Après la « Marche sans retour » de 200 ouvriers de Tuzla vers Orasje, à la frontière croate, déclarant vouloir quitter leur pays sans travail et sans avenir, après l’exode des dizaines de milliers de Kosovars avec leur famille vers l’Europe, la mort rode dans les Balkans sans bruit des armes. La classe ouvrière, mise à rebut comme la ferraille rouillée du vieil équipement industriel, et sans perspective politique, est condamnée aux gestes de désespoir.
Ainsi ce matin à 9h deux ouvriers de Tuzla, anciens combattants, sont partis de Zivinice à pied vers Sarajevo, pour s’y immoler avec l’essence devant le siège du gouvernement fédéral. Sefik Muminovic (55) et Dzemal Zahirovic (59), combattants de l’indépendance bosniaque contre les fascistes serbes et croates, malades, sans ressource aucune, après de multiples démarches auprès des institutions, voyant leur famille sombrer dans la déchéance noire, ont décidé d’en finir avec cette vie de chien. Ils ont écrit une lettre publique, en espérant que leur mort sauvera leur famille.
« Nous avons essayé d’avoir un rendez-vous auprès du ministère des anciens combattants du canton de Tuzla, mais ils nous ont répondu ne pas pouvoir nous aider. Nous nous sommes adressés à notre maire de Zivinice (banlieue industrielle de Tuzla), Asim Aljic, mais il nous a chassés devant la porte. Partout où nous sommes allés, partout c’est l’humiliation, et ceci dans le pays que nous avons défendue au prix de notre santé. Nous sommes dans le désespoir et affamés, comme toute notre famille. C’est pourquoi demain matin à 8h (lundi 13 avril) nous allons embrasser nos proches devant la mairie, puis après un recueillement devant le monument de mort de nos camarades de guerre, avec des jerricanes d’essence en main, nous allons tout droit vers Sarajevo. La vie dans la misère n’a aucun sens », a dit Sefik Muminovic au site Tuzlanski.ba [1].
Ils ont communiqué une déclaration publique :
« Nous, Sefik Muminovic et Dzemal Zahirovic, sommes décidés de partir lundi 13 avril à 9h devant la mairie de Zivinice à pied vers Sarajevo, où nous allons nous IMMOLER PUBLIQUEMENT devant le siège du gouvernement fédéral, afin de protester contre cette société pour laquelle nous avons combattu, et qui ne peut nous assurer la vie en dignité. En tant qu’hommes nous sommes morts depuis longtemps. Mais nous ne cédons pas notre fierté. Que le monde entier soit témoin de notre état de santé grave, alors que nos familles meurent de faim ».
Muminovic a combattu dans la 210. Brigade de Sprecanski détachement, après la guerre il a travaillé cinq ans dans les mines de Djurdjevik, d’où il a été licencié pendant le congé maladie.
« Ils m’ont promis d’embaucher mon enfant dans la mine afin que je renonce à les poursuivre en justice. Mais rien, ils m’ont trompé. Le directeur ne voulait plus me recevoir. Dans notre foyer – ma femme, mon fils, ma fille, ma belle-fille et moi – nous sommes tous sans travail. Nous n’avons plus de quoi manger. J’ai essayé de me suicider, mais ils m’ont sauvé au dernier moment. Dans le ministère des anciens combattants du canton disent qu’ils ne peuvent rien faire. Je ne vois pas d’issue, nous sommes rejetés de partout, il ne me reste que d’en finir avec cette vie », dit en désespoir Muminovic au quotidien Avaz.
Dzemal Zahirovic a appartenu à l’unité d’élite n° 121, deux fois blessé, mais malgré 40% d’invalidité reconnue, ne touche rien. Il raconte :
« Lorsque la guerre a commencé, je me suis immédiatement joint à la défense de l’Etat. J’étais sur tous les champs de combat. Et qu’est ce que nous a donné cet Etat ?! J’ai six enfants. Une fille m’a décédée l’année dernière pour cause de misère. Personne dans la famille n’a d’emploi, alors que nous sommes tous aptes au travail. J’aimerais bien que les politiques se réveillent, à aider les combattants abandonnés de tous. Si je mange aujourd’hui, je n’ai rien pour demain. Une telle vie est insupportable ».
Ce matin ils sont partis de Zivinice, après les adieux en pleur de leurs proches et population locale. « Larmes, cris de douleur, tristesse… se font écho dans toute la ville de Zivinice », rapporte ce matin Tuzlanski.ba.
Nous ne savons pas ce qui se passera aujourd’hui et dans les jours qui viennent. Mais en Europe le mouvement ouvrier, ses militants, tous ceux qui se disent de gauche quelle qu’elle soit, ont le devoir d’aider les travailleurs bosniaques. La lutte internationale des travailleurs fonctionne sur le principe des vases communicants : ceux qui donnent aujourd’hui peuvent recevoir double ou triple demain lorsqu’ils auront besoin. Avant que nous puissions aider l’ouvrier bosniaque à se mettre politiquement debout, nous devons l’aider à ne pas sombrer dans le désespoir. Je propose un Fond de solidarité ouvrière bosniaque permanent, où chacun pourrait effectuer un virement automatique de 5 ou 10 euro par mois, pendant une certaine période qu’il décide, à l’instar d’un fond de solidarité avec les dispensaires grecs de Patras et Athènes, crée à Nancy. Avec les camarades solidaires des travailleurs de Bosnie-Herzégovine à Nancy nous ouvrirons un compte bancaire à cette fin dans les jours qui viennent.
Je profite de l’occasion à transmettre le remerciement public à tous ceux qui ont soutenu les ouvriers de Dita à Tuzla à l’automne dernier : 1600€ sont envoyé du compte ATTAC 54 vers Emina Busuladzic, syndicaliste de Tuzla.
Radoslav PAVLOVIC , Nancy, le 13 avril 2015