèmes sociaux et économiques profonds. L’offensive militaire s’est déroulé aussi alors que le Yémen attendait toujours depuis septembre 2014 la mise en œuvre des résultats de la conférence de dialogue national (système fédéral, division du pays, renégociation des pouvoirs du président), mais dont beaucoup d’acteurs critiquait ses limites, y compris les houtistes.
Parallèlement, quatre provinces du sud du Yémen, dont celle d’Aden, ont décidé de refuser les ordres venant de la capitale Sanaa depuis la prise de la ville par les houtistes et adressés aux unités militaires et aux forces de sécurité de ces régions. La deuxième ville du pays, Aden, reste le théâtre d’affrontements entre les partisans et les adversaires du président Abed Rabbo Mansour Hadi.
Des partisans du président Abed Rabbo Mansour Hadi ont déjà appelé aux forces de la coalition menée par l’Arabie Saoudite à y envoyer des forces au sol et de ne pas se limiter aux raids aériens. Il est néanmoins risqué pour l’Arabie Saoudite de se lancer dans une nouvelle opération militaire au sol au Yémen après leur échec de 2009, déjà contre les milices houtistes dans les régions montagneuses au Nord du Yémen.
Les raisons sous jacentes de la crise au Yémen sont politiques et socio économiques d’un côté et régionales de l’autre entre les tensions entre le nord (avec le mouvement Houtiste) et le sud (volonté sécessionniste) du pays face à l’autorité centrale, mais le conflit au Yémen prends néanmoins une couleur confessionnelle de plus en plus importante, sans que cela soit la variable dominante. Cela a pu être constaté avec l’assassinat de l’intellectuel houthiste Abdel Karim Al-Khaywani le 18 mars 2015, puis deux jours plus tard l’attentat contre les deux mosquées zaydites à Sanaa ayant fait plus de 150 morts.
La revendication des attentats par l’organisation de l’État islamique (EI), jusque-là inactive au Yémen, illustre une dynamique dévastatrice… En effet les avancées houthistes dans les régions sunnites de l’ex-Yémen du Nord, Taëz en particulier et dorénavant Aden, produisent un profond ressentiment, ajouté à la lutte contre les groupes djihadistes sunnites proches d’Al-Qaida, ou aujourd’hui se revendiquant de l’EI.
De l’autre côté, au Sud, où la population est exclusivement sunnite, se cristalise de plus en plus un rejet de la rébellion houthiste et donc du chiisme mais aussi du Nord. De plus le principal rempart de l’avancée des houtistes est Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) qui s’allie avec les tribus des zones frontalières entre Nord et Sud à Al-Baida, Al-Dhala ou dans le Yafea. Dans ce cadre, l’anti-houthisme, transformé en anti-chiisme, est un puissant ciment.
La campagne militaire contre le Yémen menée par l’Arabie Saoudite a reçu le soutien des gouvernements occidentaux impérialistes, de la Turquie, et d’une grande majorité de régimes arabes de la région. Le président Barack Obama a autorisé la fourniture de soutien logistique et de renseignement pour appuyer les opérations militaires du CCG, tandis qu’une cellule commune de planification avec l’Arabie saoudite a été mise en place. Les interventions de la monarchie réactionnaire des Saoud au Yémen ne sont pas nouvelles, déjà dans les années 1960, elle avait soutenue par tous les moyens les forces royalistes du Yémen Nord (composé à l’époque des tribus zaydites) contre la révolution yéménite à l’époque, soutenue par le régime de Nasser, malgré que ce dernier n’avait pas soutenu les revendications paysannes et populaires.
Pour rappel l’Arabie Saoudite et avec l’assistance des monarchies réactionnaires du Golfe sont intervenus dans les divers processus révolutionnaires de la région en jouant un rôle contre révolutionnaire massif en soutenant les anciens régimes (Tunisie et Egypte) ou des forces réactionnaires confessionnelles (Syrie), à l’exception du Qatar qui soutenait l’autre face de la contre révolution le mouvement des Frères Musulmans. Ces divergences sont dépassées dans le cas de l’intervention au Yémen où l’on voit toute ces forces contre révolutionnaires soutenir la campagne militaire. Cela rappelle que les concurrences tactiques entre l’Arabie saoudite et le Qatar peuvent être dépassées quand leurs intérêts conjoints sont menacés, comme lors de l’intervention militaire conjointe des armées du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) en mars 2011 au Bahrain pour écraser un soulèvement populaire contre un régime allié.
Cette intervention militaire menée sous la propagande saoudienne de « « secourir un pays voisin et l’autorité légitime » a bien sûr d’autres objectifs : défendre la sphère d’influence des monarchie du Golfe, particulièrement de l’Arabie saoudite et empêcher les houtistes d’atteindre Aden et Bab el-Mandeb, qui, avec le détroit d’Ormuz, constituent le point de passage du pétrole, près de trois millions de barils par jour de brut, et du gaz du Golfe.
D’autre part, depuis le 11-Septembre, le Yémen est un maillon central de la « guerre contre le terrorisme » et des forces spéciales américaines y étaient stationnées, coordonnant les actions contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) (notamment les tirs de drones). Or, les États-Unis viennent d’évacuer leur base d’Al-Anad suite à l’avancée des houtistes vers Aden.
Tout cela se fait dans le cadre d’une bataille inter impérialiste régionale avec la RII et le CCG menée par l’Arabie saoudite. Le déploiement militaire massif saoudien démontre l’importance accordée au Yémen par la monarchie : plus d’une centaine d’avions de combats et 150 000 soldats serait massé à la frontière avec le Yémen. Il faut ajouter que cette intervention se déroule sur fonds de baisse relative de l’impérialisme états-unien depuis 2003 qui permet aux forces régionales impérialistes de jouer un plus grand rôle et leur laisse plus d’autonomie.
Cette campagne militaire n’a donc pas comme objectif de défendre l’auto détermination du peuple Yéménite, et de lui permettre de continuer les objectifs du soulèvement populaire débuté en 2011. D’ailleurs, les premières victimes des bombardements de cette coalition contre révolutionnaire sont les nombreux civils yéménites, plusieurs centaines et des milliers de blessés, sans parler des nombreuses destructions causés par les combats et les bombardements.
Les organisations progressistes doivent d’opposer à cette intervention militaire menée par une coalition contre révolutionnaire menée par la monarchie saoudienne et appuyée par les régimes occidentaux, de même que s’opposer aux interventions de la RII qui appuie le coup de force militaire des Houtis avec l’aide de l’ancien dictateur Saleh. Aucune de ses deux forces ne portent ou ne soutiennent les désirs de changements politiques et sociaux portés par les classes populaire du Yémen, ni de la région d’ailleurs.
Joseph Daher