L’EPR est-il condamné ? Présenté, à l’époque de sa conception par Areva, dans les années 1990, comme le nec plus ultra de l’industrie nucléaire française, le réacteur de troisième génération construit à Flamanville (Manche) par EDF est gravement menacé. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vient de confirmer que sa cuve − le cœur de la chaudière où se produit la fission des atomes et qui doit être à toute épreuve − présentait une « anomalie très sérieuse ». De nouveaux tests doivent être réalisés d’ici à l’automne. L’éventuelle confirmation de ce diagnostic à l’issue des essais porterait un coup fatal à l’EPR.
Un tel revers technologique, qui révélerait l’incapacité d’Areva à forger une cuve répondant à toutes les normes de sûreté, aggraverait en effet l’autre point faible de l’EPR : son coût, exorbitant. A Flamanville, comme sur le chantier finlandais d’Olkiluoto, il n’a cessé de dériver. La facture du réacteur français pourrait atteindre 10 milliards d’euros, soit trois fois le prix annoncé.
« EPR optimisé »
Or, depuis l’échec d’Abou Dhabi en 2009, où les Coréens ont été préférés aux Français, EDF et Areva tardent à proposer l’« EPR optimisé » promis : un EPR aussi sûr, mais 25 % moins cher que les premiers modèles. C’est possible, et les deux réacteurs chinois construits par EDF et ses partenaires chinois à Taishan devraient en apporter la preuve. A condition que leurs cuves, également fabriquées en France, ne présentent pas les mêmes anomalies que celle de Flamanville.
Déboires technologiques, surcoûts, dérapage des délais – cinq ans de retard déjà pour le réacteur de Flamanville – expliquent que l’EPR ait encore été si peu exporté : un exemplaire en Finlande, deux en Chine. EDF doit en construire deux à quatre au Royaume-Uni. Pour le reste, qu’il s’agisse de l’Inde, de la Pologne, de l’Afrique du Sud ou de l’Arabie saoudite, c’est l’inconnu.
C’est la filière nucléaire nationale tout entière qui est ainsi fragilisée, au moment où l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, sous tutelle de l’Etat, vient de rendre public un scénario pour le moins subversif : à l’horizon 2050, la France pourrait tirer la totalité de son électricité de ressources renouvelables, vent, soleil, barrages, géothermie, biomasse ou énergies marines. Et cela, à un coût comparable à celui d’un mix électrique conservant 50 % de nucléaire. Le gouvernement, qui s’en tient à la promesse de François Hollande de réduire la part de l’atome à ce niveau en 2025, exclut d’aller au-delà. Mais le débat est désormais ouvert.
« Nous arrivons à la fin d’un cycle industriel », observe l’Autorité de sûreté nucléaire. L’âge moyen des 58 réacteurs du parc français est de vingt-neuf ans, et la cure de jouvence nécessaire à une éventuelle extension de leur durée de vie au-delà de quarante ans, ainsi que les travaux de renforcement imposés après l’accident de Fukushima, exigent des investissements colossaux. L’heure du choix de notre futur modèle énergétique est venue. L’EPR, géant de béton et d’acier au cœur mal trempé, n’est plus assuré d’y trouver sa place.
Pierre Le Hir
* « Nucléaire : l’EPR en danger de mort ». LE MONDE | 18.04.2015 à 10h16.
L’EPR de Flamanville placé sous surveillance
Le rapport annuel de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur « l’état de la sûreté et de la radioprotection en France » est, traditionnellement, l’occasion de décerner bons et mauvais points aux exploitants. Le bilan de l’exercice 2014, présenté mercredi 15 avril devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), s’en est démarqué, rattrapé par l’actualité. A commencer par les « anomalies de fabrication » de la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche).
« Il faudra qu’on ait une conviction forte, une quasi-certitude, une conviction absolue » sur la fiabilité de ce « composant crucial » avant de donner le feu vert à sa mise en service, a martelé le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet. « Je ne présage en aucune manière de la décision qui sera prise, compte tenu de l’importance de l’anomalie, que je qualifie de sérieuse, voire très sérieuse », ajoute-t-il.
« Valeurs de résilience plus faibles qu’attendues »
Début avril, le gendarme du nucléaire a fait état de défauts sur cette pièce fabriquée par Creusot Forge, filiale d’Areva, dans son usine de Chalon-Saint-Marcel (Saône-et-Loire). Ces défauts, qui touchent à la fois le couvercle et le fond de la cuve du réacteur, conduisent à « des valeurs de résilience [capacité d’un matériau à résister à la propagation de fissures] plus faibles qu’attendues ». Un diagnostic particulièrement alarmant pour un équipement qui constitue le cœur de la chaudière nucléaire, et qui doit pouvoir supporter, sans faillir, de violents chocs thermiques.
Areva et EDF ont annoncé une nouvelle campagne d’essais de qualification, dont les résultats, attendus à l’automne, seront expertisés par l’ASN et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). M. Chevet a indiqué qu’il n’excluait pas de faire appel à des experts étrangers pour les assister.
Que se passera-t-il si les nouveaux tests ne lèvent pas les doutes sur la résistance de la cuve de l’EPR, dont la durée de vie prévue est de soixante à cent ans ? Dans ce cas, « je ne vois pas d’autre solution que la changer », répond le patron de l’autorité de contrôle. Cela, quels qu’en soient le coût et les conséquences sur le chantier.
La cuve du réacteur de Flamanville, qui mesure 13 mètres de hauteur avec son couvercle pour un peu plus de 5 mètres de diamètre, a été posée en janvier 2014. Elle a été positionnée dans le « puits de cuve » situé au centre du bâtiment réacteur, et elle est déjà raccordée et soudée aux tuyauteries du circuit primaire de refroidissement. Son éventuel remplacement entraînerait donc de nouveaux retards et surcoûts, alors que le calendrier a déjà dérivé de plus de cinq ans – la mise en service, initialement prévue en 2012, a été repoussée à 2017 –, et que la facture a déjà grimpé de 3,3 à 8,5 milliards d’euros.
« Hormis les questions économiques, il serait possible pour EDF de changer la cuve et d’en refaire une, car le réacteur est encore en construction », a déclaré il y a quelques jours, à l’Agence France-Presse, Thierry Charles, directeur général adjoint de l’IRSN. Pour Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaires à Greenpeace France, une cuve est au contraire « a priori irremplaçable » une fois posée.
« Fin d’un cycle industriel »
Les nouveaux déboires de l’EPR s’inscrivent dans un contexte marqué par la « nécessaire mise à niveau » de la sûreté des installations nucléaires françaises, souligne M. Chevet. « On arrive à la fin d’un cycle industriel », explique-t-il. Les cinquante-huit réacteurs du parc électronucléaire hexagonal sont vieillissants et, entre 2019 et 2025, près de la moitié d’entre eux auront atteint une durée de vie de quarante ans, celle pour laquelle ils ont été conçus.
« Une éventuelle prolongation n’est nullement acquise », rappelle le président de l’ASN. Il voit dans le réexamen de sûreté approfondi qui sera mené lors de la visite décennale des quarante ans « un enjeu comparable à celui qu’a représenté la construction des réacteurs » dans les années 1970 et 1980.
Les travaux préalables à une prolongation, ainsi que les mesures de renforcement imposées à la suite de la catastrophe de Fukushima, le 11 mars 2011 au Japon, constituent « des chantiers extrêmement lourds et complexes », insiste l’ASN. Ils exigent que les réacteurs « se rapprochent des meilleurs standards de sûreté ». Ceux qui étaient jusqu’ici attribués à l’EPR… avant qu’on y découvre une cuve à l’acier déficient.
Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 16.04.2015 à 11h27 • Mis à jour le 16.04.2015 à 11h31.