« Notre amitié est plus haute que les montagnes, plus profonde que les océans et plus douce que le miel. » La poésie ourdoue a ponctué la célébration des relations entre Pékin et Islamabad, lundi 20 et mardi 21 avril, au cours de la visite officielle du président chinois Xi Jinping au Pakistan. Ce premier séjour d’un chef d’Etat chinois depuis 2006 aura été vécu par les autorités pakistanaises comme un événement majeur, organisé avec faste, avec, pour point d’orgue, la signature de 51 protocoles d’accord pour un total de 28 milliards de dollars (26 milliards d’euros). Le Pakistan devient un maillon essentiel du corridor économique que la Chine veut établir vers la mer d’Oman et le Moyen-Orient.
Ce partenariat, qualifié d’« historique » par les deux parties, n’est pas que l’expression d’une volonté chinoise de sécuriser son accès à l’océan Indien et aux matières premières que la Chine escompte bien, un jour, pouvoir utiliser pour nourrir sa croissance. Il cache également un nouveau positionnement de la Chine en Asie du Sud à un moment où les Etats-Unis se retirent d’Afghanistan, ce qui vulnérabilise la frontière occidentale chinoise.
« Carrefour régional »
S’ils n’ont pas eu leur mot à dire sur la définition de la stratégie économique chinoise dans leur propre pays, les Pakistanais n’ont pas fait la fine bouche à l’annonce de ce véritable « plan Marshall » chinois. Ils se plieront ainsi au concept de corridor économique Chine-Pakistan, qui relie symboliquement le port de Gwadar, à l’extrémité sud-ouest du Pakistan, à 100 km de l’Iran, avec Kashgar, la grande ville de l’ouest du Xinjiang chinois, non loin de la frontière pakistanaise. A la clé, des routes, des lignes de chemins de fer et des pipelines. « Ce corridor permettra de transformer le Pakistan en carrefour régional, notre amitié avec la Chine est la pierre angulaire de notre politique étrangère », s’est félicité Nawaz Sharif, le premier ministre pakistanais.
[Les projets de corridor économique de la Chine au Pakistan : carte non reproduite ici.]
Il reste encore à déterminer le tracé de ce corridor. Le parcours initial, transitant par la province de Khyber-Pakhtunkhwa, longeant les zones tribales et accédant par le nord de la province du Baloutchistan, est le plus naturel mais aussi le plus incertain en termes de sécurité. D’où l’évocation d’une route plus sûre par le Pendjab, fief du premier ministre Nawaz Sharif, le Sind puis le Baloutchistan via le littoral. Cette éventualité a fait réagir Imran Khan, chef du parti d’opposition du Mouvement pour la Justice (Tehrik-e-Insaf Pakistan, PTI), pour qui ce corridor doit avant tout profiter aux régions les moins développées du pays, soit le Baloutchistan et le Khyber-Pakhtunkhwa. « Un autre choix relèverait de l’injustice », estime-t-il.
« Big band économique »
Ce « big bang économique » porte également sur de nombreux projets d’équipements financés sous formes de prêts estimés à plus de 10 milliards de dollars. Le Pakistan souffre d’une pénurie d’électricité, que M. Sharif, élu en 2013, a promis de résoudre d’ici à la fin de son mandat en 2018. Parmi les protocoles d’accord figurent des centrales électriques à charbon ainsi qu’un barrage hydroélectrique, qui sera géré par une filiale du barrage chinois des Trois gorges, et construit à Karot, dans le Pendjab. La Chine financera aussi un gazoduc reliant Gwadar à Nawabshah, dans la province du Sind. Il sera in fine connecté au réseau iranien. Enfin, 20 % des sommes seront affectées à des projets d’infrastructures de transport, notamment le métro de Lahore, le prolongement et la rénovation de la route du Karakorum, le désenclavement de Gwadar, ainsi que la modernisation du chemin de fer Karachi-Lahore-Peshawar. Ces chantiers bénéficieront, en premier lieu, aux groupes d’Etat chinois mis à mal par le ralentissement de l’économie chinoise.
La route du Karakorum, ouverte dans les années 1980, et le port de Gwadar, inauguré en 2007, longtemps des projets phares de la coopération sino-pakistanaise, n’ont jamais eu les résultats économiques escomptés. Longtemps considéré par la Chine comme un contrepoids stratégique vis-à-vis de l’Inde, grand bénéficiaire de l’aide militaire de Pékin, le Pakistan est resté un partenaire économique mineur de la Chine dans la région. Les aléas de la politique pakistanaise et la détérioration des conditions de sécurité, notamment pour le personnel chinois devenu ces dernières années la cible de groupes extrémistes, ont joué un rôle certain. Islamabad a annoncé avoir créé une division de 10 000 soldats chargée de protéger « les travailleurs chinois dans le pays ».
« La différence avec les projets précédents, c’est le niveau de détermination », analyse Jin Canrong, expert chinois des relations internationales. Selon Frédéric Grare, spécialiste de l’Asie du Sud à la fondation Carnegie, « la nouveauté de ce partenariat réside dans l’affirmation politique de la Chine dans la région. Pékin veut stabiliser cette zone, il ne laissera pas Islamabad se mettre en travers de son dialogue avec l’Inde et s’implique désormais directement dans le règlement de la question afghane ».
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au Monde
Jacques Follorou
Journaliste au Monde