Assemblée générale du 1er avril du Conseil central du Montréal métropolitain
Lors de la réunion mensuelle du Conseil central du Montréal métropolitain de la Confédération des syndicats nationaux (CCMM-CSN), réputé comme une des instances syndicales les plus à gauche du mouvement syndical québécois, les astres ont commencé par bien s’aligner. Sans rapport sur des points routiniers faute de rapporteurs et surtout sans conférencier spécial, député du Sin Fein irlandais, bloqué à Londres, l’ordre du jour en est venu rapidement à l’avant-dernier point : le rapport sur les activités prévues pour le premier mai fait par le président de la CSN en personne. Et ce fut le déchaînement de colère contre le président Jacques Létourneau, difficilement concevable en présence d’un invité de marque, colère que celui-ci avait tenté de désamorcer dans sa présentation et en coulisse avant la réunion.
La goutte qui avait fait déborder le vase fut une entrevue du président à Radio-X [1] de Québec la veille, moins sur le fait de donner une entrevue à cette radio-poubelle, ce que fait aussi le député Solidaire Amir Khadir comme mentionné par une intervenante, que sur son contenu anti-étudiant. D’autant plus que cette entrevue suivait une autre entrevue problématique à RDI-économie [2], la chaîne d’information en continu de Radio-Canada, et un article du même acabit dans le quotidien La Presse [3] de Montréal. D’entrée de jeu le président eut beau dire qu’il avait contacté la journée même la porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) qui organise la présente grève étudiante, pour s’excuser d’avoir commenté les méthodes du mouvement étudiant lors des manifestations et des assemblées, rien n’y fit.
Un président contre les étudiants, contre la grève, pour les patrons et leur message
Ouvrit le bal une militante du cégep de Valleyfield se disant estomaquée de ce corporatisme démobilisant créant un obstacle dans son travail de mobilisation pour la grève de 24 heures du premier mai. En feu nourri, plusieurs autres intervenants reprirent cette critique. De précisez une militante du cégep du Vieux-Montréal : « La CSN est hors champ. Vous déconstruisez ce qu’on fait sur le terrain ». De conclure un prof du cégep d’Ahuntsic : « À RDI-économie, le président était du côté des patrons ».
Beaucoup ont insisté sur la solidarité avec le mouvement étudiant mise en cause par les propos du président. « Les étudiants se sentent seuls. Les syndicats sont peu présents » de dire un chargé de cour de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). De noter un délégué du Centre hospitalier de l’université de Montréal (CHUM), « quand nous avons bloqué le boulevard René-Lévesque [le matin même], les étudiants sont venus nous appuyer. » D’ajouter une membre du conseil syndical du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM), « Va-t-on les laisser tous seuls ? ». De compléter une dirigeante du syndicat des chargés de cours de l’UQÀM : « Je n’ai jamais vu l’ombre d’une violence dans la levée des cours. » D’en déduire un délégué des professeurs de l’UQÀM : « Il faut aller à Radio-X pour leur parler de notre discours, pour dénoncer le discours de la violence. »
De là à mettre en cause la stratégie de la CSN contre l’austérité il n’y a qu’un pas qui fut franchi. « Il y a eu quelque chose le 29 novembre [manif de 100 000 personnes à Montréal, 25 000 à Québec], rien après » (chargée de cour, UQÀM). « On a questionné le ’’pas de grève avant l’automne’’. C’est très démobilisant. J’ai l’impression que pour les négos, on veut régler à l’automne ou avant. Il faut revenir à la lutte contre l’austérité, aller chercher un mandat de grève pour le premier mai. Une grève d’un jour est un risque mesuré » (membre du conseil syndical du CCMM). « La grève illégale ? On est la CSN. Souvenons-nous de [la grève de l’amiante] de Thedford Mines [4] [où est né le président de la CSN] » (CHUM). « À quand la prochaine action ? Il faut un momentum. » (Centre de la santé et des services sociaux (CSSS)-Jeanne-Mance).
Cette critique de la stratégie se combinait avec celle du message. « Il faudrait une plate-forme de revendications [5]. Si c’est pour défoncer le gouvernement, il faudrait le dire » (cégep John-Abbott). « Il faut employer le bon vocabulaire, parler de classe ouvrière pas de classe moyenne. Reproduire la liste de Printemps 2015 [6] sur notre site » (construction). « Dans nos manifs, il y a trop de banderoles, il manque des messages » (CSSS-Jeanne-Mance). « Il y a un problème de communications. La bataille de l’opinion publique n’est pas gagnée. Pourquoi pas une campagne d’affichage ? » (Chargé de cours, UQÀM). Last but not least : « Pourquoi la CSN n’a-t-elle pas sa propre radio ? » (autre membre du conseil syndical).
Du président de la CSN, on attend autre chose. Dans les deux occasions où il est intervenu au cours du débat, il s’est blindé tout en tentant de noyer le poisson sur des fausses pistes comme la pertinence d’aller à Radio-X, ce que personne ne lui reprochait tout n’en signalant le danger, et en se plaignant sur son sort qui serait le lot de tous les présidents de la CSN. En prime, il a défendu la collaboration patronale-syndicale au nom du développement et des comités paritaires. De lui répondre un prof du cégep Maisonneuve : « J’aurai aimé avoir des excuses, un engagement à ne plus commenter [publiquement] les luttes des autres. » De lui dire une déléguée du Vieux-Montréal : Avec des excuses privées, « rien n’est rétabli sur le plan public ». Et un prof de l’UQÀM : « Venez dans les manifs, écoutez la critique. »
Le vieux truc éculé de blâmer la base
Au pied du mur, le président, appuyé par un collègue de l’exécutif de la centrale, a fini par utiliser le truc éculé de tous les bureaucrates : blâmer la base [7]. À des réunions en juin, en janvier et en février, il n’y aurait pas eu beaucoup de monde qui voulait foncer et agir ensemble. Chacun a son plan d’action. La CSN a mis plus d’un million de dollars dans la lutte contre l’austérité. Il faut convaincre nos membres. On soutient les étudiants. On est rendu là où on est. On appuie les syndicats qui vont en grève sociale. La réponse est venue du délégué du syndicat du CSSS-Jeanne-Mance, peut-être le plus mobilisé de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) à Montréal avec celui du CHUM, les deux ensemble, avec les étudiants, ayant manifesté le matin de la réunion : « On a besoin d’un leadership. Autrement, on se sent isolé. [Le mot d’ordre] de grève sociale doit aussi venir d’en haut. »
Dans la liste des « événements à venir » de la direction du CCMM imprimée à même l’ordre du jour figuraient quatre dates... mais pas celle de la grande manifestation étudiante prévue pour le lendemain, le deux avril. Évidemment, dans le contexte survolté de la réunion, un appel verbal fut fait et on vit le lendemain une minuscule délégation de la CSN. Pourtant 75 000 personnes, très largement étudiantes, grâce principalement aux 135 000 qui étaient en grève ce jour-là, ont pris part à la manifestation. On image facilement comment cette manif aurait pu rejoindre les niveaux de celles du Printemps érable si les directions syndicale, et même celles populaires et Solidaire [8], avaient mobilisé à fond au lien de se rallier à la dernière minute avec un minimum de mobilisation pour sauver la face.
La CSN, tout comme le Front commun, est décidément très loin d’un appel à la grève sociale. Quand, cependant, c’est le temps de faire passer une mauvaise entente, comme durant l’été 2010, la direction sait faire preuve d’initiative et déployer une remarquable énergie à coups de brochures sur papier glacé et de tournées de la permanence. Au sein de la FSSS, seulement quelques aguerries directions de grands syndicats locaux avaient pu résister à ce blitzkrieg en faisant leur propre analyse les conduisant à un clair rejet de cette offre pourrie. On peut alors comprendre pourquoi quand on daigne les consulter pour un plan de lutte ou des revendications, les directions locales et régionales font preuve de la plus grande réserve n’ayant guère confiance dans cette direction qui les laisse systématiquement tomber « la brise étant venue ».
Miser sur cette contestation bureaucratique réussie mais qui reste spontanée
Cet événement exceptionnel au CCMM-CSN pourrait rester une séance de défoulement sans lendemain d’autant plus que sa base d’appui est à première vue limitée. Les militantes qui sont intervenues, car c’était surtout des militantes mais pas de façon disproportionnée, venaient presque exclusivement du secteur public et parmi lui des syndicats de professeurs post-secondaires. Rien de plus normal étant donné le lien avec la lutte étudiante, d’autant plus que les profs du secondaire et du primaire ne font pas partie de la CSN, et que la loi des services essentiels pèsent lourd dans la santé et les services sociaux (et que de toute façon ces services à maintenir en temps de grève sont un enjeu réel) [9].
Cette victoire anti-bureaucratique, car il s’agit bien de cela, se consolidera que si ses protagonistes, présents ce soir-là et d’autres, se consolident aussi en organisation oppositionnelle structurée par une orientation, une plate-forme, une méthode et une pratique. Offensive syndicale pourrait-elle être encore ce lieu ? Elle a organisé le 8 avril un panel où figurait un délégué du syndicat des professeurs du cégep de Sherbrooke qui a lancé l’initiative de la grève de 24 heures pour le premier mai à condition que soit atteint le plancher de dix syndicats en grève, objectif maintenant atteint et au-delà. Toutefois, pour l’instant, Offensive syndicale se limitera à l’organisation de conférences mensuelles donnant lieu à un échange informel d’informations. (Côté Québec solidaire, les deux tentatives de regrouper les syndiqués du parti ont échoué faute de volonté de se démarquer tant des bureaucraties syndicales que de la direction du parti qui leur est liée.)
Est-ce que ce sera suffisant pour envahir la brèche créée au CCMM afin que la démocratie syndicale l’emporte sur la bureaucratie syndicale, l’enjeu immédiat en étant l’organisation d’une grande grève sociale du premier mai et, qui sais, au-delà, conjointement avec le mouvement étudiant et populaire. Après c’est à voir. L’essentiel de la révolution démocratique au sein des syndicats passe fondamentalement par l’hégémonie des assemblées générales locales ce qui n’est pas la mer à boire là où il y a des équipes dirigeantes de bonne volonté, ce qui n’est pas si rare. Mais comme le laisse entendre le délégué du CSSS-Jeanne-Mance, elles sont laissées à elles-même écrasées par l’appareil bureaucratique super contrôlant prenant en otage des permanents souvent eux aussi de bonne volonté mais prisonniers d’un rapport patronal [10] qui les transforme en outils de la bureaucratie de bon ou de mauvais gré.
L’officiel plan de mobilisation du premier mai du Front commun demeure sans appel à une grève de 24 heures tout en admettant la prise en compte de votes locaux à cet effet. La substantifique moelle du plan CSN c’est la décentralisation tant dans les régions que dans les syndicats locaux. Chacun se débrouille comme il peut. Au CCMM, il y aura des perturbations mobilisant la couche militante et, pour toutes et tous, une invitation à faire un piquetage intersyndical à l’heure du midi sur les lieux de travail... auquel n’a pas consenti la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), où prédominent les infirmières, tout comme elle a refusé de faire partie du Front commun. Ah ! Le sectarisme des professionnels comptant sur une sympathie particulière du public.
Pourtant il y a urgence comme l’ont montré les interventions très senties d’une part d’un membre de l’Association professionnelle du personnel administratif de la Commission scolaire de Montréal, qui vient de perdre son emploi et a promis d’amener « bien du monde » et, d’autre part, de cet employé aux cuisines du CHUM dénonçant la bouffe pas mangeable qu’il doit concocter et du ménage qui n’est pas fait sauf quand vient l’inspecteur dont la venue est connue d’avance. De souligner celui-ci : « Ça fait dix ans qu’on perd. Un syndicat ça sert à quoi ? Il y a trop de décalage entre le discours et la colère. » Le dernier mot du dernier intervenant à ce débat a été : « Il est légitime d’être en colère. »
Épilogue : Jours difficiles et lendemains incertains
Durant le semaine du cinq avril, la provocation (expulsions, injonction), l’infantilisation (les étudiants-enfants) et la violence policière appelée et cautionnée par le rectorat de l’UQÀM et le gouvernement, comme une action-réaction, ont entraîné une bienvenue résistance acharnée de la pointe étudiante la plus militante quitte à se qu’elle se laisser aller à du défoulant vandalisme politiquement dommageable, mais non à de la violence, laquelle concerne uniquement les personnes. Quoique il faille admettre une intimidation marginale pour la plus grande satisfaction de la droite cherchant à excuser la réellement existante et constante violence policière et celle générée par l’austérité patronale.
Le gouvernement a fait son lit au sujet du droit de grève étudiant lequel existe de facto depuis un demi-siècle : il n’existe pas. Il est alors pour le moins indécent de contester les procédures de vote des assemblées générales des associations étudiantes tout en admettant que la démocratie est la chose la plus difficile au monde quand on a le pouvoir et qu’on risque de perdre un vote crucial et qu’on est tenté par des tactiques dilatoires. Même si le débat sur les méthodes de vote étant donné les nouveaux moyens électroniques est tout à fait pertinent [11], il revient aux assemblées étudiantes d’en décider, malgré d’évidentes imperfections sur le chemin du dur apprentissage, sans aucune ingérence de l’État ou du rectorat.
En attendant, les associations en grève, majoritairement concentrées à l’UQÀM et au avoisinant cégep du Vieux-Montréal, soit moins de 10% de la population étudiante post-secondaire québécoise, ont pour la plupart démocratiquement décidé de continuer la grève malgré la menace gouvernementale de perte de session pour cause de refus de financer son allongement. Reste que la fragilité des votes amène à considérer une pause pour à la fois limiter les dégâts, en autant qu’il devienne clair que l’escalade à court terme est en panne, ce qui semble être le cas.
Il s’agit de regrouper ses forces afin de se mobiliser en masse, dans un premier temps pour la marche action-climat qui a regroupé 25 000 personnes ce 11 avril à Québec [12]. Puis ce sera le premier mai avec les syndicats de professeurs de cégeps dont au moins une dizaine on déjà décidé une grève de 24 heures. Et qui dit qu’une frange du secondaire, étudiants et professeurs, ne s’y joindrait pas ? Il est vrai que le refus du Front commun non seulement d’appeler à une grève de 24 heures mais même d’organiser la traditionnelle manifestation intersyndicale du premier mai à Montréal est particulièrement chiante de capitulation. Il faut, pour l’instant, faire avec tout en dénonçant ces bureaucraties concertationnistes d’abord soucieuses de leurs privilèges de caste pétris de « paix sociale ».
On ne peut pas faire l’économie d’analyser les rapports de force du moment afin d’insérer la tactique dans la stratégie capable de vaincre. Le temps des victoires parcellaires étant révolu, battre l’austérité et les hydrocarbures dépasse la liste de revendications sans toutefois exclure ce relais indispensable pour regrouper des forces hétérogènes. La tâche est de renverser le gouvernement Libéral sans lui substituer ceux du PQ ou de la CAQ... tout en secouant les puces électoralistes et populistes de Québec solidaire afin qu’il se positionne pour une indépendance d’émancipation sociale et de libération sociale pour le plein emploi écologique. Le passage obligé : une solide « grève sociale » toutes et tous ensemble.
Pendant que le défi de la base syndicale consiste à vaincre leur peur légitime de la loi spéciale et celle des services essentiels qu’exploitent les bureaucraties syndicales pour paralyser les assemblées générales et pour isoler la militance, celui de la jeunesse étudiante est d’apprendre la « lente impatience » faite d’agitation, de propagande, de réseautage et de grèves / actions / manifestations d’avertissement pendant que le défi des organisations populaires est de se sevrer de la dépendance, et non pas du droit, au financement étatique. Il faut pour cela un travail acharné, organisé et concerté, de toute la militance, la conscience de la nécessité et la volonté de prendre le pouvoir par la rue, et un sens tactique aiguisé afin de saisir le moment propice créé par la dialectique mobilisation-répression. La grande question : où est l’organisation anticapitaliste capable d’éperonner Québec solidaire, s’il n’est pas trop tard, pour raccorder cette « discordance des temps » vers la grève sociale ?
Marc Bonhomme, 11 avril 2015
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