Un nouveau scandale menace la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne. L’affaire touche l’entourage direct de la présidente Park Geun-hye, à commencer par le premier ministre, Lee Wan-koo. Mercredi 15 avril, le quotidien conservateur Joong Ang révélait que M. Lee avait reçu au moins 35 millions de wons (30 000 euros) en 2012 et 2013 de Sung Wan-jong, ancien député et surtout ex-dirigeant de l’entreprise de construction Keangnam.
L’information émanerait de proches de M. Sung, retrouvé pendu le 9 avril. L’homme d’affaires aurait mis fin à ses jours alors qu’il devait comparaître devant la justice pour des faits d’escroquerie et de corruption. L’affaire Keangnam s’inscrit dans le cadre d’une enquête visant 86 entreprises, dont le sidérurgiste Posco et la compagnie pétrolière nationale KNOC. Ces compagnies ont participé à plusieurs projets dans le cadre de la « diplomatie des ressources », une politique du président Lee Myung-bak (en poste de 2008 à 2013) dont le but était la participation d’entreprises sud-coréennes dans l’exploitation des matières premières à l’étranger.
Accusations de corruption
Quelques heures avant son suicide, M. Sung a accordé une interview téléphonique au quotidien de centre gauche Kyunghyang. Il affirmait notamment avoir versé en 2012 200 millions de wons (172 000 euros) à Hong Moon-jong, membre du parti Saenuri, la formation au pouvoir. Selon lui, cet argent aurait pu servir à financer la campagne présidentielle de Mme Park, sans pour autant en fournir de preuves.
La police a par la suite retrouvé une note sur le corps de M. Sung, mentionnant huit noms de personnalités qu’il aurait « arrosées ». Parmi elles, le premier ministre Lee Wan-koo, l’ancien secrétaire général de la présidence Lee Byung-kee et son prédécesseur à ce poste Kim Ki-choon ainsi que d’autres hommes politiques influents, tous proches de Mme Park.
Tous ont nié les accusations. Le premier ministre a réfuté toute relation avec l’homme d’affaires. « Nous n’avons jamais été proches, a-t-il déclaré à l’Assemblée nationale le 15 avril. Je l’ai toujours trouvé étrange et j’ai recommandé à mes collaborateurs de s’en méfier. » De source judiciaire, on indiquait que l’agenda de M. Sung révélerait que les deux hommes se sont, en réalité, rencontrés 23 fois entre août 2013 et mars 2015.
La Nouvelle Alliance politique pour la démocratie, le principal parti d’opposition, demande la démission du premier ministre. Même au sein du Saenuri, certains appellent à son départ. « Que les accusations soient vraies ou non, estime Lee Jae-ho, député du parti au pouvoir, il doit quitter son poste. »
La violence des attaques a incité la présidente Park à prendre ses distances avec les accusations formulées. « Nous ne ferons preuve d’aucune tolérance pour les coupables de corruption, a-t-elle déclaré le 15 avril. Le peuple ne leur pardonnera rien. »
Difficile de mesurer l’impact du scandale. Selon un sondage du 14 avril réalisé par Realmeter, la cote de popularité de la dirigeante est repassée sous les 40 %.
Fuite de documents
L’affaire Sung s’ajoute à celles qui ternissent l’image de l’administration Park depuis son arrivée au pouvoir en février 2013. Outre les soupçons sur l’implication des services secrets, le NIS, pour soutenir sa campagne présidentielle en 2012, Mme Park a été la cible de vives critiques fin 2014 dans l’affaire dite du « Memogate ». À l’époque, une fuite de documents avait mis en évidence l’influence de Chung Yoon-hoe, un de ses proches, sur ses nominations.
M. Chung connaît Mme Park depuis l’époque où elle était députée. Il était marié avec Choe Sun-chil, la fille d’un pasteur proche du président autoritaire Park Chung-hee, père de l’actuelle dirigeante. L’affaire du « Memogate » avait suscité des critiques sur l’opacité de la gestion de la présidence.
Autre point noir de l’action de Park Geun-hye, son attitude relative au naufrage du Sewol. Le 16 avril correspond au premier anniversaire d’un drame qui a fait plus de 300 morts et disparus. Le flou continue d’entourer son emploi du temps le jour du naufrage. Elle était injoignable pendant sept heures et aucune explication claire n’a été fournie sur cette « disparition ».
Dans le même temps, Mme Park a eu du mal à se choisir un premier ministre. Ce n’est qu’en février que Lee Wan-koo a remplacé Chung Hong-won, qui avait présenté sa démission en avril 2014, après le drame du Sewol. M. Lee avait alors promis une « guerre sans merci » contre la corruption. Une loi à ce sujet a même été adoptée début mars.
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Journaliste au Monde