« Tant au Nord qu’au Sud de la planète, la dette constitue un mécanisme de transfert des richesses (…) en faveur des capitalistes. L’endettement est utilisé par les prêteurs comme un instrument de domination politique et économique »
– Charte du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde)
Plan
Quelques remarques introductives
I - Points de repère. La dette publique, c’est-à-dire ?
Enjeux et notions
1°) un enjeu démocratique : l’audit de la dette
Encart : Extraits de la brochure du CAC (Comité pour un Audit Citoyen) sur la Grèce
2°) Les discours mystificateurs sur la dette
3°) Précisons les notions.
Déficit et dette « au sens de Maastricht » ; l’Etat central, les collectivités locales, et la Sécu
II - Dette et politiques économiques
1°) De l’endettement « keynésien » au tournant néo-libéral
2°) Les politiques néo-libérales
Fins, Moyens et effets
III - De la crise avant la dette à la dette de la crise - dite « crise de la dette »
La « crise de la dette » comme « opportunité » pour atteindre les « fins »
Quelques remarques introductives
Je suis économiste, mais syndicaliste comme vous, et sur ce plan, nous partageons les mêmes difficultés face à un système « globalisé » - avec un grand écart entre la capacité d’intervention de « ceux d’en haut » et la faiblesse des moyens de résistances syndicales et politiques là où se prennent les décisions aujourd’hui – du local au planétaire, en passant par les niveaux nationaux et européens.
J’essayerai au moins de déconstruire les mécanismes et l’idéologie de ce système : cela fait partie de la lutte politique et démocratique dont les syndicalistes doivent s’emparer.
En tant qu’économiste, je participe à des réseaux de résistance aux politiques et courants dominants [1]. De tels réseaux sont hétérogènes : certain.es économistes se réfèrent à des doctrines économiques d’inspiration keynésienne (pour un capitalisme régulé) ; d’autres, comme moi-même cherchent à incorporer les apports de Keynes, ou ceux d’autres point de vue hétérodoxes, à une pensée marxienne, dans une contestation plus radicale de la soumission de nos sociétés et de la planète aux pouvoirs prédateurs de l’argent roi. Mais tous les économistes de ce réseau partagent une conviction qui nous distingue des économistes « mainstream », dominants : des choix sont (toujours) possibles. C’est une affirmation devenue « subversive », un enjeu démocratique fondamental.
Margaret Thatcher affirmait au début du tournant néo-libéral des années 1980 en lançant ses offensives contre le mouvement syndical britannique, son slogan : « TINA » (There Is No Alternative = Il n’y a pas d’alternative). C’est ce qu’on nous a répété jusqu’à aujourd’hui avec toute la puissance des medias dominants et d’un « discours » économique qui a pénètré profondément les populations : celles-ci sont culpabilisées d’être au chômage et de demander des protections (vous connaissez la stigmatisation de la « mentalité d’assisté » des perdant.e.s, versus la glorification de l’ « esprit d’initiative » des gagnant.e.s d’une compétition où certains sont plus « égaux » que d’autres... C’est la compétition entre les renards et les poules, une fois supprimé le poullailler – comme disait Marx.
Notre sujet étant la dette, j’ai mis ici en exergue la citation d’un des réseaux auquel je collabore, le CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde) très actif aujourd’hui aussi sur la dette grecque et européenne. Le CADTM affirme que la dette « est utilisée par les prêteurs comme un instrument de domination politique et économique ». C’est précisément ce rapport de domination qui permet d’en faire une « arme de destruction (sociale) massive », comme je l’ai appelée.
Mais cela n’a pas été vrai de tout temps, ou encore a changé dans le temps.. Thomas Piketty dans son ouvrage passionnant sur le Capitalisme du XXIè siècle en présente une fresque historique qui remonte aux temps de la révolution française, notamment. Mon exposé restera dans un temps bien plus court. Mais un de ses buts est de faire apparaître le moment, au tournant des années 1980 dans l’histoire économique du XXè siècle, où s’est produit ce basculement faisant de la dette le vecteur d’une véritable guerre sociale mondiale – et d’en analyser les causes et finalités. Car cette sorte de troisième guerre mondiale est toujours à l’œuvre. Elle s’est installée comme un processus qui a connu des phases, des scénarios divers, tributaires de contextes et de rapports de force différents d’un pays ou continent à l’autre. Mais on peut sentir partout le rouleau compresseur (matériel et idéologique) de cette guerre dont on est loin de voir la fin. Elle marque une nouvelle période dans l’histoire du capitalisme.
La première des résistances à cette guerre est de ne pas accepter l’idée qu’il n’y a pas de choix. La seconde, est de refuser la séparation propre aux doctrines libérales [2] entre sphère de l’économie, et sphère politico-sociale.
Les doctrines libérales prétendent avoir des critères d’efficacité dont la scientificité serait en quelque sorte garantie par le fait de se situer « au-dessus » des débats politiques et des choix de société. C’est une fumisterie. Comme l’a soutenu le prix Nobel d’économie l’Indien Amartya Sen il faut intégrer des critères éthiques dans les jugements sur l’économie – sauf que ces critères, souligne-t- il aussi, relèvent de choix qui appartiennent (qui devraient appartenir) aux sociétés, et non pas aux économistes.
La mise en évidence de critères d’efficacité alternatifs et la transparence sur ce qu’expriment les indicateurs et les chiffres de l’économie sont des enjeux démocratiques majeurs et donc de modification des rapports de forces.
Quels coûts devraient être comprimés comme « gaspillage » ? Quels besoins devraient être considérés comme fondamentaux ? Qui en juge ? Sur la base de quels critères ?
Les politiques dominantes visent à supprimer le débat économique et à cacher les choix de société sous le lit des « faits » économiques enveloppés dans leurs chiffres opaques et l’anonymat des décisions.
Notre objectif est à l’opposé de mettre l’économie en débat et d’ « aller sous le lit », pour y découvrir les acteurs, les intérêts cachés ; révéler les « fausses évidences » qu’on nous assène, les critères contestables, les mécanismes et les finalités. Derrière tout cela, il y a les rapports entre les êtres humains ou entre les pays, et entre les sociétés et la nature.
Mais j’aborderai ces enjeux au travers du prisme proposé ici, celui de la dette publique.
Pour la suite, se reporter au site du CADTM :
http://cadtm.org/Cartel-Intersyndical
Catherine Samary