La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, l’a assuré dimanche 19 avril : le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville « n’est pas condamné » malgré la sérieuse anomalie de fabrication détectée sur la cuve du réacteur. Le chantier, à nouveau à l’arrêt, accumule les retards depuis 2007. L’EPR de Flamanville, dans la Manche, est un des quatre réacteurs nucléaires nouvelle génération actuellement en construction dans le monde. Initialement prévu pour 2012, on sait désormais qu’il ne devrait pas entrer en service avant 2018. Le coût du chantier, lui, devrait dépasser les 9 milliards d’euros, bien loin des 3,3 milliards du devis initial. Comment en est-on arrivé là ?
[Tableau non reproduit ici.]
2007 : Début de la construction de l’EPR
(Coût : 3,3 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2012)
Le 10 avril 2007, à quelques jours du premier tour de la présidentielle qui voit certains candidats s’opposer à l’EPR, le gouvernement de Dominique de Villepin signe un décret autorisant la construction du réacteur nucléaire de Flamanville. Fruit de la loi d’orientation de la politique énergétique de juillet 2005, l’EPR voit sa première pierre posée en décembre 2007. Coût du projet : 3,3 milliards d’euros. Le directeur de la division ingénierie nucléaire d’EDF d’alors, Bernard Salha, estime qu’« il n’y a pas ou peu de risque de dépassement budgétaire car tous les grands contrats ont déjà été finalisés » avec les sous-traitants. La mise en service du réacteur est prévue pour 2012, à l’issue d’une année de test.
2008-2009 : « Léger » retard et « Petit » surcoût
(Coût : 4 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2013)
Après une suspension des travaux en 2008 suite à des anomalies sur certaines armatures en fer, puis d’autres liées à la structure en béton, des sources internes chez EDF confirment, en 2009, un retard dans le chantier : l’ouverture de l’EPR est repoussé d’un an. La facture, elle, augmente de 20 %.
2010 : Officialisation d’un retard de deux ans
(Coût : 5 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2014-2015)
Le « plus gros chantier industriel en Europe », surveillé de près par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), est de nouveau retardé. Selon le Figaro, « le génie civil, notamment la mise en place des bétons, est très difficile ». On parle désormais d’une mise en service en 2014, voire en 2015.
2011 : Accidents, procédures de sécurité et intempéries
(Coût : 6 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2016)
C’est une année noire pour le nucléaire. Outre la catastrophe de Fukushima, au Japon, qui ravive les craintes liées à l’atome, le chantier de Flamanville tourne au cauchemar : en janvier, un ouvrier est tué sur le chantier, qui est stoppé pendant neuf semaines. Un autre décédera en juin. S’ensuivent de nouvelles procédures de sécurité qui retardent la construction de neuf mois supplémentaires. Le chantier perd également deux mois à cause des intempéries. On parle désormais d’une inauguration en 2016.
2012 : La facture grimpe
(Coût : 8,5 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2016)
Si le chantier progresse de nouveau – 93 % du génie civil et 36 % des montages électromécaniques sont effectués – EDF annonce en décembre que les retards accumulés les années précédentes ont fait augmenter la facture de 2,5 milliards d’euros. Conséquence : le groupe italien Enel, partenaire d’EDF (à hauteur de 12,5 %) pour la construction de l’EPR, jette l’éponge.
2014 : Difficultés dans la livraison d’équipements
(Coût : 8,5 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2017)
Après plusieurs mois d’accalmie, le chantier connaît fin 2014 des « difficultés » avec la livraison de certains équipements. EDF annonce que « le démarrage de l’installation est désormais prévu en 2017 ». De nouveaux surcoûts sont attendus.
2015 : Anomalie très sérieuse et ajustements de travaux
(Coût : 9 Mds d’euros - Fin prévue du chantier : 2018)
Coup de théâtre le 19 avril : l’ASN a repéré une « anomalie sérieuse voire très sérieuse » sur la cuve du réacteur de Flamanville. Le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, indique qu’« il faudra qu’on ait une conviction forte, une quasi-certitude, une conviction absolue » sur la fiabilité de ce « composant crucial » avant de donner le feu vert à sa mise en service.
Ségolène Royal certifie cependant que l’EPR « n’est pas condamné ». Mais on parle désormais d’une « disponibilité réduite les deux premières années d’exploitation » pour un réacteur qui ne tournera « à plein régime » qu’en 2018. Soit la même année que l’EPR construit en Finlande, qui accuse neuf ans de retard. Ce sera au minimum onze ans pour celui de Flamanville. Le coût du chantier pourrait être réévalué à 9 milliards d’euros.
Les anomalies et retards accumulés dans les constructions des EPR français et finlandais ont cependant eu une conséquence positive : l’EPR chinois, lancé pourtant après les deux EPR européens, devrait être achevé avant eux grâce au retour d’expérience qui a permis de gagner 40 mois (plus de 3 ans).
Loïc Soleymieux
Journaliste au Monde